Environnement, énergie et nature

Après la COP30, la mise en œuvre : quel programme pour les ministères des Finances ?

8 min

by

Etienne Espagne, Bastien Bedossa, Jean-Francois Mercure, William Hynes and Jeffrey Althouse

La transition écologique exige une action coordonnée des gouvernements du monde entier, et les ministères des Finances ont leur rôle à jouer. Pour une mise en œuvre réussie des stratégies de décarbonation, les ministères doivent travailler main dans la main pour concevoir des politiques efficaces.  Des exercices de simulation pourraient par exemple les aider dans ce processus, tout en renforçant la coordination entre les ministères des Finances et d’autres acteurs clés comme les banques centrales et les autorités financières.

Le programme de mise en œuvre de la COP30 place les ministères des Finances au premier plan de l’action climatique. Cependant, pour soutenir et aider à coordonner ce programme, les ministères, en collaboration avec les banques publiques de développement et les autorités financières, feraient bien d’élaborer une nouvelle série de scénarios de politiques économiques en faveur du climat et la nature. Un tel exercice pourrait les aider à naviguer malgré les forts vents contraires économiques actuels, tout en tirant pleinement parti des résultats de la « feuille de route de Bakou à Belém » et des objectifs de durabilité plus larges qui se profilent à l’horizon.

L’économie mondiale est actuellement  dans une période de turbulences accrues. En matière d’énergie, les systèmes traditionnels basés sur les énergies fossiles dominent toujours, même si de nouvelles alternatives à faible émission carbone se développent rapidement et remplacent les pratiques établies. Dans le même temps, l’intensification des chocs climatiques, la perte de biodiversité et la fragmentation géopolitique se combinent pour générer de forts vents contraires, susceptibles de créer des pressions budgétaires croissantes pour les gouvernements du monde entier.

Pour les ministères des Finances, le changement climatique ne peut donc plus être considéré comme une simple externalité. De fait, il est devenu « macro-critique », interagissant directement avec les équilibres budgétaires, la compétitivité économique, la viabilité de la dette, la sécurité énergétique, les opportunités d’investissement et la planification du développement.

The conference of the parties (COPs) over the years
Year COP Name City Main Agenda / Focus
1995COP1Berlin, GermanyBerlin Mandate — Launching stronger climate commitments
1996COP2Geneva, SwitzerlandGeneva Declaration — Recognizing need for binding targets
1997COP3Kyoto, JapanKyoto Protocol — Legally binding emissions targets
1998COP4Buenos Aires, ArgentinaImplementation plan for Kyoto mechanisms
1999COP5Bonn, GermanyTechnical rules for Kyoto Protocol
2000COP6The Hague, NetherlandsDisagreements over carbon sinks & finance
2001COP7Marrakesh, MoroccoMarrakesh Accords — Kyoto implementation rules finalized
2002COP8New Delhi, IndiaDelhi Declaration — Equity & development focus
2003COP9Milan, ItalyOperational details for Kyoto carbon markets
2004COP10Buenos Aires, ArgentinaAdaptation and climate resilience discussions
2005COP11Montreal, CanadaKyoto Protocol enters into force; future pathways discussed
2006COP12Nairobi, KenyaNairobi Work Programme on Adaptation
2007COP13Bali, IndonesiaBali Action Plan — Start of post-2012 negotiations
2008COP14Poznań, PolandProgress toward Copenhagen agreement
2009COP15Copenhagen, DenmarkCopenhagen Accord — Temperature target of 2°C
2010COP16Cancún, MexicoCancún Agreements — Green Climate Fund launched
2011COP17Durban, South AfricaDurban Platform — Roadmap for a global agreement
2012COP18Doha, QatarDoha Amendment to Kyoto Protocol
2013COP19Warsaw, PolandWarsaw Mechanism on Loss and Damage
2014COP20Lima, PeruLima Call for Climate Action
2015COP21Paris, FranceParis Agreement — Global climate framework
2016COP22Marrakesh, MoroccoMarrakesh Partnership & Paris rulebook work
2017COP23Bonn, Germany (Fiji presidency)Talanoa Dialogue introduced
2018COP24Katowice, PolandKatowice Rulebook — Paris implementation rules
2019COP25Madrid, Spain (Chile presidency)Article 6 negotiations (carbon markets)
2021COP26Glasgow, UKGlasgow Climate Pact — Phase-down of coal
2022COP27Sharm El-Sheikh, EgyptLoss and Damage Fund agreed
2023COP28Dubai, UAEGlobal Stocktake; call to transition away from fossil fuels
2024COP29Baku, AzerbaijanClimate finance goals for 2025–2030
2025COP30Belém, BrazilFocus on Amazon protection, indigenous rights, forest finance
Gd

Comment mobiliser la politique budgétaire pour traverser cette période de turbulences ? Comment les gouvernements du monde entier peuvent-ils coordonner des plans d’investissement rentables, décarbonés et axés sur l’adaptation au climat, qui reflètent la dynamique mondiale et les extrêmes plausibles ? Comment les ministères des Finances peuvent-ils, dans le cadre de leurs nombreuses fonctions, intégrer les considérations climatiques et environnementales ? Comment peuvent-ils coordonner efficacement leurs actions avec les autorités financières publiques sur la planification à long terme, ou avec les banques centrales sur des questions comme l’inflation ou la tarification du carbone ? Et comment les politiques et les ambitions nationales peuvent-elles s’aligner sur celles des coalitions régionales et mondiales pour l’action climatique ?

Ce ne sont là que quelques-unes des questions délicates auxquelles des exercices conjoints d’élaboration de scénarios de politiques économiques climatiques et environnementales pourraient contribuer à répondre. Bien sûr, les pays diffèrent considérablement en termes d’espace budgétaire disponible, d’accès aux marchés, d’exposition aux risques climatiques et environnementaux, de caractéristiques structurelles et de cadres institutionnels. Néanmoins, une discussion conjointe sur les extrêmes plausibles, les futurs mondiaux possibles et les combinaisons de politiques reste essentielle pour identifier collectivement un ensemble de principes fondamentaux et de scénarios prospectifs, en tenant compte des facteurs nationaux et des diverses combinaisons de politiques adaptées à chaque contexte.

De tels exercices de simulation, s’ils sont activement et conjointement développés par les parties concernées, notamment les ministères des finances, les banques publiques de développement et les autorités financières pourraient progressivement transformer l’architecture financière nationale et mondiale. D’une part, les investisseurs nationaux interpréteraient ces scénarios comme des signaux fiables que les pouvoirs publics sont désormais prêts et disposés à s’engager plus activement dans la transition écologique. D’autre part, ces scénarios mettraient en lumière les mandats respectifs des banques publiques de développement et des autorités financières en matière d’investissement public et de réglementation financière.

Les scénarios élaborés par les ministères des Finances permettraient également de renforcer le dialogue avec les banques centrales. Depuis 2017, dans le cadre du Réseau pour le verdissement du système financier (NGFS), les banques centrales ont déjà développé une série d’exercices de scénarios qui s’inscrivent dans leur mandat de stabilité des prix et de stabilité financière. Les scénarios conçus pour les ministères des Finances devront prendre une forme très différente, en se concentrant sur des extrêmes plausibles à court terme et d’éventuels opportunités dans le cadre de la transition, tout en mobilisant un éventail plus large de leviers politiques tels que la politique budgétaire et la politique d’endettement, le soutien à l’innovation verte et les transferts sociaux.

Au niveau mondial, les fonds verticaux, les institutions multilatérales et les investisseurs privés étrangers auraient aussi une meilleure compréhension des transformations prévues par chaque pays et des compromis qu’elles impliquent. Cela pourrait encourager une participation plus large aux plateformes existantes et émergentes dans l’ensemble du monde en développement. Dans le même temps, le pouvoir de transformation des ministères des Finances pourrait être renforcé grâce à une plus grande coordination sur les scénarios futurs, contribuant ainsi à accélérer les réformes de l’architecture financière internationale en intégrant le climat et la nature dans l’élaboration des politiques.

Les ministères des Finances ont déjà appris à se coordonner sur les questions liées au climat grâce aux volets techniques dédiés du G20 et du G7, ainsi qu’à des plateformes telles que la Coalition des ministres des Finances pour l’action climatique (CFMCA), le Cercle des ministres des Finances de la COP30 et divers réseaux régionaux. Des initiatives de coopération similaires ont également vu le jour entre les banques publiques de développement, telles que le réseau Finance in Common (FiCS) ou le Club international de financement du développement (IDFC). Ces plateformes seraient des partenaires idéaux pour construire une vision commune des futurs possibles et des réponses politiques nationales que ces futurs pourraient exiger. Les scénarios de politique économique climatique et environnementale destinés aux ministères des Finances pourraient combler cette importante lacune de mise en œuvre dans l’agenda post-COP30.

Etienne Espagne
Économiste senior spécialisé dans les questions climatiques, Agence française de développement (AFD) ; chercheur associé, CERDI
Bastien Bedossa
Économiste climatique, Agence française de développement (AFD)
Jean-Francois Mercure
Professeur de politique climatique, Global Systems Institute, École de commerce de l'Université d'Exeter
William Hynes
Économiste principal spécialisé dans le changement climatique à la Banque mondiale.
Jeffrey Althouse
Chercheur associé, Université Sorbonne Paris Nord (USPN)