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Quel avenir pour le programme d’identité numérique du Nigéria ?

9 min

by

Rotimi Owolabi

Le programme d’identité numérique du Nigéria est au cœur des projets du pays dont le but est de construire une économie numérique robuste et de rendre la prestation des services publics plus efficiente. Malgré des avancées significatives, des défis d’ordre structurel subsistent. Des mesures doivent être prises afin de promouvoir un accès inclusif à l’identité numérique et améliorer la prestation des services publics, sans quoi le programme pourrait ne pas atteindre son objectif de promotion du développement national.

À l’heure actuelle, plus de la moitié de la population nigériane possède une identité numérique. Selon la National Identity Management Commission – la Commission nationale de gestion de l’identité numérique du Nigéria – 121 millions de numéros d’identité numérique sont actifs au 30 juin 2025, une base solide pour l’économie numérique et la transformation des services publics. Le Numéro d’identification nationale (NIN) est l’un des piliers de l’infrastructure numérique publique du Nigéria – il simplifie les vérifications d’identité et donne accès à divers services.

Cela étant, alors que de plus en plus des NIN sont émis, ce qui constitue une avancée importante dans le pays, plusieurs éléments entravent la généralisation de l’identité numérique et la mise en place de systèmes inclusifs, sécurisés et interopérables pouvant offrir des avantages à l’ensemble de la population.

Le gouvernement nigérian a intensifié ses efforts afin d’accélérer les créations des NIN. L’enregistrement à l’aide d’un NIN est désormais requis pour accéder à la quasi-totalité des services gouvernementaux ainsi que pour prouver son identité dans le cadre d’une demande de permis de conduire, de passeport ou de carte d’électeur.

Dans le but d’inciter à la création d’une identité numérique, le gouvernement a récemment lancé une carte d’identité nationale multi-usage (GMPC) créée en collaboration avec la Banque centrale du Nigéria et le Nigeria Inter-Bank Settlement System. La GMPC aura diverses fonctions, et donnera notamment accès à des services financiers et à des services publics. 

Les priorités futures : inclusion, intégrité des données et interopérabilité

Malgré cet élan, plusieurs aspects menacent toujours la réalisation des objectifs globaux du Nigéria en matière d’identité numérique.

Le fossé entre les zones rurales et urbaines est le premier d’entre eux. Comme en témoignent diverses publications de médias, dont cet article de Sahara Reporters, l’accès aux services est en réalité limité dans les zones rurales, où peu de personnes sont au fait de l’identité numérique et les espaces permettant de créer une identité numérique sont rares. La création d’une identité numérique nécessite une connexion Internet pour la saisie des données requises, cependant, de nombreuses communautés rurales n’ont pas accès à une bande passante suffisante. En mars 2025, la bande passante couvrait moins de 48 % du territoire nigérian, il incombe à cet effet aux responsables politiques d’améliorer l’accès à Internet dans le pays.

La cybersécurité est également une source d’inquiétudes. La crédibilité du système d’identité numérique du Nigéria dépend de sa capacité à garantir l’intégrité et la sécurité des données qu’il contient. En juin 2024, des sites Web non autorisés vendaient illicitement des données à caractère sensible de citoyens et citoyennes du Nigéria, notamment leurs NIN.

La fraude suscite également des préoccupations. Plus tôt cette année, les autorités ont annoncé avoir découvert que plus de 6 000 personnes de nationalité nigériane avaient obtenu un NIN. Ces cas témoignent d’importantes failles dans les protocoles de vérification d’identité et appellent à la prise de nouvelles mesures pour renforcer les mécanismes de détection de fraudes à l’identité et de recoupement de données aux fins de vérification.

La confiance de la population est essentielle pour la réussite de tout programme d’identité numérique. Des pays ont en effet connu un sévère retour de bâton, à l’instar du Kenya où des groupes de protection des droits numériques ont saisi la justice concernant des risques pour la confidentialité et la protection des données dans le cadre du programme d’identité numérique kenyan, appelé « Huduma Namba ». Le déploiement du programme a ainsi été suspendu par la Haute Cour du Kenya.

Le Nigéria doit absolument éviter l’érosion de la confiance de la population au risque de mettre en péril ses ambitions en matière d’identité numérique. Par conséquent, Il est nécessaire de veiller à la bonne application de sa loi relative à la protection des données (Nigerian Data Protection Act). La sécurité permettra de gagner la confiance de la population, et elle est cruciale pour atteindre les objectifs du programme.

L’interopérabilité – la capacité de systèmes informatiques ou de logiciels à échanger et traiter des informations – est un autre enjeu majeur pour le Nigéria. Alors que la connexion des NIN à des services financiers et de télécommunications est relativement réussie, 96 % des cartes SIM étant reliées à un NIN en août 2024, leur intégration demeure inégale et moindre dans d’autres secteurs essentiels tels que la santé, l’éducation et la protection sociale. Un réseau incomplet est un réseau qui sert moins bien la réalisation des objectifs du programme.

Stratégie d’Identité Numérique du Nigéria
Trois impératifs essentiels pour se recentrer
Promouvoir un accès inclusif
Réduire l’écart entre zones rurales et urbaines
Renforcer l’intégrité et la confiance du public
Combattre les cyberrisques pour sécuriser la crédibilité de l’identité numérique
Améliorer l’interopérabilité et la prestation de services
Faire du NIN une source d’identité fiable sur toutes les plateformes
Gd

Et maintenant, que faire ?

Pour tirer parti de l’élan actuel et obtenir des résultats significatifs, le Nigéria doit promouvoir l’identité numérique en axant sa stratégie sur trois grands impératifs.

  1. Promouvoir l’accès inclusif à l’identité numérique : la réduction du fossé entre les zones rurales et urbaines doit devenir une priorité. Il est notamment nécessaire de créer de nouveaux centres d’enregistrement, en particulier dans les zones rurales, et d’inciter les agents à travailler dans ces zones. Les responsables politiques devraient collaborer avec les partis locaux, notamment les chefs traditionnels et communautaires, afin d’obtenir leur aide pour la sensibilisation de la population.
  2. Renforcer l’intégrité des données et la confiance de la population : les responsables politiques doivent absolument s’attaquer aux cyberrisques afin de préserver durablement la crédibilité du système d’identité numérique du Nigéria. En conséquence, il est nécessaire de veiller à la bonne application de sa loi relative à la protection des données (Nigerian Data Protection Act), ainsi que de poursuivre l’amélioration des mécanismes de détection des fraudes à l’identité et de recoupement de données aux fins de vérification.
  3. Améliorer l’interopérabilité et la prestation des services publics : les responsables politiques du Nigéria doivent faire du NIN la source d’identité la plus fiable sur les plateformes gouvernementales et privées, en s’assurant que ce système est utilisé dans des secteurs tels que ceux de la santé, de l’éducation et de la protection sociale. Pour cela, il sera nécessaire de coordonner les bases de données, de mettre en place des échanges de données en temps réel et d’établir des protocoles clairs de vérification d’identité dans tous les secteurs. Une meilleure interopérabilité des systèmes pourrait en outre améliorer l’efficience de la prestation des services publics et faire émerger des possibilités d’innovation en matière de technologie financière, de technologie de la santé et de services éducatifs.

En mars 2025, le Nigéria a mis en place un cadre de l’infrastructure numérique publique. Celui-ci comprend trois piliers : l’identité numérique, les paiements numériques et l’échange de données. Ce cadre pourrait servir de base pour renforcer l’interopérabilité des plateformes publiques et privées à l’aide de structures telles que Nigerian Data Exchange (NGDX), un service d’échange de données, et du Nigerian Digital Public Infrastructure Centre (Ng-DPIC), un organisme qui pilote le déploiement de l’infrastructure numérique publique du Nigéria. Il s’agit d’avancées prometteuses.

La réussite du programme d’identité numérique du Nigéria peut contribuer à la réalisation d’objectifs de développement plus globaux tels que l’inclusion financière et l’amélioration de la prestation des services publics de santé, d’éducation et de protection sociale ou d’autres secteurs. Néanmoins, pour y parvenir, des mesures politiques coordonnées devront être prises concernant les divers secteurs, des investissements continus devront être effectués en faveur d’une infrastructure numérique sécurisée et évolutive, et les parties prenantes devront être mobilisées de façon permanente. Cette approche intégrée est la seule qui permettra au Nigéria de créer un système d’identité numérique qui l’aidera à réaliser ses ambitions en matière d’économie numérique et ne laissera personne pour compte.

Cet article fait partie d’une série produite en collaboration avec le Centre international pour la fiscalité et le développement de l’Institute of Development Studies (IDS), au Royaume-Uni, qui explore le rôle de l’infrastructure publique numérique (DPI) dans le renforcement des capacités de l’État et la promotion du développement. Les contributions à cette série sont les bienvenues.

Rotimi Owolabi
Analyste de recherche, DigitA