Malgré des progrès mondiaux dans le domaine des infrastructures numériques, les pays à revenu faible et intermédiaire sont toujours confrontés à des obstacles systémiques qui empêchent un partage de données efficace. Ces défis ont trait à des considérations techniques, juridiques, organisationnelles et culturelles, et perpétuent souvent les inégalités d’accès aux possibilités offertes par les données. S’appuyant sur des études de cas et des recherches empiriques récentes, cette étude fait la synthèse d’éléments factuels relatifs aux obstacles persistants et aux stratégies émergentes qui illustrent comment l’infrastructure numérique publique contribue à surmonter ces défis.
Le débat mondial sur l’infrastructure numérique publique prend de l’ampleur et modifie la façon dont les pays abordent la question de la transformation numérique. L’infrastructure numérique publique pourrait fournir un cadre plus large pour la mise en place d’écosystèmes sûrs, interopérables et inclusifs. Cependant, pour que les pays à revenu faible et intermédiaire puissent véritablement en tirer parti, il est urgent de relever les défis persistants liés aux infrastructures, aux cadres juridiques et aux droits des utilisateurs (trices).
De récentes analyses révèlent que les pays à revenu faible et intermédiaire continuent de se heurter à des obstacles systémiques en ce qui concerne le partage de données, 72 % des pays d’Afrique subsaharienne connaissant une aggravation des problèmes d’interopérabilité depuis 2020 en raison de la fragmentation des initiatives de numérisation. De précieux éléments ont été collectés dans le secteur de la santé afin d’observer de quelle manière ces problèmes d’interopérabilité se manifestent concrètement dans les pays à revenu faible et intermédiaire.
Les préoccupations relatives à la compatibilité des droits et des conditions d’utilisation des données provenant de sources multiples – permettant à des utilisateurs (trices) de consolider, partager et réutiliser des données sans violer les obligations légales ni compromettre les droits des sources de données – peuvent être d’importants freins au partage efficace des données. Au même titre que d’autres systèmes numériques, une infrastructure inadéquate, une connectivité internet peu fiable, les coupures d’électricité, les pannes logicielles et les solutions de gestion des données inadaptées contribuent à la fragmentation des données et à des problèmes liés au format de données.
L’absence d’une méthode commune peut constituer un problème en ce qui concerne la réalisation de certaines mesures, par exemple pour déterminer la couverture des prêts ou l’encours d’une dette dans le cadre de travaux de rapprochement des données relatives à l’endettement public, des opérations essentielles pour permettre la prise de décisions éclairées et viables en matière d’emprunt. Les litiges relatifs à la propriété intellectuelle sont une difficulté supplémentaire pour la coopération transfrontalière. La crise de 2007 de la grippe aviaire H5N1 a révélé des tensions lorsque l’Indonésie a omis de partager des séquences virales par crainte que des pays à revenu élevé développent des vaccins inabordables à partir de ses échantillons. Même à l’intérieur d’un pays, le manque d’harmonisation des politiques infranationales crée des goulets d’étranglement. Dans les pays à revenu faible et intermédiaire, les systèmes de classification de données ne sont pas harmonisés d’un ministère à un autre, ce qui entrave la collaboration interministérielle et l’utilisation des données administratives par leurs propres organismes de statistiques.
De manière plus globale, alors que les possibilités de réutilisation des données se développent rapidement, les mécanismes visant à recueillir le consentement des utilisateurs (trices) s’avèrent inefficaces. Le consentement est couramment présenté comme une option non négociable « à prendre ou à laisser », généralement par le biais de politiques de confidentialité longues et complexes dont la plupart des individus ne peuvent appréhender. Les systèmes de consentement actuels affichent à la fois des limites cognitives (les utilisateurs ·trices ne peuvent pas traiter ou comprendre des messages complexes) et des problèmes structurels (lassitude à l’égard des demandes de consentement, rapports de pouvoir déséquilibrés…). Le consentement n’est souvent qu’une simple formalité ouvrant la voie à des modèles d’activité fondés sur les données au lieu de protéger l’autonomie des utilisateurs (trices).
Par conséquent, il est essentiel de placer les utilisateurs et utilisatrices au cœur de la conception de l’infrastructure numérique publique afin que chaque personne puisse maîtriser l’utilisation de ses données de manière simple, efficace et conforme à ses intérêts.

Apprentissage et nouvelles solutions
Le Règlement général sur la protection des données (RGPD) joue un rôle central dans l’élaboration des systèmes mondiaux de protection de la confidentialité et des données, ses principes fondamentaux faisant l’objet d’un large consensus. Sa mise en œuvre se heurte cependant à plusieurs défis, en particulier pour les gouvernements des pays à revenu faible et intermédiaire, qui doivent composer avec des ressources très limitées. Ces pays doivent donc absolument mettre au point leur propre réglementation relative aux données personnelles afin d’y intégrer leurs priorités, leurs besoins et les capacités locales.
Le partage des données du secteur public a évolué de manière significative au cours des dernières décennies – le plus récemment grâce au mouvement en faveur de l’ouverture des données – principalement dans les pays développés qui disposaient déjà d’une infrastructure de données et d’institutions solides. Dans le même temps, des pratiques d’extraction de données, le manque d’innovation contextualisée et de mécanismes de coordination, ainsi que le renforcement des inégalités structurelles demeurent des obstacles majeurs qu’il convient d’éliminer dans le cadre de la mise en place des nouveaux modèles de partage de données.
L’approche axée sur l’infrastructure numérique publique consiste à repenser la manière dont les systèmes numériques fondamentaux qui sous-tendent les technologies, les marchés et la gouvernance peuvent être conçus et déployés à grande échelle, efficacement et en toute sécurité. L’une des principales fonctions de l’infrastructure numérique publique est de réduire les obstacles au partage de données grâce à l’interopérabilité, garantissant la sécurité des données à la fois au moyen de la conception (safety by design) et de la documentation contractuelle (safety by contract) afin de permettre un partage de données responsable entre les parties prenantes. De nombreuses initiatives déployées au niveau mondial pour repenser, mettre en œuvre et développer le partage de données se sont révélées prometteuses et doivent être examinées minutieusement.
Les exemples fructueux d’infrastructure numérique publique
Avec un demi-milliard d’utilisateurs finaux dans 25 pays participant aux échanges de données, X-Road (une solution d’Estonie) offre un modèle qui peut être résilient, sûr et efficace pour les administrations. Son application à des usages transfrontaliers et les essais concernant l’interopérabilité entre des pays nordiques, ainsi que son statut de bien public numérique, sont précieux à l’heure où les flux de données internationaux deviennent un aspect essentiel de la coopération régionale.
La République de Maurice a créé un écosystème de partage de données et favorisé la mise en place d’un environnement propice à l’innovation pour les entreprises et les entrepreneurs dans le cadre du programme InfoHighway. En plus de sa plateforme numérique, le gouvernement a mis en place une législation sur la protection des données et des politiques sur l’ouverture des données, développé les capacités stratégiques d’institutions centrales et les capacités opérationnelles dans une démarche de décentralisation, et investi en faveur de solutions sectorielles, tout ceci dans le but de garantir l’efficacité et l’utilité de l’écosystème de partage de données.
En Inde, à la fin de 2024, 120 millions de comptes et 570 entités financières réglementées avaient été intégrés à l’écosystème d’agrégateurs de comptes, une expérimentation de finance ouverte menée par l’industrie. La confiance et la commodité de cet écosystème conduisent à une plus grande volonté de partager des données tout en garantissant que les utilisateurs (trices) gardent le contrôle sur l’étendue et la durée du partage de leurs données.
L’infrastructure numérique publique offre une voie prometteuse pour relever les défis persistants en matière de partage des données. Mettant l’accent sur l’interopérabilité, la gouvernance et le contrôle utilisateur, cette approche permet de générer des écosystèmes dans lesquels les données peuvent circuler en toute sécurité pour le plus grand bénéfice de la société. Les initiatives fructueuses mises en œuvre dans divers contextes montrent qu’avec une architecture adéquate, il est possible d’exploiter tout le potentiel des données pour les secteurs public et privé tout en assurant que les pays à revenu faible et intermédiaire ne sont pas laissés pour compte dans la transformation numérique.
Cet article fait partie d’une série produite en collaboration avec le Centre international pour la fiscalité et le développement de l’Institute of Development Studies (IDS), au Royaume-Uni, qui explore le rôle de l’infrastructure publique numérique (DPI) dans le renforcement des capacités de l’État et la promotion du développement. Les contributions à cette série sont les bienvenues.