En 2015, la santé mentale a été incluse dans les objectifs de développement durable (ODD). Cet article soutient que si nous voulons parvenir à une réduction substantielle de la charge mondiale des problèmes de santé mentale, nous devons nous pencher sur les circonstances sociales et économiques qui en sont à l’origine. Un programme de développement intégré devrait placer la santé mentale au centre, à la fois comme moyen et comme objectif du développement international.
Pour ceux d’entre nous qui travaillent depuis de nombreuses années comme défenseurs et chercheurs de la santé mentale mondiale, 2015 a été une étape remarquable. Pour la première fois, la santé mentale a été incluse dans les ODD. C’était important car la santé mentale avait été jusque-là absente des initiatives internationales de développement, entre autres les objectifs du Millénaire pour le développement.
L’objectif en matière de santé mentionne spécifiquement des cibles de santé mentale, de bien-être et de toxicomanie : ODD 3 (cibles 3.4 et 3.5). Les cibles soutiennent l’intégration de la santé mentale dans les régimes nationaux d’assurance maladie, à mesure que de nombreux pays s’orientent vers une couverture médicale universelle, afin de réduire les inégalités en matière de santé dans le monde.
Pourtant, il y a danger à penser que la santé mentale n’est pertinente que dans l’ODD 3. Le risque étant que tous les efforts et ressources de développement international se concentrent sur l’apport de services de traitement et sur la réduction de l’écart de traitement entre les personnes vivant avec des problèmes de santé mentale.
Il s’agit d’un domaine de développement important. De fait, il a été au cœur d’une grande partie de mon travail au cours des 20 dernières années, par exemple à travers les collaborations PRIME et AFFIRM.
Mais ce n’est pas tout. Pourquoi ? Parce que les problèmes de santé mentale comme la dépression, l’anxiété, le trouble de stress post-traumatique et la schizophrénie sont profondément déterminés par la société. L’exposition à l’adversité sociale et économique influe sur la santé mentale tout au long de la vie.
Par exemple, la pauvreté a un effet négatif sur la santé mentale, comportementale et émotionnelle des enfants et des jeunes par un certain nombre de biais. Pauvreté et maladie mentale sont entremêlées, dans un cercle vicieux qui augmente le risque de maladie mentale chez les pauvres et qui maintient les personnes atteintes de maladie mentale dans une spirale descendante vers la pauvreté.
Lors de la mise en œuvre de l’essai AFFIRM sur la dépression post-partum à Khayelitsha, en Afrique du Sud, nous avons rencontré de nombreuses femmes dont l’état dépressif était lié à leur expérience de la pauvreté et de l’adversité sociale.
En d’autres termes, si nous voulons parvenir à une réduction substantielle de la charge mondiale des problèmes de santé mentale, nous devons nous pencher sur les circonstances sociales et économiques qui en sont à l’origine. Ou pour le dire plus clairement : pourquoi soigner les gens si c’est pour les renvoyer ensuite vers les circonstances qui les ont rendus malades en premier lieu ?
Récemment, nous avons entrepris une vaste étude systématique des examens avec un nouveau cadre destiné aux déterminants sociaux de la santé mentale. Ce cadre intègre les ODD dans chacun des cinq domaines principaux : démographie, économie, voisinage, événements environnementaux et socioculturels. Nous avons synthétisé les données de 289 études systématiques, fournissant des preuves convaincantes de la façon dont les facteurs distaux et proximaux dans chaque domaine façonnent la santé mentale des individus tout au long de leur vie.
Par ce processus, nous tentons d’illustrer en quoi la réalisation d’un éventail beaucoup plus large de cibles des ODD est pertinente pour la santé mentale mondiale. Par exemple, la réduction de la violence sexiste, les transferts monétaires, l’amélioration du logement, l’amélioration de l’éducation et les réponses rapides aux urgences humanitaires sont tous profitables à la santé mentale – et leur impact et leur durabilité pourraient potentiellement être renforcés par des interventions intégrées de santé mentale.
À titre d’illustration, l’effet des programmes de transferts monétaires pour les jeunes sans emploi pourrait être considérablement amélioré grâce à la thérapie cognitivo-comportementale qui renforce la capacité des jeunes à gérer la mauvaise humeur, l’irritabilité ou l’anxiété, à développer des compétences sociales et à promouvoir leur capacité à planifier leur avenir. Ces investissements dans le développement du cerveau humain permettraient d’accroître la rentabilité des investissements dans le développement économique et social.
En bref, il faut un programme de développement intégré qui place la santé mentale au centre – à la fois comme moyen et comme objectif du développement international.
Dans cette perspective, il serait possible d’établir de nouveaux programmes politiques, axés sur l’intégration de la santé mentale dans d’autres priorités de développement. Il pourrait s’agir, par exemple, de fournir un logement accompagné aux adultes sans domicile souffrant de maladies mentales graves dans les bidonvilles urbains, ou encore d’intégrer la promotion de la santé mentale dans les programmes d’autonomisation des femmes, à l’intention des adolescentes.
Dans cette perspective toujours, un programme de recherche plus large devient possible : évaluer les résultats en matière de santé mentale et les résultats économiques des programmes qui offrent aux adolescents et jeunes adultes la possibilité de recevoir une compensation monétaire s’ils suivent des interventions psychosociales autour du partage des tâches. Ou encore, lier la génétique, les neurosciences cognitives et l’économie du développement pour évaluer les résultats en matière de santé mentale, sociale et économique des très nombreux enfants qui naissent dans les pays africains.
C’est une période passionnante pour travailler dans le domaine de la santé mentale mondiale, en particulier dans les pays à faibles et moyens revenus. Les ODD nous mettent au défi d’inclure la santé mentale à la fois comme moyen d’atteindre d’autres cibles de développement international et un objectif valable en soi.