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Les conséquences du Covid-19 sur les intentions migratoires des jeunes Gambiens vers l'Europe
Droits fondamentaux et égalité

Les conséquences du Covid-19 sur les intentions migratoires des jeunes Gambiens vers l’Europe

7 min

by

David McKenzie, Tijan L Bah, Catia Batista and Flore Gubert

En raison des grandes différences de niveau de revenus entre l’Afrique et l’Europe, les motivations de certaines populations à migrer sont fortes, même par des moyens irréguliers, coûteux et potentiellement dangereux. Mais le Covid-19 a-t-il changé les projets des jeunes ? Cet article rapporte que, en Gambie, les plus pauvres et les moins sûrs d’entre eux ont moins l’intention d’émigrer vers l’Europe par ces voies détournées. Toutefois, le désir général d’émigrer reste très fort, ce qui souligne la nécessité de disposer de voies légales sûres.

L’expansion des populations jeunes, le manque d’opportunités économiques, l’instabilité politique et les conflits ont été autant de facteurs qui ont contribué à la croissance de la migration clandestine de l’Afrique vers l’Europe au cours de la dernière décennie. Près d’un million de migrants d’Afrique subsaharienne ont demandé l’asile en Europe entre 2010 et 2017.

Mais les voies légales de migration sont limitées – et le moyen le plus courant pour les jeunes de migrer de l’Afrique de l’Ouest vers l’Europe est donc ce que l’on appelle le « backway ». Il s’agit d’un voyage terrestre à travers l’Afrique de l’Ouest, le désert du Sahara et la Libye, d’où les jeunes tentent de prendre des bateaux pour l’Italie et d’autres destinations européennes, chaque étape comportant de multiples risques.

Les images de jeunes Africains sur des bateaux en caoutchouc surchargés ont placé le phénomène sous le feu des projecteurs politiques, tout en attirant l’attention sur les coûts humanitaires pour les migrants qui risquent d’être victimes d’abus voire de perdre la vie au cours de ces voyages.

En réponse, la Commission européenne a créé un Fonds fiduciaire d’urgence pour l’Afrique, doté de 4,8 milliards d’euros, afin de soutenir les programmes relatifs aux migrations et aux déplacements de population destinés à réduire les incitations à migrer. Cependant, les experts en migration notent que l’expérience passée montre que la capacité de l’aide au développement à décourager la migration est, au mieux, faible.

L’une des raisons en est que les écarts de revenus entre les pays sont considérables. Par exemple, en 2019, le revenu par habitant était de 778 dollars en Gambie, alors qu’il était 42 fois plus élevé en Italie, soit 33 228 dollars. Face à ces écarts considérables, il n’est pas surprenant que 56 % des 3 700 jeunes Gambiens que nous avons interrogés en 2019 aient déclaré qu’ils migreraient en Europe s’ils en avaient l’occasion.

La Gambie a une longue histoire en matière de migration, notamment en raison de sa petite taille et de sa situation géographique sur des routes commerciales historiques. Les flux migratoires vers l’Europe et les demandes d’asile ont augmenté à la suite d’un coup d’État en 1994, conduisant la Gambie à devenir le pays africain avec la plus forte incidence de migration clandestine par rapport à sa population totale, selon les données de 2017. Les transferts de fonds envoyés par cette diaspora constituaient 20 % du PIB gambien, contribuant à faire vivre de nombreuses familles.

Comment la pandémie a-t-elle modifié ces intentions migratoires ?

Le Covid-19 a contribué à limiter davantage les possibilités légales de migration en fermant les frontières, ce qui laisse penser que la migration clandestine pourrait, en réaction, augmenter davantage. Mais la pandémie a également affecté d’autres considérations liées à la décision de migrer, rendant l’impact global théoriquement peu clair.

D’une part, la détérioration des conditions économiques dans le pays et la diminution potentielle des envois de fonds de l’étranger pourraient inciter davantage de personnes à tenter de partir. D’autre part, la baisse des revenus dans le pays d’origine réduit la capacité à financer les coûts de la migration. Qui plus est, les effets de la pandémie sur la santé ont été plus sévères dans les principales destinations européennes qu’en Gambie, et les possibilités de revenus dans les principales destinations ont diminué.

La figure 1 montre comment ces différents facteurs d’incitation et d’attraction de la migration se sont aggravés pour presque tous les membres de notre échantillon.

Figure 1 : Évolution des facteurs d’incitation et d’attraction de la migration

Dans le cadre de nos recherches récentes, nous avons réinterrogé des hommes gambiens âgés de 18 à 33 ans entre septembre et octobre 2020 pour voir si la pandémie avait modifié leurs intentions de migrer vers l’Europe, mais aussi vers une destination migratoire plus proche – Dakar, la capitale du Sénégal voisin.

La figure 2 résume le premier résultat clé : deux tiers des personnes interrogées déclarent que la probabilité de vouloir migrer vers l’Europe n’a pas changé, 30,6 % disent qu’elles sont devenues moins susceptibles de vouloir migrer, et seulement 3,5 % sont devenues plus susceptibles de migrer. Les changements dans les intentions sont similaires pour l’intention de migrer à Dakar.

Figure 2 : Effet déclaré du Covid-19 sur l’intention d’émigrer en Europe et à Dakar

Remarques : La figure 2 montre les réponses de 2 661 jeunes Gambiens de sexe masculin âgés de 18 à 33 ans à la question suivante : « En tenant compte de tous les différents effets du Covid-19/Coronavirus sur votre capacité à gagner de l’argent dans votre village natal, à financer un voyage, à trouver du travail à l’étranger, et sur vos risques sanitaires dans les deux endroits, quel est l’effet global du Covid-19 sur votre probabilité de vouloir migrer vers [destination] ».

Nous avons fait varier de manière expérimentale le degré d’importance de la pandémie au moment où les gens répondaient à cette question en choisissant au hasard si une vidéo d’information et une série de questions sur les effets de la pandémie leur étaient posées avant ou après ces questions sur la migration, et nous avons constaté que les réponses étaient similaires dans les deux cas. Nous attribuons ce résultat au fait que la pandémie est déjà très présente à l’esprit des jeunes lorsqu’ils envisagent de migrer.

Nous examinons ensuite quels jeunes sont les plus susceptibles de faire partie des 31 % qui affirment être devenus moins susceptibles de migrer. Les jeunes qui n’étaient pas sûrs de vouloir migrer avant la pandémie sont les plus susceptibles d’avoir changé d’avis et de ne plus vouloir migrer, tout comme les jeunes les plus pauvres qui ne peuvent plus assumer les coûts du voyage.

Le désir de migrer reste incroyablement élevé

La pandémie a donc fait ce que près de 5 milliards d’euros d’aide n’ont pas réussi à faire, à savoir réduire le désir de migrer de l’Afrique vers l’Europe. Mais on ne sait pas si cette réduction des intentions est permanente, ou si l’intention de migrer augmentera à nouveau une fois la pandémie terminée.

De plus, malgré cette réduction, le désir de migrer vers l’Europe reste incroyablement élevé chez ces jeunes hommes, 65 % d’entre eux déclarant qu’il est probable ou très probable qu’ils essaient d’émigrer, et 58 % qu’ils envisageraient le la migration clandestine.

Cela soulève plusieurs pistes d’action politique. La première consiste à explorer les options politiques permettant d’ouvrir davantage de voies légales de migration vers l’Europe, compte tenu de cette forte demande. 

La seconde, que nous testons actuellement dans le cadre d’une expérience aléatoire, consiste à expérimenter différentes approches pour réduire la demande de migration clandestine.

L’une d’entre elles consiste à travailler avec les rapatriés pour leur fournir davantage d’informations sur les dangers et les risques du voyage ; une deuxième consiste à aider les jeunes à migrer vers des destinations plus proches et plus sûres comme Dakar ; et une troisième consiste à leur offrir davantage d’opportunités dans leur pays grâce à une formation professionnelle.

 

 Auteur.e.s :

David McKenzie est économiste principal au sein du groupe de recherche sur le développement de la Banque mondiale. Ses principales recherches portent sur la migration, le développement des entreprises et la méthodologie à utiliser avec les données des pays en développement. 

Tijan L Bah est chercheur résident au Navarra Center for International Development et membre de recherche externe de NOVAFRICA. Ses recherches portent sur la migration, le travail, l’évaluation des politiques et l’économie du développement. 

Catia Batista est professeure associée à la Nova School of Business and Economics et directrice scientifique du centre de recherche NOVAFRICA. Ses recherches portent sur les migrations internationales et les transferts de fonds, l’inclusion financière, l’entrepreneuriat, l’adoption de technologies, l’éducation et l’évaluation de l’impact des politiques.

Flore Gubert est chercheuse senior à l’Institut national de recherche pour le développement durable (IRD) et membre associé de PSE-Ecole d’économie de Paris. Ses recherches portent sur les migrations et l’évaluation de l’impact des politiques.

David McKenzie
Lead Economist, World Bank
Tijan L Bah
Resident Fellow, Navarra Center for International Development
Catia Batista
Associate Professor, Nova School of Business and Economics
Flore Gubert
Senior Researcher, IRD