Alors que l’Inde poursuit sa lutte contre la pandémie, l’impact de celle-ci sur l’activité économique du pays reste une préoccupation majeure. En tirant des leçons de la première vague en 2020, cet article examine la façon dont les mesures d’endiguement ont influencé les résultats économiques globaux. Lors du « déconfinement » progressif après un confinement national en 2020, la reprise économique a été inférieure de 9,3 % dans les districts où les limitations de mobilité étaient maximales par rapport à ceux où elles étaient minimales. Les revenus des ménages ont été plus durement touchés que la consommation.
Avec environ 34,2 millions de personnes touchées par le virus au début du mois de novembre 2021, l’Inde est encore en lutte avec le Covid-19. Le site covid19India.org fait état de plus de 458 000 décès cumulés dans le pays.
Une approche largement adoptée pour lutter contre les infections consiste à restreindre la mobilité. Lors de la première vague d’infections en Inde, entre mars et mai 2020, le gouvernement a mis en place le « confinement le plus strict du monde ». Cette mesure a gravement perturbé l’activité commerciale et la mobilité, et des millions de migrants sont retournés dans leurs villages, les possibilités de travail dans les villes s’étant évanouies.
Ces migrants ont été confrontés à des difficultés considérables, parcourant souvent des centaines de kilomètres à pied ou à vélo, séjournant dans des camps humanitaires dépourvus de ressources, isolés de leurs familles et d’autres sources de soutien, et incapables de trouver de la nourriture ou des soins de santé. Les enquêtes menées par l’ONG internationale ActionAid révèlent un impact important sur les travailleurs du secteur informel, les confinements entraînant une destruction à long terme de leurs moyens de subsistance, une augmentation de la dette des ménages, une baisse de la consommation et une augmentation de la faim.
Vies ou moyens de subsistance
La raison d’être des mesures de confinement est d’enrayer la propagation du Covid-19 et de réduire la charge qui en découle pour le système de santé afin de sauver des vies. En outre, ces confinements peuvent permettre une reprise plus rapide de l’activité économique normale sur le long terme. Mais ils impliquent également des pauses à court terme dans l’activité économique.
Les confinements ont pu affecter davantage les pays en développement, car les infrastructures permettant de travailler à domicile et l’étendue de la numérisation y sont plus faibles que dans les économies avancées. Une part plus importante des ménages dépend de revenus quotidiens, et les filets de sécurité tels que la protection sociale y sont beaucoup plus faibles.
Dans une recherche récente, nous examinons les implications économiques du « déconfinement » graduel en mai et juin 2020, lorsque le gouvernement central a décidé d’appliquer des règles de confinement différentes selon les districts. Alors que les pays sont confrontés à l’incertitude de nouvelles vagues de Covid-19 potentielles, notre recherche apporte des estimations des coûts économiques globaux à court terme auxquels un pays en développement pourrait être confronté du fait des confinements – et ce grâce à l’examen du cas de l’Inde.
Comment le confinement par zones a-t-il affecté l’activité économique ?
Le 25 mars 2020, le gouvernement indien a annoncé un confinement global à l’échelle nationale qui a été mis en œuvre uniformément dans tous les États et districts. Durant cette période, la quasi-totalité des bureaux, des établissements commerciaux et privés, des unités industrielles, ainsi que des services publics ont été fermés. La plupart des services de transport – y compris les vols internationaux et nationaux, les chemins de fer et les routes – ont été suspendus. Les services hôteliers et les établissements d’enseignement ont été fermés.
Ce confinement national a duré jusqu’au 3 mai 2020. Une étude détaillée de la Banque mondiale a révélé que l’intensité lumineuse nocturne en Inde a diminué pendant le confinement national strict en mars et avril par rapport aux mois précédents.
Pour faciliter une reprise progressive de l’activité économique, le gouvernement a annoncé un déconfinement différencié des districts avec trois catégories de zones : 130 districts en zone rouge, 284 en zone orange et 319 en zone verte (voir Figure 1).
À partir du 4 mai 2020, les districts ont été classés en fonction de critères multiples, notamment l’incidence du nombre de cas, l’étendue du dépistage et la vulnérabilité face à la pandémie. Le ministère de la Santé et de la Famille a défini les zones rouges (avec restrictions maximales) comme les districts où le nombre de cas était le plus élevé et où le temps de doublement était inférieur à quatre jours, les zones orange de restrictions intermédiaires, et les zones vertes, avec restrictions minimales, si les districts n’avaient eu aucun cas actif en 21 jours. Les données de localisation des téléphones portables au niveau des districts, fournies par Google et Facebook, ont corroboré le fait que ces restrictions étaient effectivement efficaces pour réduire la mobilité.
En utilisant une technique de recherche permettant de comparer l’évolution des résultats au fil du temps dans des groupes exposés à une intervention particulière avec des groupes similaires qui ne l’ont pas été (« l’écart dans les différences »), nous mesurons l’impact de ces classifications de zones graduelles sur l’intensité lumineuse nocturne à haute fréquence.
Les données relatives à l’éclairage nocturne (provenant des satellites de la NASA en orbite autour de la terre) sont un indicateur communément utilisé pour surveiller l’activité économique globale. Nous avons observé les districts pendant les mois de mai et juin 2020, en les comparant à ceux de mars et avril 2020, lorsque les restrictions étaient uniformes.
Figure 1. Zones de confinement des districts
Source : Image des auteurs.
Notre conclusion principale est que la reprise économique, mesurée par l’intensité lumineuse nocturne, était inférieure de 9,3 % dans les districts en zone rouge (où les restrictions étaient maximales) par rapport aux districts en zone verte (avec des restrictions minimales). La même méthode révèle que la reprise était inférieure de 1,6 % dans les districts en zone orange par rapport aux districts en zone verte. Ces résultats ne sont pas affectés par les grandes métropoles urbaines de l’Inde et se maintiennent même lorsqu’elles sont exclues de l’analyse.
Nous analysons également l’impact de la classification en zones rouge, orange et verte sur la consommation et le revenu des ménages. Les enquêtes mensuelles menées auprès des ménages indiens par le Centre de surveillance de l’économie indienne suggèrent que la baisse des revenus des ménages et la réduction de la consommation sont des canaux importants par lesquels les restrictions zonales ont affecté l’intensité lumineuse nocturne.
Certains districts ont été plus touchés par les restrictions que d’autres. Par exemple, les districts les plus développés, dont la densité de population, la part de l’emploi dans les services, le crédit par habitant et l’âge moyen sont supérieurs à la moyenne, ont subi des répercussions plus importantes.
Les leçons à tirer de la lutte continue contre le Covid-19
Quand, en 2021, l’Inde luttait contre une deuxième vague de Covid-19, les gouvernements des différents États ont imposé de nouvelles restrictions de mobilité tout en essayant de maintenir l’activité économique. La stratégie consistant à imposer des confinements au niveau des États et des microzones de confinement en 2021 pourrait avoir des effets économiques moins graves que le confinement national de 2020.
Un examen plus approfondi des enseignements tirés de la première vague indique que les caractéristiques propres aux districts, telles que l’âge, la densité de population et la part des secteurs de services à forte intensité de contacts, sont des déterminants importants de l’impact sur l’activité économique.
Le fait que les revenus des ménages aient diminué davantage que la consommation en 2020 souligne l’importance de préserver les moyens de subsistance tout en luttant contre le Covid-19. À cet égard, les programmes publics ciblant l’emploi et la création de revenus pour les travailleurs peu qualifiés pourraient potentiellement se prémunir contre les pertes d’emploi et les réductions de salaire.
Aux premiers stades de la pandémie, aucun vaccin n’était disponible. Par conséquent, le compromis politique principal ne consistait pas à choisir entre confinement et vaccination, mais entre différents niveaux d’intensité des mesures de confinement.
Au fur et à mesure que les vaccins ont été développés et fabriqués, un débat dans de nombreux pays en développement a été de savoir si les fonds publics devaient être utilisés pour financer les vaccinations et les dépenses de santé publique. Notre analyse met en évidence les coûts économiques des mesures de confinement pour lutter contre le Covid-19, en établissant un point de référence pour évaluer les avantages d’un meilleur accès à la santé publique et aux vaccins.