L’exposition aux stéréotypes – selon lesquels, par exemple, les garçons sont meilleurs que filles en mathématiques – peut avoir un impact considérable sur les croyances des enfants. Dans cet article, les auteurs présentent des preuves sur les préjugés stéréotypés et sur ce que nous pouvons faire pour les contrer. Ils concluent que nous devons veiller à ce que les filles, les minorités et tous ceux qui font face à des stéréotypes potentiellement dangereux, soient également exposées à des messages leur indiquant qu’ils peuvent, eux aussi, réussir – par exemple, en les exposant à des personnes qui leur ressemblent, et qui ont réussi.
L’un des problèmes les plus pressants du monde actuel est la propagation de fausses informations – allant des fausses nouvelles aux messages véhiculant des préjugés liés à l’ethnie et au genre. Les fausses croyances se répandent rapidement et peuvent causer une forme de préjudice différente.
Dans notre recherche, nous explorons « les préjugés stéréotypes » – la notion selon laquelle un groupe défini, par exemple, par le genre ou l’ethnicité est, d’une certaine manière, inférieur à un autre groupe. Nous examinons la manière par laquelle cela affecte le développement des enfants âgés de 12 à 16 ans, et nous proposons des actions qui peuvent être menées pour traiter ce problème.
Les enfants construisent leurs croyances en fonction de leurs environnements – leurs parents, leurs camarades, leurs enseignants et les médias. Ces croyances influencent leurs décisions : par exemple, ce qu’ils veulent devenir quand ils seront grands, les matières pour lesquelles ils choisissent de travailler dur et celles dans lesquelles ils sont moins brillants.
Cette question revêt une grande importance : dire à des enfants qu’ils sont mauvais dans une matière simplement du fait de leur sexe ou leur ethnicité peut les rendre moins enthousiastes par rapport à cette matière. Si cela les amène à travailler moins, ils auront de mauvaises notes, confirmant ainsi le message initialement faux.
Dans une série de recherches récentes, nous étudions la transmission et l’impact de l’exposition au stéréotype selon lequel les garçons sont meilleurs que filles dans l’apprentissage des mathématiques. Nous utilisons des données provenant des écoles primaires chinoises pour montrer que cette croyance se transmet d’une génération à l’autre, et que cela affecte négativement la confiance et les performances des filles.
Dans les données provenant de ces écoles, nous constatons que les filles ont de meilleures notes que les garçons dans toutes les matières, y compris les mathématiques. Malgré cela, environ la moitié des parents et des enfants pensent encore que les garçons sont meilleurs que les filles. Pourquoi ?
Nous examinons comment la transmission de cette croyance des parents aux enfants pourrait aider à expliquer ce schéma. En démarrant cette recherche, nos hypothèses étaient les suivantes :
- Premièrement, les personnes construisent leurs croyances pendant l’enfance.
- Deuxièmement, les croyances des enfants sont fortement influencées par celles de leurs parents.
- Troisièmement, les croyances des parents se sont formées il y a 30 à 40 ans, lorsqu’ils étaient eux-mêmes des enfants (et lorsque le stéréotype selon lequel les garçons sont meilleurs que les filles en mathématiques était, pour diverses raisons, susceptible d’être vrai).
Cela signifie que si les parents ont des croyances désuètes, ils pourraient les transmettre à leurs enfants, et ces enfants pourraient à leur tour les transmettre à leurs amis.
Nous démontrons que dans le cas de la Chine, c’est exactement ce qui s’est passé. Les enfants dont les parents pensaient que les garçons étaient plus doués en mathématiques que les filles courent plus le risque de conserver cette croyance.
Pire encore, si une fille est placée dans une classe avec des élèves dont les parents croient que les garçons sont meilleurs que les filles en maths, elle devient plus susceptible d’adopter cette croyance à son tour : une augmentation de 25 points de pourcentage dans la proportion des camarades dont les parents croient en ce stéréotype augmente de plus de 10 points de pourcentage la probabilité qu’une enfant adopte également cette croyance.
De plus, nous constatons que les filles apprennent plus de leurs camarades filles que de leurs camarades garçons, et vice-versa pour les garçons.
Cela affecte aussi les notes que les enfants obtiennent aux examens : le fait d’être dans une classe de mathématiques avec plus de camarades dont les parents ont adopté cette croyance entraine la baisse des note des filles et la hausse des notes des garçons. Ce changement de 25 points de pourcentage chez les élèves dont les parents croient que les garçons sont meilleurs que les filles en mathématiques entraine la réduction des notes des filles, par rapport aux garçons, de plus de 33 % !
En d’autres termes, que ce soit pour les filles ou les garçons, ce sont les camarades de classe qui transmettent le message sur les capacités relatives des garçons et des filles – et cette croyance affecte les performances des élèves en adéquation avec le message en question.
Des travaux de recherche effectués par d’autres spécialistes des questions sociales montrent que ce modèle – selon lequel les personnes acquièrent des connaissances sur le monde à travers leurs parents et leurs pairs, ce qui ensuite influence leurs efforts et performances – a des ramifications sur des questions au-delà du genre.
Plusieurs autres sources potentielles de stéréotypes existent, notamment sur l’ethnicité et les conditions socio-économiques. Si, dans la petite enfance, les enfants sont exposés à des messages sur le lien entre l’appartenance à de tels groupes et les capacités, cette exposition pourrait entrainer des différences dans l’effort, l’enthousiasme et les aspirations, qui pourraient s’accumuler au fil du temps et générer des désavantages réels.
Il s’agit là d’un défi politique complexe, étant donné qu’il existe de multiples sources – camarades, enseignants et médias – à travers lesquelles ce type d’informations peut être transmis.
Que pouvons-nous donc faire ? Même s’il est difficile d’identifier les camarades à travers lesquels ces croyances sont plus susceptibles d’être transmises, la bonne nouvelle est que nous avons plusieurs moyens de combattre les préjudices causés par l’exposition à ces croyances.
L’un consiste à affronter directement ces stéréotypes. En véhiculant dans les écoles (et dans la société en général) des messages selon lesquels les filles peuvent réussir et réussissent dans les carrières relevant des “STEM” (sciences, technologie, ingénierie et mathématiques) ou en mettant le doigt sur le stéréotype et en expliquant pourquoi il est dangereux, nous pouvons accroître les chances des filles de surmonter les préjudices causés par ces stéréotypes. Nous pouvons faire de même pour toute personne qui reçoit un message selon lequel elle est moins performante parce qu’elle fait partie d’un certain groupe.
Une autre approche pour venir à bout de ce problème consiste à montrer aux personnes confrontées aux stéréotypes des jeux de rôles. L’idée est simple : si on dit à une fille qu’elle a de mauvaises notes en mathématiques parce que les filles sont faibles en mathématiques, il faut simplement montrer à cette fille des exemples de filles qui excellent en mathématiques, ce qui contredira directement ce stéréotype. Il a également été démontré que cette solution politique, sur laquelle on peut agir immédiatement, augmentait la probabilité que les femmes choisissent de se spécialiser en économie.
Les croyances sont malléables, en particulier durant l’enfance. La grande leçon stratégique que nous pouvons retenir de cette recherche est que : nous devons veiller à ce que les filles, les minorités et toutes les personnes confrontées à un stéréotype potentiellement néfaste soient également exposées à des messages leur expliquant qu’elles peuvent réussir, par exemple en leur montrant des exemples de personnes qui leur ressemblent et qui ont réussi.
Entre le genre et l’ethnicité, plus de la moitié des habitants du monde sont susceptibles de faire face à un type de stéréotype négatif pendant l’enfance. Plus nous éviterons que ces stéréotypes n’amènent ces personnes à investir moins dans leur propre potentiel, plus nous contribuerons à enrichir le monde dans lequel nous vivons.
Auteurs :
Alex Eble est professeur adjoint d’économie et d’éducation à la Graduate School of Education de l’Université Columbia. La majorité de ses recherches porte sur l’économie de l’éducation dans les pays en développement.
Feng Hu est professeur d’économie à l’École de gestion et d’économie de l’Université des sciences et technologies de Beijing, en Chine. Ses recherches portent sur la migration du travail, l’éducation, la santé et l’entrepreneuriat en Chine.