La hausse des transferts de fonds des migrantes et migrants à destination des pays en développement a conduit les économistes à évaluer les effets de ces mouvements de capitaux sur la production agricole dans les pays bénéficiaires. Les résultats des études menées révèlent des impacts contrastés, tantôt préjudiciables tantôt bénéfiques à l’activité agricole. Même si ce débat reste ouvert, nous devons identifier des leviers d’action pour améliorer l’effet de ces capitaux lorsque leur effet direct sur la production agricole s’avère négatif. Pour ce faire, les analyses récentes de ces transferts de fonds sous l’angle des financements climatiques constituent une piste exaltante.
Les transferts de fonds des migrant(e)s permettent aux populations bénéficiaires de répondre à certains besoins économiques et sociaux dans les pays en développement. Les récentes données fournies par la Banque Mondiale montrent que les montants de ces capitaux à destination de l’Afrique subsaharienne ont régulièrement augmenté ces dernières années, y compris en contexte de crise mondiale : +16,1 % en 2021 ; +6,1 % en 2022 ; +1,3 % en 2023 et +3,7 % en 2024. Cette évolution s’explique, en partie, par l’adoption et le suivi de politiques pertinentes par la Banque Mondiale, à l’instar de la réduction des coûts des transferts entre corridors.
En outre, ces fonds sont de mieux en mieux tracés depuis les pays d’origine jusqu’aux pays de destination. Ils passent à travers des mécanismes formels, plus sécurisés par le truchement des opérateurs de transferts classiques (les banques, les entreprises de transferts d’argent, la poste) ou par l’offre des services de transferts digitaux actuellement en expansion. Les instruments de transferts utilisés sont généralement les envois en espèces, les virements bancaires, les cartes de débits/crédits, ou le mobile money. Les coûts de transaction par instruments de transfert étant disponibles et transparents pour les acteurs de ce marché, la décision de transferts pour les migrant(e)s est d’autant plus facilitée. Aussi, ces revenus sont directement et rapidement accessibles pour les bénéficiaires qui les reçoivent en temps réel. Ils sont non remboursables c’est-à-dire gratuits pour le bénéficiaire contrairement à certains financements pour l’adaptation aux changements climatiques qui sont octroyés aux pays vulnérables sous forme de prêts.
Malgré ces importantes évolutions du marché des transferts qui accroissent les flux de fonds reçus et leur traçabilité, la préoccupation fondamentale semble-t-il, est de trouver des leviers qui permettent d’améliorer l’effet de ces ressources financières sur l’activité économique. Dans cet article, nous analysons l’interaction des envois de fonds des migrant(e)s avec trois formes de variabilités climatiques à savoir la pollution de l’air, les variations de températures et les variations de précipitations sur la production agricole en Afrique subsaharienne. Le secteur agricole figure, en effet, parmi les activités les plus exposées aux changements climatiques et ses besoins en termes d’adaptation en Afrique sont conséquents et croissants, comme en témoigne le chapitre 9 du sixième rapport du Groupe d’Experts Inter-gouvernemental sur les Changements Climatiques. Les résultats visent à informer les acteurs politiques qui cherchent à identifier des sources de financements climatiques, complémentaires aux mécanismes financiers explicitement retenus par la communauté internationale et présentées par l’OCDE, pour l’implémentation des stratégies d’adaptation aux changements climatiques dans les pays vulnérables.
Le concept de variabilité climatique se manifeste sous de nombreuses formes : une plus grande fluctuation des températures et des précipitations, la hausse de la pollution de l’air et une plus grande occurrence d’événements extrêmes comme des sécheresses, des inondations, des tempêtes, etc. La liste des chocs climatiques s’allonge au fil des années. En Afrique sub-saharienne, la pollution de l’air est particulièrement préoccupante. Le Tchad et le Burkina Faso figurent ainsi parmi les dix premiers territoires les plus pollués du monde. Par ailleurs, les variations de températures et des précipitations vont bon train dans cette région tel qu’il ressort du rapport sur l’état du climat en Afrique et affectent négativement le secteur agricole. Orienter stratégiquement les transferts de fonds des migrant(e)s vers les activités d’adaptation à ces variations climatiques améliore les indicateurs économiques parmi lesquels celui de la production agricole. Nous proposons plusieurs mécanismes de transmission d’impact des envois de fonds des migrant(e)s sur la production agricole, via l’adaptation aux variabilités climatiques.
- Transferts, pollution de l’air et production agricole
La pollution de l’air détériore la production agricole aussi bien directement, qu’indirectement. D’une part, la pollution de l’air est néfaste pour la santé humaine à commencer par celle des travailleurs et travailleuses y compris celles et ceux du secteur agricole. Elle diminue la disponibilité d’une main d’œuvre en bonne santé, ce qui constitue une contrainte pour la production agricole dans les pays en développement. En Afrique, 1,2 milliard de personnes n’ont pas accès à des dispositifs de cuisson propre, ce qui est effarant. Ces personnes dépendent entièrement de la cuisson au charbon, au bois et à la biomasse. Elles contribuent et sont victimes en même temps de la pollution de l’air. D’autre part, cette pollution affecte négativement la croissance des plantes et participe également à réduire la production agricole dans ces mêmes pays, et à accroitre les pertes et dommages dans ce secteur. Les outils permettant un accès à une cuisson propre, c’est-à-dire une cuisson qui ne polluent pas l’air, sont facilement disponibles et abordables pour les pays à faibles revenus. Ces outils sont mobilisés par le secteur public ou/et le secteur privé mais ne sont pas suffisamment visibles. De récents travaux montrent des évidences selon lesquelles les transferts des fonds des migrant(e)s reçus dans les pays en développement atténuent localement les émissions de CO2 lorsqu’ils sont orientés vers des investissements respectueux de l’environnement.
- Transferts, variation de pluviométrie et production agricole
L’importance du secteur agricole en Afrique n’est plus à démontrer. Dans certains pays de la région, la contribution de l’agriculture est estimée à 60% du produit intérieur brut. Les économistes reconnaissent également que cette agriculture a une forte dépendance aux variations de la pluviométrie ce qui constitue un facteur de vulnérabilité pour la production. Les envois de fonds sont un des mécanismes de soutien indirect des activités agricoles en contexte de diminution de la pluviométrie. Ils facilitent la gestion du système d’irrigation ou financent l’achat d’intrants adaptés y compris des engrais, et soutiennent la production du secteur. En cas d’extrême pluviométrie, dans certains contextes, les envois de fonds sont positivement corrélés avec la mécanisation de l’agriculture, l’accès aux crédits bancaires, la participation aux actions collectives d’adaptation aux inondations notamment les préparations et la restauration des espaces dégradés. Cela accroit les capacités d’adaptation des ménages bénéficiaires face aux chocs climatiques.
- Transferts, adaptation aux variations de températures et production agricole.
La hausse des températures constitue également un aspect du changement climatique qui attend des réponses politiques en termes d’adaptation. Les variations de température, tout comme les autres risques climatiques, détériorent directement la production et les rendements agricoles. Pour s’adapter, les experts recommandent une agriculture dite « smart », combinant des pratiques et des technologies agricoles dites résilientes. Les transferts de fonds des migrant(e)s peuvent ainsi faciliter l’accès des agriculteurs et agricultrices à ces techniques et pratiques agricoles recommandées.
Notre article détermine l’effet des envois des migrant(e)s sur la production agricole en utilisant des données climatiques sur un ensemble de 29 pays d’Afrique Subsaharienne sur la période 1990-2020. A partir de l’estimateur Common Correlated Effect Mean Group, nous montrons qu’une hausse de 1% des transferts réduit paradoxalement l’indice de production agricole de 3,32%. Ce phénomène pourrait s’expliquer par le fait que ces revenus ne soient pas issus du travail des bénéficiaires. Ils créeraient alors une forme de dépendance à cette nouvelle source de revenus et réduiraient non seulement la participation au travail, mais aussi les efforts des bénéficiaires à la production.
Cependant, lorsque nous prenons en compte les variabilités climatiques dans l’analyse (variables d’interaction de ces capitaux et chacune des variables climatiques), l’effet devient significativement positif. Nous trouvons, par exemple, qu’une hausse de 1% des transferts de fonds des migrant(e)s en interaction avec la variation de la pluviométrie augmente l’indice de production agricole de 0,022%. Cela suggère qu’orientés vers l’adaptation des agriculteurs/trices aux variabilités climatiques, ces fonds ne freinent pas la production agricole, ils la soutiennent même positivement. En contexte de baisse de précipitation, les transferts permettent aux agriculteurs/trices de se couvrir contre ce risque climatique en investissant dans les systèmes d’irrigation ou en payant des engrais appropriés. Ils permettent également d’investir dans les pratiques et techniques agricoles résilientes comme le financement de programmes de formation.
Ainsi, l’adaptation aux changements climatiques constitue-t-elle une opportunité pour un usage des transferts à des fins d’investissement plutôt qu’en faveur de la consommation quotidienne. Ces capitaux sont par conséquent une source de financement complémentaire et non négligeable pour réussir l’adaptation du secteur agricole aux changements climatiques.
Par conséquent, les responsables politiques devraient promouvoir les transferts pour des raisons climatiques au-delà des transferts pour des motifs purement altruistes ou économiques. Pour y parvenir et favoriser l’usage des transferts à des fins d’adaptation aux changements climatiques, des efforts de sensibilisation sont à entreprendre par toutes les parties prenantes du marché des transferts, principalement les gouvernements et leurs partenaires internationaux.