La prolongation des mesures de confinement met à rude épreuve le contrat social qui existe entre les citoyens et les gouvernements. Comme l’explique cet article, dans des contextes où le niveau de confiance dans l’État est faible et où les inégalités économiques sont importantes – comme dans certains pays d’Afrique subsaharienne – cela pourrait conduire à des troubles croissants et à l’escalade de la contestation. Si les politiques de gestion du Covid-19 ont pour conséquence l’augmentation de la violence entre les citoyens et les autorités, les dommages sociaux et économiques pourraient survivre longtemps à la pandémie.
Début 2020, alors que le Covid-19 était en train de devenir une pandémie mondiale, les économistes et les responsables de la santé publique sont tombés d’accord : si cela signifiait l’éradication du virus, les coûts économiques à court terme d’un confinement strict seraient un faible prix à payer – non seulement de nombreuses vies seraient sauvées mais l’économie pourrait, elle, reprendre son rythme de croisière le plus tôt possible.
De ce que l’on constate aujourd’hui, cette stratégie semble avoir été judicieuse dans un certain nombre de pays. Mais dans d’autres, les difficultés économiques et sociales engendrées par les mesures de confinement, en particulier pour les plus pauvres, sont apparues. Avec l’augmentation des violences conjugales et policières, et le manque d’accès à l’éducation et à d’autres services publics, nous avons vu le malaise évoluer en mouvements de protestation civile.
Même dans les pays exemplaires que sont la Corée du Sud et la Nouvelle-Zélande, il est évident que le virus ne pourra pas être éradiqué ni facilement, ni rapidement. Si les premières mesures de confinement ont ralenti la propagation du virus, il semble qu’il sera difficile de ramener le taux de reproduction (le nombre R) en dessous de 1.
Alors que la pandémie se prolonge, le dilemme auquel sont confrontés de nombreux pays est de savoir comment maintenir les mesures qui ralentissent le virus et protègent les plus vulnérables, sans imposer de coûts sociaux et économiques excessifs à long terme.
Mais alors que les gouvernements adoptent des politiques variées pour aider les populations en attendant un vaccin, il est important de faire le point sur les effets néfastes des mesures de confinement et de reconnaître que, même si elles partent d’une bonne intention, les approches à « taille unique » ne sont pas spécifiquement utiles.
Si le confinement strict a fait ses preuves dans certains pays, les mesures ont été plus efficaces dans des contextes de revenus élevés où la capacité de l’État et les niveaux de confiance le sont aussi. Et, même dans ces endroits, les tensions augmentent, s’exprimant sous la forme de protestations directes contre les mesures sanitaires ou de l’aggravation d’autres conflits sociaux bien ancrés. Nous ne devons certainement pas nous attendre à ce que la même politique fonctionne dans tous les contextes.
Confinements en Afrique
Notre étude montre que les défis posés par les mesures de confinement sont particulièrement importants en Afrique subsaharienne. Sur la base d’un simple indice de préparation au confinement, qui comprend l’accès à l’eau potable, aux installations sanitaires, à l’électricité et à un revenu régulier, nous constatons que seuls 7 % des ménages pourraient être classés comme « totalement prêts » et que moins d’un sur trois comme « partiellement prêts ».
De plus, nous constatons que les pays qui sont peu préparés au confinement ont également un niveau de confiance plus faible, notamment dans les institutions politiques. Et, comme nous le montrons, une confiance moindre tendant à aller de pair avec des troubles civils, le risque augmente que des restrictions mal conçues (de quelque nature que ce soit) entraînent rapidement des protestations, affaiblissant un contrat social déjà fragile entre l’État et ses citoyens.
Construire le contrat social
Mais il y a une autre solution. Au lieu d’un cercle vicieux de restrictions légales de circulation, suivies de violences policières qui engendrent des résistances accrues, il faut reconnaître la nécessité de renforcer la confiance entre l’État et ses citoyens. En effet, non seulement la confiance est un ingrédient essentiel des interventions de santé publique efficaces – l’expérience d’Ebola l’a démontré – mais elle pourrait également rendre possible la mise en place de mesures de confinement plus localisées ou ciblées, dans la mesure où celui-ci pourrait s’avérer inévitable.
Comment donc établir la confiance en ces temps difficiles ? Deux mesures de politiques générales méritent l’attention. La première consiste à faire travailler ensemble les dirigeants et les organisations communautaires – parties intégrantes de la solution – pour déterminer comment atteindre les objectifs de distanciation sociale et d’autres mesures préventives (limitation des rassemblements de masse, hygiène des mains et port du masque), ainsi que la manière dont la communication avec les communautés locales peut être efficace. Cela signifie qu’il faut créer un espace pour apporter des solutions locales à des défis communs.
La deuxième mesure consiste à lancer une opération de renforcement massif de la protection sociale, idéalement en vue d’une couverture quasi universelle des familles travaillant dans le secteur informel, qui sont les plus touchées. Il est amplement démontré que même de petits versements inconditionnels en espèces peuvent faire une différence vitale. Et avec l’utilisation généralisée des téléphones mobiles, même dans les communautés les plus pauvres, des solutions technologiques peu coûteuses pour effectuer ces paiements sont à portée de main.
Si aucune mesure n’est prise pour éviter un cycle de violence et de troubles, nous pourrions assister à des flambées non seulement du virus, mais aussi de conflits sociaux, qui pourraient persister bien au-delà de la durée de cette pandémie. Notre meilleure chance d’éviter cela est de soutenir les personnes les plus touchées – non seulement en évitant la répression policière musclée et l’application d’un couvre-feu, mais en agissant, grâce à des efforts concertés, pour reconstruire le contrat social. Les gouvernements doivent donner la priorité aux politiques qui protègent les plus vulnérables, renforcent la confiance et apaisent les tensions, et non les exacerbent.