Comment protéger les intérêts des communautés locales lorsque l’on découvre des gisements de ressources naturelles sur leurs terres ? Cet article présente des observations en provenance du Mozambique concernant l’importance de réaliser des campagnes d’information auprès de l’ensemble des citoyens dans le but de garantir la transparence et d’éviter la mauvaise gestion, la corruption et tout autre effet indésirable de la « malédiction des ressources naturelles ».
Au cours des dernières années, d’importants gisements de ressources naturelles ont été découverts au Mozambique. Dans le nord du pays, les réserves de gaz découvertes dans la province de Cabo Delgado (cf. Figure 1) peuvent transformer le Mozambique, actuellement l’un des pays les plus pauvres au monde, en acteur international du marché du gaz naturel liquéfié.
En parallèle, la gestion des ressources naturelles du Mozambique figure en bas des classements internationaux. Ces différents facteurs créent un contexte idéalement propice à la « malédiction des ressources naturelles », à savoir le phénomène selon lequel l’abondance de ressources naturelles entraine de façon paradoxale une diminution de la croissance économique.
Depuis Adam Smith, les économistes s’efforcent d’expliquer cette malédiction des ressources naturelles. Tandis qu’aucun consensus ne se dégage concernant son origine, des études récentes s’attardent sur le rôle de la mauvaise conduite des hommes et femmes politiques, souvent associée à la corruption et à des guerres civiles.
Les expériences dans les années 1990 de certains pays africains tels que l’Angola, le Nigeria et la Sierra Leone, des pays riches en pétrole et en mines de diamants ne parvenant pas à tirer profit de leurs grandes réserves de ressources naturelles, font aujourd’hui office d’exemples types. Tandis que les études se concentrent essentiellement sur les institutions nationales, de plus en plus d’éléments confirment l’ampleur des pressions politiques au niveau local.
Le cas du pétrole brésilien en est une illustration. En effet, si l’extraction de pétrole a permis d’accroitre les revenus de l’administration locale, la fourniture de biens publics ne s’est pas améliorée tandis que dans le même temps, la corruption a augmenté. Ces résultats se confirment également par les observations à Sao Tomé-et-Principe, où la découverte de ressources naturelles a entrainé une augmentation de l’achat de votes.
Dirigeants locaux et communautés locales
Dans le cadre de l’analyse de la malédiction des ressources naturelles, le rôle central des dirigeants politiques locaux est de toute évidence lié à celui des communautés locales. Dans ce domaine, alors que la plupart des études portent sur les conséquences de l’exploitation des ressources naturelles, peu d’éléments décrivent le comportement des communautés locales en prévision de gains importants liés à l’exploitation de ressources naturelles.
Compte tenu du manque criant de transparence dans la gestion des ressources naturelles des pays africains, les communautés les plus directement concernées sont rarement informées des bénéfices potentiels de l’exploration des ressources à la suite de la découverte de gisements. Ces découvertes sont par conséquent source d’incertitudes.
Tel est le cas au Mozambique. Dans la province de Cabo Delgado, du fait de l’indépendance limitée et de la faible pénétration des médias, peu de membres des communautés locales ont connaissance de la récente découverte de gaz. Dans ce contexte, en apprenant la découverte de ressources naturelles, les dirigeants locaux sont plus susceptibles de vouloir renforcer leur pouvoir politique et poursuivre leurs activités de corruption plutôt que de vouloir impliquer la communauté locale.
De ce fait, la malédiction des ressources naturelles peut être limitée par la promotion d’institutions locales qui renforcent la redevabilité des responsables politiques. Ainsi, avec des exigences plus élevées en matière de redevabilité, les élites locales sont plus enclines à agir dans l’intérêt général. Dans cet objectif, les campagnes d’information peuvent être déterminantes.
Campagnes d’information
Une étude récente de NOVAFRICA, l’institut de recherche de la faculté de commerce et d’économie Nova de l’Université Nova de Lisbonne, a traité le potentiel de la sensibilisation des communautés locales en matière d’atténuation de la malédiction des ressources naturelles. Des campagnes d’éducation civique à grande échelle ont déjà prouvé leur efficacité au Mozambique du point de vue de la participation politique. Ceci étant dit, la découverte de gaz dans la province de Cabo Delgado n’a entrainé aucune initiative d’information.
Par conséquent, NOVAFRICA a suivi une campagne d’information réalisée dans cette province en 2017 par une large coalition d’organisations. L’objectif de cette campagne était de fournir aux communautés locales des informations importantes concernant la découverte de gaz naturel. Cette campagne portait sur des informations telles que la nature des gains escomptés et les droits des populations locales à bénéficier de l’exploitation des ressources découvertes.
Afin de comprendre les effets de la sensibilisation et de la redevabilité sur la malédiction des ressources naturelles, 206 villages ont été sélectionnés pour participer à cette étude et répartis en trois groupes.
Tout d’abord, afin d’analyser la malédiction des ressources naturelles dans toute sa complexité, il convient non seulement d’observer le comportement des citoyens, mais également d’étudier le rôle des structures politiques locales. Pour cela, dans le premier groupe de villages, seuls les dirigeants politiques locaux ont bénéficié de la session d’information (cf. Figure 2).
Au Mozambique, les dirigeants locaux sont des personnes bien identifiées et constituent les plus hauts représentants du gouvernement au sein de chaque communauté. Chaque communauté choisit ses dirigeants, lesquels sont ensuite reconnus par l’État. Les compétences des dirigeants concernent principalement la répartition des terres, l’application de la loi, le développement rural et les cérémonies formelles. Par ailleurs, ils doivent être consultés lorsque des ressources naturelles sont découvertes dans la communauté ou lorsque des programmes d’aide ou publics doivent être mis en œuvre.
Le premier groupe de villages présente un faible niveau de redevabilité et reproduit des mécanismes d’information basés sur les structures politiques existantes. Dans ces cas de figure, les citoyens n’ont généralement pas accès à l’information.
Dans le deuxième groupe, l’ensemble de la communauté a assisté à la session d’information (cf. Figure 3). Cette méthode a accru le degré de redevabilité et a utilisé les communautés comme un moyen d’augmenter la redevabilité des dirigeants locaux. Une telle implication de la communauté se révèle essentielle pour accroitre la redevabilité des dirigeants politiques locaux.
Dans le troisième groupe de villages, aucune information n’a été fournie de façon à observer le déroulement normal des événements en l’absence de campagne d’information.
Qu’avons-nous appris ?
La campagne à l’échelle de la communauté a permis d’informer efficacement les citoyens et les dirigeants concernant la découverte de gaz naturel. Les citoyens sont notamment devenus plus optimistes.
En revanche, lorsque seuls les dirigeants locaux ont reçu les informations, les citoyens n’ont pas eu accès à ces informations et seuls les dirigeants ont acquis des connaissances. Les mécanismes d’information centrés sur les structures politiques existantes n’ont pas permis de sensibiliser les communautés. Cela suggère que les dirigeants sont incapables ou ne souhaitent pas diffuser les informations aux autres membres de la communauté.
Par ailleurs, le fait de cibler uniquement les dirigeants a augmenté l’accaparement des ressources par les élites ainsi que la recherche de rente de la part des dirigeants et des citoyens. Les dirigeants sont devenus encore plus favorables à la corruption, et les services publics ont été attribués à des membres de la communauté moins méritants.
Le détournement de fonds publics a également augmenté. Le fait de fournir les informations uniquement aux dirigeants n’a augmenté que de 27 % les probabilités de circulation de l’information. Les citoyens montraient également moins d’intérêt dans les activités de production. Enfin, ces derniers ont renforcé leurs relations avec les dirigeants locaux, au même titre que leur volonté de rencontrer des dirigeants politiques de niveau supérieur.
Concernant les campagnes d’information ayant ciblé la communauté dans son intégralité, aucun élément n’indique la présence des mécanismes négatifs mentionnés ci-dessus. À l’inverse, la mobilisation des citoyens a augmenté, au même titre que leur confiance, leurs revendications et la redevabilité des responsables. Dans ces villages, la violence a également diminué.
Les résultats de cette étude confirment que la malédiction des ressources naturelles peut résulter de la mauvaise gouvernance des dirigeants politiques locaux en prévision d’un bénéfice significatif. Cette affirmation est pertinente pour les décideurs pour deux raisons :
- la première est qu’une campagne d’information globale peut permettre de sensibiliser la population concernant la découverte de ressources naturelles et d’organiser des discussions concernant leur gestion ;
- la seconde est qu’une campagne d’information comporte des effets incontestables sur la confiance accordée aux différents niveaux de pouvoirs publics et permet de réduire les violences.
Compte tenu de la corrélation entre malédiction des ressources naturelles et conflit localisé dans les zones d’exploitation de ressources naturelles, ces constatations sont d’une importance capitale. En marge du développement de l’exploration de ressources, la gestion adéquate des attentes des populations locales et la mise en œuvre de processus de gestion inclusive peuvent s’avérer déterminantes pour éviter l’émergence de conflits de ce type.
Figure 1. Zone d’étude. |
Figure 2. Un dirigeant communautaire prend connaissance des informations concernant la découverte de gaz naturel, dans un village où seul le dirigeant a reçu ces informations. |
Figure 3. Réunion communautaire de présentation de la campagne d’information dans un village où les informations ont été diffusées à l’ensemble de la communauté. |
Auteur.e.s :
Alex Armand est maître de conférences à la faculté de commerce et d’économie Nova de l’Université Nova de Lisbonne, membre de l’institut de recherche NOVAFRICA et chercheur universitaire à l’Institut des études fiscales et au Centre pour le développement international de Navarre.
Alexander Coutts est maître de conférences d’Économie à la faculté de commerce et d’économie Nova de l’Université Nova de Lisbonne et membre de l’institut de recherche NOVAFRICA.
Pedro C. Vicente est maître de conférences à la faculté de commerce et d’économie Nova de l’Université Nova de Lisbonne. Il est également le fondateur et directeur scientifique de NOVAFRICA.
Inês Vilela est doctorante en Économie au sein de la faculté de commerce et d’économie Nova de l’Université Nova de Lisbonne et est affiliée à NOVAFRICA.