Environnement, énergie et nature

Adaptation au changement climatique : la nécessité d’accepter

6 min

by

Lisa Schipper

Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a récemment publié un rapport spécial sur le réchauffement planétaire de 1,5º C, qui souligne que les mesures qui ont été appliquées pour limiter les émissions de gaz à effet de serre ont été insuffisantes et tardives. Pourtant de nombreux projets d’adaptation continuent de soutenir qu’avec quelques réglages mineurs, les moyens de subsistance et les modes de vie actuels peuvent être ajustés pour répondre aux défis du changement climatique. L’auteur de cet article plaide en faveur d’une véritable acceptation de notre situation actuelle. La vie changera radicalement pour beaucoup de personnes – et cela aura de fortes implications sur les trajectoires de développement et le bien-être humain.

Quand j’habitais à Hô Chi Minh-Ville au Vietnam, et que je me suis plaint de la chaleur ambiante, une connaissance européenne qui vivait dans cette ville depuis plusieurs années a suggéré « qu’il fallait s’adapter » au climat chaud et humide. Lorsque j’ai dit que je n’avais pas de climatiseur, elle ajouta avec stupéfaction : « C’est la première chose que j’allume quand je rentre dans une pièce ». Comment l’utilisation du climatiseur l’a-t-elle amenée à s’adapter à cette chaleur collante ?

Les climatiseurs font partie des solutions miracles qui permettent aux individus de s’adapter à un climat changeant. Ces appareils leur permettent de continuer à vivre dans les conditions de vie auxquelles ils étaient habitués, notamment un climat plus frais et plus sec pour la plupart des Européens du Nord. Mais en réalité, les climatiseurs ne permettent pas à ces personnes de s’adapter. En effet, ils pourraient même rendre l’adaptation au véritable climat encore plus difficile, compte tenu du contraste qui existe entre l’air conditionné et l’air chaud et humide à l’extérieur.

Cet échange m’a poussé à réfléchir à ce qui constitue véritablement une adaptation humaine en opposition aux mesures entreprises pour éviter de s’adapter. J’ai donc constaté l’absence d’une dimension dans le débat actuel sur l’adaptation dans les domaines des sciences, de la politique, et en particulier de la pratique – à savoir « l’acceptation ».

L’acceptation devra jouer un rôle beaucoup plus important au cours des prochaines années. Qu’on le veuille ou pas, le climat changera de manière à affecter de nombreuses ressources que nous utilisons pour nous divertir, mais également des ressources nécessaires à notre survie.

L’acceptation est décrite dans l’ouvrage The Environment as Hazard, publié la première fois en 1978. Dans l’approche prônée par les auteurs Ian Burton, Robert Kates et Gilbert White, l’acceptation est considérée comme l’un des quatre modes d’adaptation aux dangers naturels, avec l’absorption, l’atténuation et le changement.

L’acceptation est importante parce que cela signifie que les personnes doivent faire face au phénomène qui se produit. La migration étant présentée comme une stratégie d’adaptation, il semble exister une hypothèse voulant que les personnes sont capables de vivre dans un nouvel environnement, et ne préfèrent pas forcément leur ancienne situation.

Je n’essaie pas de soutenir qu’un changement radical tel que la migration ne constitue pas une nécessité pour certaines personnes et une stratégie très utile pour plusieurs autres. Mais combien de personnes sont vraiment prêtes à abandonner leurs maisons, leurs pays et leurs relations ?

D’autre part, combien de personnes sont disposées à accepter la possibilité qu’il y ait moins d’options d’emploi à l’avenir parce que le changement climatique aura rendu certains emplois impossibles ou on-existants ?

Une étude réalisée en 2010 examine l’adaptation du point de vue de la théorie intégrée, qui souligne l’importance des changements « internes » – dans ce cas les changements personnels et culturels qui sont nécessaires face au changement climatique.

Toutefois, l’acceptation va au-delà de la conscience individuelle au sujet du changement climatique. Elle a également des implications pour les approches d’investissement. Les habitants de la planète doivent-ils accepter le changement climatique et adopter des stratégies de subsistance différentes qui sont moins sensibles au climat ? Ou devraient-ils investir dans des activités menacées par le changement climatique et essayer de les rendre moins sensibles ?

L’agriculture est l’exemple le plus parlant, en particulier pour les petits exploitants dont la productivité pourrait augmenter en effectuant des investissements mineurs dans la technologie d’irrigation ou les machines. Quel rôle l’acceptation joue-t-elle dans le choix stratégique des personnes ? L’acceptation est-elle plus importante dans certains cas que dans d’autres ? Ce sont là des questions à se poser lors de la conception des stratégies d’adaptation.

Les politiques et les projets liés à l’adaptation doivent encourager la société à accepter que la vie changera radicalement pour de nombreuses personnes. Cela doit s’accompagner d’une reconnaissance ouverte du fait que le chemin des personnes qui ne bénéficient pas encore de conditions de vie décentes pourrait dorénavant être plus long, voire non existant.

Il existe un problème de justice et d’équité, qui constitue déjà un concept essentiel dans les politiques et les pratiques en matière de changement climatique. À quel niveau se trouve l’acceptation en tant qu’aspect de l’adaptation dans les trois idées suivantes : résilience, transformation et intégration ? Le mot (acceptation) est rarement mentionné dans les définitions :

  • La résilience,  dans sa conceptualisation la moins flatteuse, suggère le maintien du statu quo, ce qui peut être considéré comme contraire à l’acceptation du changement.
  • L’adoption de l’idée de l’intégration du changement climatique dans la politique implique que le statu quo peut se poursuivre aussi longtemps que le changement climatique est pris en compte, ce qui pourrait forcer les personnes à accepter que le changement sera extrêmement dramatique, et qu’il existe des limites dans la manière d’effectuer une intégration efficace.
  • La transformation, qui requiert un changement important des trois idées, pourrait éventuellement impliquer l’acceptation. Après tout, l’idée de transformation implique de nouvelles voies que les individus doivent accepter.

Lorsque la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques a été rédigée au début des années 1990, elle mettait l’accent sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Selon la science du temps, le problème pourrait être contenu avant qu’il ne se propage au point où les changements surviendront.

Aujourd’hui, près de 30 ans plus tard, il est admis de tous que les actions qui ont été menées ont été très insuffisantes et trop tardives, et que la planète est bloquée dans un certain nombre de changements précisés dans le récent rapport spécial du GIEC, Réchauffement planétaire de 1,5º C. Ce qui montre à bien des égards que le changement a été accepté.

Pourtant, plusieurs projets d’adaptation qui sont financés conservent l’idée selon laquelle avec quelques petits réglages, les moyens de subsistance et les modes de vie actuels peuvent être modifiés afin de répondre aux défis du changement climatique. Ils sembleraient presque que les habitants de la planète essayent d’éviter des pensées négatives, en appliquant aveuglément des mesures qui véhiculent l’espoir que la modification des conditions de vie dans le contexte d’un climat en mutation peut se faire, sans conséquences négatives directes ou indirectes.

Ceci n’indique pas une véritable acceptation.

 

Lisa Schipper
Environmental Social Science Research Fellow