Environnement, énergie et nature

Préserver la biodiversité : le commerce et la finance au service d’un développement respectueux de la nature

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Romesh Vaitilingam

Les entreprises et les institutions financières sont confrontées à de graves risques en raison de la perte de biodiversité : non seulement elles dépendent des ressources naturelles, mais elles sont également considérées comme responsables de dommages considérables causés à l’environnement. La Conférence mondiale sur le développement 2023 a examiné les implications de la perte de biodiversité pour le secteur privé, soulignant le besoin critique d’une orientation vers un développement « positif pour la nature ».

Que peut-on faire pour résoudre la crise mondiale de la biodiversité et apporter des solutions « positives pour la nature » pour un développement durable ? Tel était le thème central de la conférence 2023 du Global Development Network (GDN). Des chercheuses et chercheurs, des responsables politiques et des praticien(ne)s du monde entier se sont réunis à Quito, en Équateur, pour discuter de cette problématique et des solutions possibles.

Plaider en faveur d’une action radicale pour remédier aux pertes potentiellement dévastatrices de la flore et de la faune pourrait reposer sur un argument moral concernant le respect des espèces et des relations complexes qui les unissent. Après tout, nous faisons tous et toutes partie de cet écosystème mondial. Mais il pourrait également s’agir d’un intérêt personnel. La nature fournit de nombreux services écologiques essentiels, notamment de la nourriture, des médicaments et de l’eau propre, sans lesquels l’humanité serait en grande difficulté.

Ce dernier argument devrait certainement convenir aux organisations du secteur privé, qui doivent de plus en plus tenir compte à la fois de leur impact sur le monde naturel et de leur dépendance à l’égard de ses ressources sous la forme de matières premières et d’autres intrants pour les processus de production. Les risques importants pour les affaires, associés à la perte de biodiversité sont une question cruciale pour les entreprises et les investisseurs.

En outre, de nouvelles données montrent que le « risque pour la biodiversité » n’affecte pas uniquement les prix des actifs financiers émis par le secteur privé, tels que les actions. Les recherches suggèrent qu’il nuit également aux notations de crédit souveraines dans les endroits où « l’effondrement partiel des écosystèmes » a nui à la pêche, à la production de bois tropicaux et à la pollinisation des espèces sauvages. Les marchés financiers n’ignorent plus la nature.

Alimentation et agriculture

Le secteur de l’alimentation et l’agriculture a un impact particulièrement important sur la nature. Comme le souligne la Banque mondiale, « c’est le fondement de la sécurité alimentaire, mais il est extrêmement vulnérable au changement climatique et contribue largement aux émissions de gaz à effet de serre ainsi qu’à la perte d’habitats et de biodiversité ». La gestion des compromis entre la conservation écologique et la garantie d’une alimentation suffisante pour tous et toutes est l’un des grands défis à relever pour un développement respectueux de la nature.

La conférence du GDN a donné lieu à une séance plénière sur l’équilibre entre les objectifs de production et de conservation, au cours de laquelle Jyotsna Puri, du Fonds international de développement agricole, a déclaré : « Nous produisons déjà assez de nourriture pour dix milliards de personnes et l’industrie alimentaire contribue à un tiers des émissions de carbone. Nous devons repenser le système de production alimentaire afin de traiter la nature à sa juste valeur. » Elena Lazos Chavero, de l’Universidad Nacional Autónoma de Mexico, a ajouté : « Ce que nous devons introduire dans le débat sur l’agriculture durable, la sécurité alimentaire et la biodiversité, c’est la justice alimentaire et l’équité sociale. »

Mais les grandes entreprises alimentaires (ou Big Food) en font-elles assez pour la durabilité ? Non, si l’on en croit la dernière étude comparative sur l’alimentation et l’agriculture de la World Benchmarking Alliance, qui classe les 350 entreprises les plus influentes du secteur en fonction de leur impact sur l’environnement, la nutrition et la société. D’après les données, la grande majorité des entreprises manquent à leur devoir de protéger la Terre et de nourrir la population mondiale de manière équitable.

Commerce

Le commerce international est un autre domaine clé pour les compromis. Le commerce peut exacerber la dégradation de la biodiversité, mais il a également la capacité de soutenir sa conservation, son utilisation durable et sa restauration. Dans un atelier sur un commerce positif pour la nature et le développement durable, Marianne Kettunen, de TRADE Hub, a déclaré que la coopération internationale et l’alignement des politiques commerciales sur les réglementations environnementales, la suppression des subventions nuisibles et la promotion de pratiques durables peuvent contribuer à résoudre la crise de la biodiversité.

Un rapport du Programme des Nations Unies pour l’environnement remarque que le Cadre mondial pour la biodiversité Kunming-Montréal (GBF), adopté en décembre 2022, fournit un nouveau point de référence en matière de pertinence de politique commerciale pour l’agenda de la biodiversité. L’attention croissante portée à l’environnement et au développement durable au sein de l’Organisation mondiale du commerce offre également l’occasion de discuter de la manière dont les politiques commerciales pourraient soutenir la mise en œuvre de l’agenda – et l’aligner sur l’Agenda 2030 des Nations unies pour le développement durable et ses Objectifs de développement durable – le commerce durable étant partie intégrante de la solution.

Finance

Qu’en est-il des interactions entre la nature et le système financier ? Comme le changement climatique ces dernières années, la perte de biodiversité est de plus en plus reconnue comme une source de risque financier susceptible de menacer la stabilité financière. Elle relève donc du mandat des banques centrales et des autorités de surveillance financière. Un rapport du Network for Greening the Financial System conseille à ces autorités publiques de commencer à évaluer le degré d’exposition des systèmes financiers à ce risque, en développant des analyses de scénarios et des tests de résistance en rapport avec la biodiversité, ainsi que des tableaux de bord de mesures de la biodiversité.

Le rapport appelle également à la mise en place de « l’architecture financière nécessaire pour mobiliser les investissements en faveur d’une économie respectueuse de la biodiversité ». Ce défi a été largement discuté lors de la conférence, notamment en référence au « Sommet pour un nouveau pacte financier mondial » convoqué à Paris par le président Macron en juin 2023. Son objectif était de « poser les bases d’un système financier international renouvelé, créant les conditions d’un choc de financement pour qu’aucun pays n’ait à choisir entre la réduction de la pauvreté, la lutte contre le dérèglement climatique et la préservation de la biodiversité ».

La création de nouvelles catégories d’actifs positifs pour la nature constitue un élément clé du programme de financement. Ces questions ont été abordées lors d’une conférence plénière sur le financement de la conservation de la biodiversité. Camilo Santa, de la Banque interaméricaine de développement (BID), a cité un certain nombre d’exemples, dont l’échange « dette-nature » de l’Équateur, qui consiste à vendre des « obligations bleues » qui serviront à financer la conservation des îles Galápagos, l’un des écosystèmes les plus précieux au monde. Ce cas équatorien pourrait servir de modèle à d’autres pays très endettés mais riches en nature. La BID a également aidé des pays comme la Colombie et le Costa Rica à élaborer des stratégies de redressement post-pandémie fondées sur le capital naturel.

La voie à suivre

L’objectif ultime de tous ces projets et programmes relatifs à la biodiversité et au développement durable est de soutenir une réorientation des flux financiers mondiaux vers des résultats positifs pour la nature plutôt que vers des résultats négatifs comme actuellement. Comme l’ont largement reconnu les participants à la conférence du GDN, cela supposera une combinaison d’initiatives des secteurs public et privé, ainsi que diverses mesures de type bâtons et carottes pour encourager les changements nécessaires des comportements humains individuels et collectifs.

Nous pouvons tirer de nombreux enseignements de notre réponse à la menace du changement climatique. Par exemple, la Task Force on Climate-related Financial Disclosures (groupe de travail sur la publication d’informations financières relatives au climat), qui a galvanisé l’information des entreprises sur les risques climatiques, a inspiré la Taskforce on Nature-related Financial Disclosures  (TNFD ou groupe de travail sur la publication d’informations financières relatives à la nature). Cette dernière se décrit comme « une initiative dirigée par le marché, fondée sur la science et soutenue par le gouvernement, qui fournit aux organisations les outils nécessaires pour agir sur les questions liées à la nature en constante évolution ». La TNFD a publié des directives détaillées à l’intention des entreprises et des milieux financiers sur la manière d’intégrer la nature dans les prises de décisions.

Les gouvernements commencent également à tirer les leçons de la réponse au changement climatique en finançant la conservation de la nature, par exemple dans le cadre du programme national de croissance verte du Brésil et du Green Deal européen. La proposition de loi de l’Union européenne (UE) sur la restauration de la nature représente davantage un « bâton » qu’une « carotte ». À l’instar de la législation européenne précédente visant à lutter contre le changement climatique, cette loi établirait des objectifs juridiquement contraignants pour les écosystèmes forestiers, marins, urbains et agricoles.

De telles initiatives constituent en fait une pression auto-imposée sur les gouvernements pour les inciter à atteindre les objectifs de conservation – et ceux-ci exerceront à leur tour une pression sur le secteur privé et la société dans son ensemble.

En fin de compte, la protection de la biodiversité peut être justifiée par les avantages économiques, sociaux et sanitaires qu’apporte la nature. Un développement positif pour la nature est bon pour les gens et pour la planète.

La photographie accompagnant l’article et intitulée « Before the sun sets » a été prise par Santiago Sainz-Trápaga. Elle a remporté la troisième place dans la section sur la préservation de la biodiversité du concours photo organisé par le GDN en collaboration avec le WWF Équateur lors de la conférence 2023 du GDN sur la biodiversité et le développement.

Romesh Vaitilingam
Écrivain économique