Notice: Function _load_textdomain_just_in_time was called incorrectly. Translation loading for the polylang domain was triggered too early. This is usually an indicator for some code in the plugin or theme running too early. Translations should be loaded at the init action or later. Please see Debugging in WordPress for more information. (This message was added in version 6.7.0.) in /home/u269751370/domains/globaldev.blog/public_html/wp-includes/functions.php on line 6114
Réfugiés et fragilité environnementale : le cas des Rohingyas au Bangladesh
Environnement, énergie et nature

Réfugiés et fragilité environnementale : le cas des Rohingyas au Bangladesh

8 min

by

Yasmin Khan

Pour les réfugiés rohingyas vivant dans la zone de Cox’s Bazar au Bangladesh, la seule source de combustibles pour la cuisson est la forêt nationale à proximité de laquelle ils ont été obligés de s’installer. Cependant, comme l’explique cet article, du fait de la déforestation et de la désertification, les populations locales sont aujourd’hui encore plus vulnérables aux dangers liés aux coulées de boues, aux inondations et aux cyclones. En plus de l’aide humanitaire d’urgence, il est essentiel de trouver des voies et des moyens pour prévenir la dégradation ultérieure et, si possible, de restaurer la qualité de l’environnement à l’intérieur et à l’extérieur des camps de réfugiés.

En mai 2017, mon ami Imran et moi-même cherchions des éléphants dans la luxuriante forêt nationale de Teknaf située au sud-est du Bangladesh près de la frontière avec le Myanmar. Je n’avais que très peu d’espoir que nous verrions des éléphants, mais la forêt était une échappatoire du camp de réfugiés bondé et ensoleillé que nous avions traversé pendant des jours. Les arbres tropicaux bloquaient le soleil ardent, et la forêt était animée de chants d’oiseaux, de ruisseaux lents et de bruit de machettes sur le bois.

« Cette forêt disparaîtra bientôt », lança Imran. Il avait été témoin de la dégradation lente de la forêt depuis son arrivée du Myanmar il y a 25 ans en tant qu’enfant réfugié. « Tout le monde cuit ses aliments en utilisant les ressources forestières. Il n’y a pas d’autre choix ».

J’avais du mal à croire que la forêt disparaîtrait, même si à cette époque environ 300 000 Rohingyas vivaient en apatrides au Bangladesh – certains depuis 40 ans – des réfugiés sans accès aux combustibles alternatifs, notamment les réservoirs de propane ou de fumier animal utilisés par la communauté bangladeshie. La forêt semblait inépuisable, mais le rythme soutenu des hachages effectués par les abatteurs d’arbres cachés par les feuillages était inquiétant.

Aujourd’hui, la forêt luxuriante a disparu, laissant place à des collines alvéolées, jaunes et ondulées où même les racines des arbres ont été creusées pour servir de bois de chauffe. Les oiseaux sont partis et les éléphants, repoussés plus loin, font parfois irruption dans les camps la nuit, piétinant et tuant des résidents.

La sinistre prédiction d’Imran s’est concrétisée plus rapidement qu’il ne l’aurait imaginé. En août 2017, 700 000 Rohingyas ont fui les violences atroces dans le Myanmar voisin, des violences qui ont entraîné le déplacement de plus d’un million de Rohingyas depuis les années 1970. Cette dernière vague était de loin la plus importante, et elle a enfin propulsé cette situation de réfugiés prolongée dans les médias internationaux.

Les pentes abruptes et les mesas abritent des cabanes en bambous et en plastique sur une superficie de 3 000 km² dans le ‘méga camp’ de réfugiés rohingyas en croissance au sud-est du Bangladesh. Ce camp de réfugiés, dont la croissance est la plus rapide au monde, abrite environ un million de personnes et ressemble à une scène du film Mad Max : des foules de personnes coupant du bois de chauffe et de grosses racines d’arbres, des sacs de riz, des bidons d’eau, des enfants et des poteaux de bambou circulant dans les sentiers tortueux. Les sentiers serpentent un paysage lunaire poussiéreux qui est occasionnellement peuplé de structures de forage de puits de 100 pieds bondées de jeunes travailleurs bangladeshis.

Lorsque j’ai visité ces camps en mai 2017, il n’y avait que quelques organisations non gouvernementales (ONG) étroitement contrôlées qui y travaillaient. Les services de santé étaient limités, l’aide alimentaire était rare ou non existante pour certains, et les résidents réfugiés en situation prolongée travaillaient sans relâche pour s’adapter à l’état d’apatridie précaire et stagnant, aggravé par des restrictions sur les moyens de subsistance, la mobilité, l’éducation et l’accès aux soins.

Trois mois plus tard seulement, en août 2017 – alors qu’il n’existait toujours pas de plan complet pour la fourniture à grande échelle de combustibles pour la cuisson, d’aliments cuits, ou de travail pour les réfugiés qui sont aujourd’hui au nombre d’un million – la forêt avait disparu.

La déforestation rapide et la désertification actuelle ont non seulement, compliqué les efforts pour alimenter et protéger environ un million de personnes – dont 70 % sont des femmes et des enfants ayant moins de mobilité et de moyens économiques par rapport aux hommes rohingyas –, mais elles ont également accru la vulnérabilité des communautés locales bangladeshies appauvries.

La communauté d’accueil et les résidents rohingyas en situation prolongée font régulièrement face à des évènements climatiques extrêmes, notamment des cyclones, des moissons et des inondations qui ont affecté la côte du golfe du Bengale, une région particulièrement précaire dans un pays connu pour sa vulnérabilité et son adaptabilité aux changements climatiques. En mai 2017, le cyclone Mora a entraîné l’évacuation de plus 300 000 personnes, tué six personnes et détruit 20 000 habitations dans les camps des Rohingyas, lorsqu’il a frappé la zone basse de Cox’s Bazar.

En mai 2016, le cyclone Roanu a forcé l’évacuation de 500 000 résidents et entraîné la mort d’au moins 24 personnes. Une grande différence concernant la prochaine saison de cyclones s’explique par le risque de glissement de terrain et d’inondation qui a été aggravé par le manque d’arbres et même de racines d’arbres dans les paysages bosselés, ces paysages qui ont servi par le passé de hauts plateaux de refuge pour les Rohingyas et les résidents des communautés hôtes.

« Par le passé, nous nous réfugions dans la forêt pendant les orages et les inondations. Aujourd’hui, cette forêt a disparue » déclare une femme rohingya qui vit dans le camp de zone basse de Kutupalong depuis 2005. Elle a ajouté qu’en l’absence d’accès au travail, il est difficile pour elle, sa fille adolescente et ses deux fils de sortir du camp pendant les orages. En raison des contrôles encore plus stricts des déplacements des Rohingyas, de la présence croissante des militaires et des policiers dans les camps, et de l’absence de la forêt pour s’abriter, elle a expliqué qu’elle ne saurait pas où aller en cas d’un nouveau cyclone.

Les stratégies de riposte et d’adaptation de certains des plus vulnérables résidents rohingyas et bangladeshis dans la zone de Cox’s Bazar ont été pris en embuscade non pas parce que les arbres ont été abattus, mais parce que pendant des décennies, le gouvernement bangladeshi ne s’est jamais penché sur les effets environnementaux que pourrait avoir la concentration de centaines de personnes dans une zone fragile sur le plan environnemental, et qui abrite également une communauté d’accueil appauvrie.

Les Rohingyas et leurs voisins bangladeshis ne sont pas vulnérables de façon inhérente : leur survie dépend d’une résilience qui s’adapte continuellement face à une combinaison extraordinaire de défis environnementaux, politiques et économiques.

Toutefois, leur vulnérabilité a été aggravée par des actions (ou des omissions) de la part de certaines autorités gouvernementales et non gouvernementales, qui vont au-delà du gouvernement bangladeshi. En effet, les principaux pays donateurs tels que le Canada, les États-Unis, et d’autres puissances régionales, à savoir l’Inde et la Chine, n’ont pas insisté pour que des solutions plus durables soient trouvées à la situation prolongée des réfugiés au Bangladesh.

Même si la déforestation a été un processus relativement lent au cours des dernières décennies, le récent intérêt porté par la communauté internationale sur les camps de réfugiés rohingyas a amené les experts des questions environnementales à examiner les impacts à long terme de la concentration des réfugiés dans cette zone fragile sur le plan environnemental. Les experts du Center for Climate Change and Development  (Centre international de recherche sur les changements climatiques et le développement), une institution leader basée à Dhaka et spécialisée en recherche sur le changement climatique au Bangladesh et à l’étranger, ont proposé un projet portant sur l’impact environnemental à long terme pour évaluer et surveiller la dégradation dans la zone de Cox’s Bazar.

Le projet qui s’étalera sur neuf mois définira les changements survenus dans l’environnement et l’approche à adopter pour éviter d’autres dégradations et, si possible, restaurer la qualité de l’environnement à l’intérieur et hors des camps de réfugiés rohingyas. Le projet sera piloté par des experts bangladeshis spécialisés dans le changement climatique, la qualité de l’eau et la déforestation, et il mettra l’accent sur la question de genre, étant donné que 17 % des ménages dans les camps sont dirigés par des femmes.

Un aspect essentiel du projet est le fait qu’il examinera les impacts sur les ménages hors du camp, qui ont également été affectés par la déforestation et les changements climatiques en milieu côtier. Le projet évaluera aussi l’impact du million de Rohingyas qui s’est installé dans la zone et des milliers d’employés d’ONG, de journalistes et de visiteurs dont la présence dans la région a augmenté la circulation, les logements et les prix des produits alimentaires, et affecté les moyens de subsistance locaux.

Ce projet de développement à long terme, qui sera piloté par des experts locaux, vient compléter les initiatives « d’intervention d’urgence » et d’aide humanitaire qui sont axées sur les besoins immédiats, notamment la sécurité alimentaire, la nutrition, la protection et les abris.

 

Yasmin Khan
Ph.D. student in Human Geography and Women and Gender Studies, University of Toronto.