Partout en Inde, la pollution est en train de miner silencieusement les résultats scolaires de millions d’enfants. De l’air toxique à l’eau contaminée, en passant par le bruit urbain incessant, de nouvelles preuves montrent comment diverses formes de pollution environnementale nuisent à la capacité des enfants à apprendre et à s’épanouir. Le présent article analyse les dernières recherches sur ces coûts cachés et soutient que la lutte contre la pollution doit être au cœur de toute politique éducative.
À l’hiver 2024, toutes les écoles primaires de Delhi ont été contraintes de fermer en raison de niveaux dangereux de pollution atmosphérique. Pendant plusieurs semaines, l’indice de qualité de l’air (IQA) est resté à des niveaux dangereux, bien au-dessus des seuils de sécurité.
Malgré les préoccupations croissantes concernant les émissions nocives, les recherches sur l’impact de la pollution sur l’éducation sont limitées, en particulier dans les pays en développement. L’Inde compte 17 des 30 villes les plus polluées au monde, où la qualité de l’air est près de dix fois inférieure aux normes fixées par l’OMS. Les centrales thermiques, la pollution causée par les véhicules, les émissions industrielles et la combustion des résidus agricoles, ainsi que le kérosène et la biomasse sont quelques-unes des principales causes de la pollution atmosphérique en Inde.
La pollution de l’eau est également une préoccupation majeure. Selon les données du Central Pollution Control Board (CPCB), plus de 60 % des tronçons fluviaux surveillés en Inde sont pollués. Les principaux contaminants sont les coliformes fécaux, les nitrates et les déchets industriels. Ces risques environnementaux touchent principalement les groupes vulnérables, et en particulier les enfants. Ils augmentent le risque de maladie, entravent le développement physique et cognitif et limitent l’épanouissement du potentiel humain.
Conditions environnementales et capital humain
L’Inde affiche un taux de scolarisation quasi parfait dans le primaire. Cependant, le rapport annuel sur l’état de l’éducation (2024) note que seuls 23 % environ des élèves de troisième année (7 à 8 ans) des écoles publiques sont capables de lire des textes de deuxième année (6 à 7 ans), et que seuls 45,8 % des élèves de huitième année (13 à 14 ans) sont capables de résoudre des problèmes arithmétiques élémentaires. Plusieurs facteurs expliquent cette situation, notamment le manque de compétences de base, un enseignement qui ne correspond pas au niveau réel des élèves, des classes surchargées et la formation insuffisante des enseignants. À cela s’ajoute la pollution environnementale, un facteur souvent négligé par les décideurs politiques.
Une étude réalisée en 2023 démontre qu’une exposition à court terme à la pollution atmosphérique réduit considérablement les compétences des enfants en mathématiques et en lecture. Les jours de forte pollution, lorsque les niveaux de particules fines sont élevés, les résultats aux tests baissent, en particulier ceux des élèves des classes inférieures et ceux qui rencontrent des difficultés scolaires. Cette étude confirme les conclusions des neurosciences et de l’économie de la santé, qui suggèrent que la pollution atmosphérique peut réduire l’attention, la mémoire et les fonctions exécutives, toutes essentielles à l’apprentissage.
Une autre étude récente examinant les données de 39 districts du bassin du Gange, où des dizaines de millions de personnes dépendent du fleuve pour leurs besoins quotidiens, montre que la mauvaise qualité de l’eau nuit aussi à l’éducation des enfants. Elle révèle que la consommation d’eau contenant des coliformes fécaux réduit sensiblement les résultats en lecture, en écriture et en mathématiques, quelle que soit la classe économique.
Ce lien entre pollution et baisse des résultats scolaires demeure prépondérant même lorsque l’on tient compte des différences de milieu familial, de qualité de l’enseignement et de conditions sanitaires. L’exposition à l’eau contaminée augmente également l’incidence de maladies diarrhéiques, de la malnutrition et de troubles cognitifs, avec pour conséquence des enfants qui peuvent manquer des jours d’école, avoir des difficultés à se concentrer ou souffrir de retards de développement en raison de problèmes de santé chroniques.
Dans les villes indiennes en pleine expansion, la pollution sonore due aux travaux et à la circulation nuit également au potentiel d’apprentissage. Le bruit excessif a un impact considérable sur les résultats aux examens et accroît le taux d’échec, surtout chez les garçons plus âgés. Alors que les villes se développent, il devient de plus en plus urgent d’atténuer ce problème afin de renforcer les résultats scolaires dans les centres urbains indiens.
Que peuvent faire les décideurs politiques ?
Intégrer la surveillance environnementale dans la planification de l’éducation
Les infrastructures éducatives doivent être tenues au courant des informations issues des données sur l’exposition environnementale. Par exemple, l’intégration d’indicateurs environnementaux tels que les données sur la qualité de l’eau dans la planification de l’éducation peut aider à identifier les endroits où les enfants sont doublement défavorisés par une mauvaise santé et des résultats scolaires médiocres.
En somme, la politique éducative en Inde doit être « axée sur l’environnement », ce qui n’est pas possible sans un meilleur suivi. Outre les efforts de sensibilisation et la teneur des programmes, aucun programme à grande échelle n’évalue actuellement la propreté des écoles ou la santé des élèves et des professeurs comme objectif explicite.
Les chercheurs et les décideurs politiques analysent souvent des questions comme l’absentéisme et les mauvais résultats scolaires à travers des facteurs socio-économiques et négligent le rôle de la qualité de l’environnement scolaire. Le système d’information unifié des districts pour l’éducation Plus (UDISE+) pourrait reprendre son cadre existant pour inclure des indicateurs tels que la qualité de l’air, le fonctionnement de l’approvisionnement en eau, l’hygiène, la ventilation et la température des locaux.
Renforcer les liens entre santé, environnement et éducation
En théorie, les programmes de santé scolaire qui combinent assainissement, eau potable et cartographie des risques environnementaux ont le potentiel de réduire les maladies et d’améliorer à la fois l’assiduité et les performances. Les améliorations apportées aux conditions d’approvisionnement en eau, d’assainissement et d’hygiène (ou WASH) dans les écoles peuvent notamment avoir un impact considérable sur les résultats scolaires.
Partout dans le monde, les pays qui ont développé des programmes WASH dans les écoles ont constaté des améliorations au niveau de l’assiduité, de la santé et des résultats scolaires. Par exemple, une étude de cas qualitative menée au Népal montre que l’insuffisance des programmes WASH, en particulier en matière d’hygiène menstruelle, a eu une incidence directe sur l’augmentation de l’absentéisme et la baisse des résultats scolaires.
Le renforcement des interventions WASH dans les écoles représente clairement un tremplin vers la bonne direction, et les régions de l’Inde sujettes à la pollution ne sont pas sans exemples de réussite. Dans certaines écoles, la propreté générale est récompensée, ce qui incite tout le monde à intensifier les efforts.
Combler le manque de données et de recherches
Les systèmes de données sur l’éducation tiennent rarement compte de l’environnement dans lequel les enfants apprennent, et la surveillance environnementale examine rarement l’impact de la pollution sur les résultats scolaires. Ce décalage empêche les décideurs politiques d’avoir une vision complète des difficultés auxquelles les enfants sont confrontés. Pour combler ce fossé, il faudrait mener des études longitudinales suivant les enfants au fil du temps, en établissant un lien entre leurs progrès scolaires et leur exposition à l’environnement.
Investir dans l’intégration des données est une première étape cruciale pour l’Inde. Au niveau international, des modèles peuvent servir de référence : aux États-Unis, par exemple, les directives nationales exigent la prise en compte des données environnementales, de la qualité de l’air, des émissions liées au trafic, des sites contaminés et des risques d’inondation lors du choix de l’emplacement des écoles. L’Inde pourrait adopter une approche similaire fondée sur des données probantes, en combinant des résultats d’enquêtes à grande échelle telles que l’Enquête nationale sur la santé familiale (NFHS) avec des données granulaires sur l’exposition fournies par le Conseil central de contrôle de la pollution (CPCB) afin de mettre en évidence les schémas locaux d’inégalité éducative liés à des facteurs environnementaux.
La pollution ne constitue pas seulement un problème environnemental ou sanitaire. Mais également un obstacle majeur au développement du capital humain. Dans des pays comme l’Inde, où des millions d’enfants sont déjà confrontés à des difficultés systémiques pour accéder à l’éducation, reconnaître la santé environnementale comme un élément fondamental des systèmes éducatifs peut contribuer à garantir la réalisation du plein potentiel de tous les jeunes.







