Santé et hygiène

Promouvoir une alimentation plus saine dans les villes africaines

6 min

by

Danielle Doughman, Gershim Asiki and Kristin Bash

Les maladies non transmissibles (MNT) liées à l’alimentation telles que le cancer, le diabète et les accidents vasculaires cérébraux représentent un tiers des décès et la moitié des hospitalisations au Kenya. La mauvaise alimentation — ainsi que le nombre croissant de personnes en surpoids ou obèses — constituent également un grave problème dans plusieurs autres pays africains, particulièrement dans les zones urbaines. Cet article rend compte des efforts déployés pour trouver des mesures gouvernementales qui pourraient contribuer à freiner ces tendances.

L’Afrique traverse une transition nutritionnelle. Les habitudes alimentaires se modifient à mesure que la mondialisation contribue à y créer des environnements alimentaires regorgeant de choix tentants, mais malsains, qui étaient inaccessibles il y a quelques décennies.

Le déplacement massif et rapide des populations du continent des régions rurales vers les zones urbaines, où de tels produits sont peu coûteux et disponibles à tous les coins de rue, signifie qu’il est plus facile que jamais de surconsommer des aliments malsains, soit riches en calories et pauvres en nutriments. Se nourrir régulièrement d’aliments transformés, pauvres en nutriment, peut causer des maladies non transmissibles (MNT) telles que le cancer, le diabète et les accidents vasculaires cérébraux (AVC).

Selon l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), les décès liés aux MNT se concentrent dans les pays à revenu faible ou intermédiaire, et leurs taux sont en augmentation constante. Le Kenya est malheureusement un bon exemple de cette tendance : les MNT y représentent un tiers des décès et la moitié des hospitalisations.

Le dépassement du poids santé est l’un des principaux facteurs de risques de MNT, surtout chez les femmes. La proportion de Kenyanes qui sont en surpoids ou obèses est passée de 25 à 33 % entre 2008 et 2014. Plus encore, environ deux femmes sur trois âgées de 40 à 60 ans vivant dans des zones urbaines du pays sont considérées en surpoids.

De nouvelles recherches menées par le Centre de recherche sur la population et la santé en Afrique (APHRC), l’Université du Ghana et l’Université de Sheffield (Royaume-Uni) tentent de trouver des moyens systématiques afin que les gouvernements puissent freiner ces tendances au surpoids et à l’obésité. Des politiques efficaces sont nécessaires, à la fois à cause du danger de santé publique et du fardeau financier que les MNT liées à l’alimentation représentent pour la population.

C’est pourquoi plus d’une dizaine d’experts en santé, en nutrition et en MNT se sont réunis à Nairobi, au Kenya, en juillet 2018 et ont pris part à un atelier visant à examiner les données probantes et à proposer des actions prioritaires à l’aide d’un outil élaboré par le Réseau international pour la recherche, le suivi et l’action en faveur de l’alimentation et de l’obésité — les maladies non transmissibles (INFORMAS).

INFORMAS a développé un indice de politiques pour un environnement alimentaire sain  saines (Healthy Food Environment Policy Index ou Food-EPI), un outil qui aide à évaluer ce que font les gouvernements pour permettre aux individus de manger ou de boire sainement, comme améliorer l’étiquetage alimentaire, limiter la publicité des produits transformés ou contrôler le prix des aliments sains ou de la malbouffe au moyen de taxes ou de subventions. L’atelier de Nairobi sur les politiques est l’une des composantes du travail de recherche destiné à enrichir les données probantes sur la transition alimentaire dans les villes africaines. 

L’équipe de recherche a compilé des renseignements sur les politiques qui existent et qui sont mises en œuvre au Kenya dans 13 secteurs, allant de la promotion des aliments à l’étiquetage en passant par les politiques de commerce alimentaire, les infrastructures, la gouvernance et la santé. Ceci inclut par exemple des actions gouvernementales telle l’affectation de financement pour la mise en œuvre. Les secteurs étudiés — déterminés à l’origine par un groupe d’experts internationaux à la suite d’une analyse exhaustive en 2012 — correspondent aux caractéristiques clés des environnements alimentaires qui peuvent potentiellement être façonnées par l’action gouvernementale.

 

L’Indice de politiques pour un environnement alimentaire sain  (Healthy Food Environment Policy Index ou Food-EPI) couvre 13 secteurs pour lesquels les experts ont évalué et classé les politiques, puis proposé des interventions gouvernementales. (Source : www.informas.org)

 

Il a d’abord été demandé aux experts rassemblés d’évaluer la mise en œuvre kenyane de ces politiques par rapport aux pratiques optimales mondiales sur une échelle allant de très faible ou aucun progrès à très bons ou excellents progrès. Ensuite, ils ont coté à quel stade ils estimaient l’avancement actuel de la mise en œuvre, sur une échelle allant des étapes préliminaires aux étapes finales. Dans les cas où il n’y avait pas de politiques existantes, de preuves de mesures politiques ou les deux, les participants cochaient « ne peut coter ».

Le groupe a par exemple classé les progrès du Kenya concernant l’étiquetage des aliments par rapport à l’indicateur de bonne pratique consistant à avoir un étiquetage standard et réglementé qui permet aux consommateurs d’évaluer facilement à quel point l’aliment emballé est sain. Alors qu’une politique kenyane stipule que les aliments emballés doivent indiquer leur taux d’acides gras trans – comme ceux-ci sont fortement liés aux maladies cardiaques — les preuves collectées montrent qu’il n’y a actuellement pas d’obligation concernant un étiquetage nutritionnel supplémentaire qui sera unique, uniforme, facilement interprétable, appuyé sur des données scientifiques et affiché sur le devant des emballages.

Les spécialistes ont comparé cela avec les actuelles bonnes pratiques qui ont cours dans d’autres pays, telle l’obligation pour tous les aliments emballés en Équateur d’afficher une étiquette à code couleurs afin de communiquer clairement et rapidement les teneurs en gras, sucre et sel —représentées par le rouge (élevées), l’orangé (moyennes) ou le vert (basses). Les données probantes sont toutefois partagées quant à l’efficacité des étiquettes alimentaires dans l’influence sur le comportement du consommateur. Il faut cependant signaler qu’il n’y a pas encore de preuves de l’impact de l’étiquetage dans les pays à faible revenu.

La dernière étape du processus consistait pour les experts à classer des actions qu’ils ont collectivement proposées au gouvernement, d’abord en termes d’importance (la portée significative de la valeur anticipée de l’action), puis en termes de faisabilité (la facilité avec laquelle l’action pourra être accomplie compte tenu des réalités politiques, budgétaires et sociales).

L’analyse est déjà en cours, et ses résultats serviront de point de référence pour continuer d’évaluer les politiques gouvernementales destinées à améliorer les environnements alimentaires, afin d’accroître leur responsabilité et leur action.

Le Kenya n’est que le deuxième pays d’Afrique (l’autre étant l’Afrique du Sud) à avoir complété l’analyse comparative des politiques du Food-EPI. L’équipe de recherche a légèrement adapté le modèle pour tester un nouvel élément afin de refléter les preuves émergentes que les enfants qui sont allaités jouissent d’une meilleure protection contre les MNT plus tard dans leur vie.

Une évaluation comparative des politiques du Food-EPI a aussi été réalisée à Accra en septembre 2018, sous la direction des homologues de l’APHRC à l’Université du Ghana. À mesure que le nombre de pays participants augmentera, nous espérons que le bassin de politiques en matière de pratiques optimales s’approfondira et se renforcera.

 

Auteurs :

Danielle Doughman est une spécialiste des politiques sanitaires et du plaidoyer.  Depuis 2014, elle est la Gestionnaire de la sensibilisation aux politiques du Centre de recherche sur la population et la santé en Afrique (APHRC) à Nairobi, au Kenya.

Gershim Asiki est chercheur associé à l’Unité santé et systèmes de santé du Centre de recherche sur la population et la santé en Afrique (APHRC). Il assure la direction scientifique du programme de recherche sur les maladies non transmissibles (MNT).

Kristin Bash a une vaste expérience en gestion des services de santé. Elle a commencé son stage à la School of Health and Related Research (ScHARR) de l’Université de Sheffield en janvier 2017, à titre de conférencière honoraire et de tutrice d’évaluation. 

Danielle Doughman
health policy and advocacy specialist
Gershim Asiki
Associate Research Scientist
Kristin Bash
Honorary Lecturer and Assessment Tutor