Santé et hygiène

Assainissement : l’accès mondial est essentiel, mais à quel prix pour les ménages ?

7 min

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Barbara Toizer and Elene Cloete

L’accès à l’assainissement est un droit humain fondamental. Pourtant, plus de 40 % de la population mondiale n’a pas les moyens d’accéder à un assainissement sûr. Cet article explore les options possibles pour financer l’assainissement autonome des ménages dans les pays du Sud et montre pourquoi les communautés sont si importantes dans la réussite des programmes de financement.

Le sixième objectif de développement durable des Nations Unies (ODD6) prévoit un accès équitable à l’assainissement et à l’hygiène pour tous d’ici à 2030. Pourtant, en 2022, 3,5 milliards de personnes n’avaient pas accès à un assainissement sécurisé, ce qui confirme que le monde n’est pas du tout sur la bonne voie pour atteindre cet objectif. Il faudrait que la communauté internationale accélère les efforts et travaille jusqu’à six fois plus vite pour y parvenir.

Il est donc urgent que les bailleurs de fonds, les agences gouvernementales et les organisations à but non lucratif ainsi que de la société civile ne se contentent pas d’intensifier les interventions actuelles, mais qu’ils et elles restent constamment à la recherche de solutions alternatives pour améliorer l’accès à l’assainissement.

L’un des principaux obstacles à l’accès à un assainissement de qualité est son coût élevé. Lorsque les ménages ne disposent pas d’une somme suffisante pour construire des toilettes complètes et salubres, ils se tournent souvent vers des solutions moins coûteuses, notamment des latrines moins sûres, partagées ou la défécation à l’air libre.

Les initiatives financières constituent donc une méthode populaire pour améliorer l’accès à l’assainissement et représentent une alternative à d’autres interventions courantes, telles que les programmes pour faire changer les comportements (par exemple, l’assainissement total piloté par la communauté, qui décourage la défécation à l’air libre) et le développement du marché (par exemple, les incitations fiscales pour encourager les entreprises à desservir les zones rurales).

Les initiatives financières en matière d’assainissement visent à rendre les installations sanitaires financièrement abordables ou à proposer des incitations pour encourager un assainissement plus sûr. En fait, de nombreuses études ont montré que les initiatives qui prévoient des investissements monétaires, des subventions ou des infrastructures d’assainissement tendent à améliorer la couverture, l’accès et l’utilisation des latrines par rapport aux initiatives d’assainissement total piloté par la communauté ou aux initiatives uniquement éducatives.

Subventionner l’assainissement

Dans les années 80, les premières approches de financement ont souvent entièrement subventionné la construction d’installations sanitaires à faible coût. Cependant, ces approches ont eu du mal à se pérenniser en raison du manque de financement pour l’entretien courant, des difficultés à identifier les ménages dans le besoin, de la force de la corruption, de l’incapacité à répondre aux préférences des usagers et du coût élevé de la mise à l’échelle d’une infrastructure entièrement subventionnée.

Étant donné les limites des subventions totales, de nombreuses initiatives subventionnent aujourd’hui partiellement les solutions d’assainissement, en utilisant une variété de moyens tels que l’argent liquide, les bons, les crédits d’impôts, ou la fourniture des installations elles-mêmes. Les subventions peuvent être accordées directement aux ménages ou aux collectivités locales, aux services publics, aux associations d’usagers ainsi qu’à d’autres membres de la société civile.

Parfois, les subventions sont accordées sous forme de remises ou sont basées sur les résultats, ce qui signifie qu’elles ne sont accordées que lorsque certains résultats sont atteints, comme l’utilisation active de latrines. Bien que les fonds soient généralement fournis par des organisations externes, il arrive que le produit des achats des ménages plus aisés soit utilisé pour subventionner les achats des ménages plus pauvres.

Les subventions ont permis d’accroître l’accès à l’assainissement. Par exemple, le projet WASH-SUP2 financé par Water for Women d’International Development Enterprises (iDE) et le projet GREEN de l’UE ont révélé que le fait d’offrir des subventions de 50 % aux ménages dans les zones rurales du Cambodge augmentait de 31 % la probabilité que le ménage achète des latrines.

La microfinance au service de l’assainissement

Outre les subventions, des organisations à but non lucratif ont récemment commencé à proposer des investissements privés aux ménages pour financer des installations sanitaires. Les ménages remboursent ensuite le prêt, ainsi que les intérêts, au prêteur. Cette approche s’inspire des programmes de microfinance, via lesquels les institutions de microfinance gèrent de petits prêts pour soutenir les activités entrepreneuriales.

Dans le contexte de l’assainissement, les programmes de microfinance se sont révélés efficaces. Au Cambodge, des chercheurs de l’iDE ont constaté que les ménages étaient quatre fois plus susceptibles d’acheter des latrines avec un microprêt qu’avec un paiement en espèces à la livraison. Toutefois, les recherches ont également montré que, bien que les ménages acceptent de contracter un prêt pour financer les installations sanitaires, beaucoup d’entre eux (en particulier les plus pauvres) n’ont pas accès au microfinancement.

Les prêts communautaires pour financer l’assainissement

Bien qu’il ait permis d’augmenter le nombre de latrines, le microfinancement de l’assainissement est limité par le fait qu’il dépend souvent d’un financement externe continu, qui peut être assorti de taux d’intérêt élevés et de périodes de remboursement courtes. Les techniques de développement menées par les communautés peuvent apporter une autre orientation au microfinancement de l’assainissement.

En 2019 et 2020, trois organisations communautaires philippines, soutenues par Outreach International (OI) et Outreach Philippines Inc, ont mis en œuvre des projets de prêts pour l’assainissement dirigés par les communautés. Avec des propositions de projet conçues et développées par la communauté, ils ont demandé des fonds à OI pour construire des unités d’assainissement pour 121 familles.

Au lieu de fournir aux familles tous les fonds dont elles avaient besoin, les organisations communautaires ont subventionné 60 % des coûts de construction, les participants au projet remboursant les 40 % restants à l’organisation sur une période de cinq ans à un taux d’intérêt de 3 %.

Les trois organisations communautaires ont depuis construit 118 latrines qui servent à plus de 722 personnes. En décembre 2023, les participants auront remboursé 344 024,00 pesos philippins (₱)(6 254,98 USD), soit 56 % de la somme de remboursement prévue.

Grâce à cette structure de financement, les organisations communautaires ont décidé de la manière de gérer les prêts et de structurer le remboursement. L’un des avantages de cette autonomie est que les organisations ont pu choisir de financer non seulement la construction de nouvelles latrines, mais aussi leur réparation et leur entretien. La flexibilité permet également aux organisations communautaires d’accorder des dégrèvements aux ménages en cas de circonstances atténuantes ; par exemple, la suspension des paiements pendant six mois en 2020, lors de la première vague de COVID-19. En outre, une des organisations a choisi de collecter les paiements une fois par an, tandis que les deux autres les collectent une fois par mois.

Outre la flexibilité de la structure du prêt, le microfinancement de l’assainissement par la communauté permet aux remboursements, ainsi qu’aux intérêts accumulés, de rester au sein du groupe communautaire pour être dépensés à d’autres fins. Jusqu’à présent, les organisations communautaires ont utilisé ce capital récupéré pour fournir de l’électricité à leur centre communautaire et mettre en place des programmes de microcrédit plus larges, entre autres projets. Fonctionnant sur des échéances plus courtes de 2 à 3 mois, ces prêts fournissent des sommes plus modestes de 1 000₱ à 2 500₱ (18,18 à 45,45 dollars américains). Les organisations communautaires ont soutenu environ 117 ménages dans les trois communautés et ont accumulé des intérêts d’une valeur de 84 907₱ (1 543,76 USD).

Implication des communautés

L’importance de l’implication des communautés dans le développement des programmes de financement est également illustrée par le programme Sustainable Sanitation and Hygiene for All (SSH4A). Depuis 2008, année où l’organisation de développement SNV a commencé à mettre en œuvre le programme, SSH4A a développé ses activités dans 135 districts de 18 pays d’Asie et d’Afrique. L’un des aspects du programme SSH4A concerne les mécanismes de financement. En Tanzanie, par exemple, SNV a mis en place un fonds renouvelable pour les entrepreneurs afin d’augmenter la production de latrines. Malgré le succès initial, les entrepreneurs ont choisi de ne plus recourir au fonds parce qu’ils craignaient de ne pas pouvoir rembourser les prêts. Cela montre comment la participation de la communauté peut aider à garantir que les préoccupations des usagers sont bien prises en compte.

Atteindre l’équité en matière d’assainissement d’ici 2030 nécessite un investissement mondial. Étant donné que l’accessibilité financière est le principal obstacle à un assainissement de qualité, les interventions visant à alléger la charge financière des ménages sont une composante importante des plans qui visent à atteindre cet objectif. Les interventions doivent favoriser un accès durable à l’assainissement, afin de pérenniser les progrès réalisés au fil du temps.

L’un des moyens de garantir la viabilité de nos objectifs en matière d’assainissement est d’investir dans des solutions véritablement menées par les communautés. Nous avons constaté les avantages des approches communautaires tant dans nos propres recherches aux Philippines que dans celles d’autres parties. Nous espérons donc que les solutions locales aux problèmes d’assainissement recevront désormais plus d’attention. L’intensification de ces solutions peut conduire à de meilleurs résultats que les solutions uniques.

Barbara Toizer
Assistante de recherche, Outreach International
Elene Cloete
Directrice principale de la recherche et du plaidoyer, Outreach International