Malgré la nécessité urgente d’atteindre les Objectifs de développement durable (ODD) d’ici 2030, les progrès restent d’une lenteur alarmante, en partie à cause de lacunes importantes en matière de données, en particulier dans les pays en développement. Cet article souligne comment la réutilisation de données non traditionnelles et l’adoption de licences sociales peuvent améliorer la gouvernance environnementale, responsabiliser les communautés et accélérer l’action sur le changement climatique et les ODD.
Nous sommes actuellement à mi-parcours de l’Agenda 2030 établi en 2015, pour atteindre les objectifs de développement durable (ODD), mais nous sommes loin de les avoir réalisés.
Seuls 17 % d’entre eux sont en voie d’être atteints, tandis que la moitié d’entre eux (48 %) sont modérément ou sévèrement en retard, et que 35 % sont en stagnation ou en régression par rapport au niveau de référence de 2015. Les différentes crises climatiques, géopolitiques et sanitaires, qui ont récemment fragmenté la coopération internationale, peuvent expliquer ce constat. Mais ce retard s’explique aussi par le manque de données concernant les ODD, notamment en matière de climat et ce malgré la multiplication des données utilisées à des fins privées telles que les données financières, de consommation, d’activité en ligne, etc.
Ces lacunes sont particulièrement préoccupantes dans les pays en développement, où la quantité et la qualité des données, les infrastructures et les capacités institutionnelles pour les gérer sont souvent limitées. Ces données sont, par ailleurs, essentielles pour améliorer la gouvernance en matière environnementale car elles permettent de prendre des décisions stratégiques basées sur des éléments probants de façon transparente. Enfin, le dernier rapport du Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC) a souligné que le rythme et l’ampleur des plans d’action climatique actuels étaient insuffisants pour lutter efficacement contre les changements climatiques et la réutilisation des données peut être une solution pour en limiter certains effets.
- La réutilisation des données à l’ère de la datafication : un potentiel majeur
Nous sommes entrés dans une ère de datafication qui permet d’avoir recours à des données non-traditionnelles qui ne sont pas collectées par les instituts nationaux de statistiques. C’est le cas, par exemple, des images satellites, des données récoltées par capteurs, des street maps, etc. Le recours à ces données ouvre un potentiel pour leur réutilisation en vue de faire progresser les ODD, particulièrement dans les pays en développement qui connaissent de fortes contraintes de ressources.
Types et sources de données non-traditionnelles, Source : The GovLab
Par exemple, à Pokhara, au Népal, la réutilisation des données a permis de mettre en place un OpenStreetMap pour la gestion des catastrophes naturelles. À travers celui-ci, les habitants ont cartographié leurs quartiers et ont été formés à la collecte, l’utilisation et la diffusion de données cartographiques.
- Le rééquilibre des pouvoirs grâce à la licence sociale
Malgré l’abondance de données, il existe de nombreuses asymétries d’informations qui peuvent être définies comme des inégalités ou des disparités dans l’accès aux données. Elles sont à l’origine d’inégalités de pouvoir et d’influence entre les propriétaires des données – notamment lorsqu’ils appartiennent à des communautés marginalisées ou viennent de pays en développement – et la poignée d’acteurs qui exploitent et utilisent ces données.
Pour faire face à ces inégalités, la plupart des approches se concentrent sur la notion de consentement, c’est-à-dire l’accord d’une personne pour que ses données soient collectées et utilisées. Il se présente souvent sous la forme de « case à cocher » et s’accompagne d’un document détaillé sur la politique de protection de la vie privée de l’organisation qui récolte les données. Néanmoins, le consentement présente de nombreuses limites. Il est souvent binaire, individuel, et accordé sans être complètement éclairé. De plus, il ne permet pas de montrer comment les données pourraient être réutilisées de façon à profiter aux communautés qui en sont propriétaires.
Le recours à la licence sociale est une solution qui a émergé afin de répondre à ces enjeux. Ce modèle s’inspire des Licences Sociales et Environnementales pour Opérer – Sustainable Development License to Operate (SDLO) – utilisées dans les industries extractives dans les années 1990. Appliquée à la réutilisation des données, la licence sociale désigne la procédure à travers laquelle les communautés sont impliquées dans la définition des conditions et des finalités de réutilisation de leurs données. Il s’agit d’une acceptation sociale implicite et répétée basée sur la confiance, l’éthique, la légitimité et l’alignement perçu avec les valeurs de la communauté. Les utilisateurs et utilisatrices peuvent ainsi exprimer leurs préférences et leurs attentes sur la façon dont leurs données sont réutilisées. Concrètement, les licences sociales peuvent prendre la forme de consultations publiques, de retours d’informations ou encore de pratiques de reporting transparents.
- Limiter l’impact du réchauffement climatique grâce à la réutilisation éthique des données
La réutilisation éthique des données peut permettre d’avancer dans les ODD qui visent le soutien de l’agriculture et l’atténuation des effets du changement climatique, deux sujets au cœur des préoccupations actuelles.
Ainsi, en Colombie, la réutilisation des données d’agriculture a permis de mettre en place un système de prévision agro-climatique qui a bénéficié à 34 localités du pays. L’objectif était d’aider les agriculteurs locaux à améliorer le rendement de leurs cultures et atténuer les pertes causées par les effets du changement climatique, en leur fournissant des informations leur permettant de prendre de meilleures décisions en matière de plantation. Pour ce faire, des tables rondes ont été organisées entre scientifiques, expert(e)s et agriculteurs/trices afin de comprendre comment utiliser les connaissances fournies par le système agro-climatique prédictif, sensibiliser sur les utilisations potentielles des jeux de données et améliorer les compétences et la maîtrise des données.
Au Sénégal, à Kaffrine, Diourbel, Fatick, Louga et Thiès, régions confrontées à des précipitations irrégulières et imprévisibles, la réutilisation des données a permis de mettre en œuvre un système d’alerte climatique impliquant des données de recensement. Le projet a mis en œuvre un modèle de groupe multidisciplinaire, composé d’agences nationales, d’agriculteurs, de climatologues, d’agronomes, d’ONG et de médias, qui travaillent ensemble. L’ensemble de ces parties prenantes s’est engagé à partager les connaissances locales aux scientifiques, et s’est vu offrir la possibilité d’accéder aux informations climatiques et prévisions météorologiques.
- Progresser sur les ODD grâce à la licence sociale
Le potentiel de réutilisation des données ne se limite pas à l’atténuation des effets du changement climatique. Il est particulièrement intéressant pour les pays en développement qui connaissent de fortes contraintes de ressources pouvant générer un impact positif dans plusieurs domaines comme l’amélioration de la gouvernance, l’élaboration des politiques, le développement économique, l’équité sociale et l’inclusion ainsi que la gestion et la réponse aux crises de santé.
Pour réutiliser les données de façon optimale, il convient d’impliquer activement les parties prenantes locales (population, société civile, entreprises, institutions, etc.), et de renforcer les capacités et les infrastructures du pays. Le dernier rapport « Réutilisation éthique des données dans les pays en développement : une licence sociale à travers l’engagement public », corédigé par l’Agence française de développement (AFD) et le think tank The Data Tank, détaille justement ces enjeux et fournit des recommandations pour la mise en place des licences sociales dans les pays en développement et l’accélération vers les ODD.