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Combler le fossé numérique : le Rwanda en quête d’une gouvernance numérique équitable

6 min

by

Elizabeth Bermeo and Fabrizio Santoro

Les pays en développement investissent de plus en plus dans des plateformes numériques afin de transformer les opérations gouvernementales et d’améliorer la prestation des services publics. Au Rwanda, cette transformation est portée par IremboGov, une plateforme intégrée d’administration publique électronique qui simplifie l’accès à des services essentiels. Bien que cette initiative marque un progrès significatif, plusieurs obstacles subsistent, notamment l’accès limité à Internet, le coût élevé des appareils et une faible littératie numérique. Il est essentiel de répondre à ces questions pour garantir l’inclusion de tous et toutes dans l’avenir numérique du Rwanda.

La dématérialisation des services publics est une priorité de la Vision 2050 du Rwanda, un cadre stratégique visant à établir des institutions d’État responsables, compétentes et modernes oeuvrant à la réalisation de la vision nationale et guidées par l’engagement politique.

La première stratégie nationale de transformation du Rwanda (NST1, 2017–2024) était axée sur le renforcement des capacités institutionnelles, l’amélioration de l’efficacité des services et le renforcement de la reddition de comptes dans l’administration publique. Élaborée sur cette base, la deuxième stratégie nationale de transformation (NST2, 2024–2029) fixe deux objectifs ambitieux à l’horizon 2030 : numériser l’intégralité des services gouvernementaux; et doter chaque citoyen et citoyenne d’un identifiant numérique unique afin d’améliorer la qualité et l’efficacité des services gouvernementaux.

IremboGov : le moteur du cybergouvernement du Rwanda

Lancé en 2015, IremboGov est devenu la colonne vertébrale de la stratégie de transformation numérique du Rwanda. Cette plateforme intégrée donne accès aux citoyennes et citoyens à plus de 100 services gouvernementaux concernant divers domaines tels que la famille, l’immigration, la santé, l’éducation, la fiscalité et la gestion foncière, améliorant ainsi considérablement l’efficacité et l’accessibilité de ces services dans tout le pays.

La plateforme traite 300 000 à 500 000 demandes chaque mois, et 80 % des transactions sont réalisées en ligne. Les paiements sont traités en temps réel par l’intermédiaire de l’argent mobile, de cartes bancaires et de services bancaires en ligne, le moyen de paiement le plus utilisé étant l’argent mobile. Depuis son lancement, IremboGov a traité plus de 25 millions de demandes représentant environ 300 millions de dollars des États-Unis de transactions, pour une économie de plus de 100 millions d’heures de travail. Les délais de traitement des services concernés sont en outre passés de cinq jours à seulement 24 heures.

IremboGov est géré dans le cadre d’un partenariat public-privé et génère des recettes à partir de commissions sur les demandes payantes ayant abouti. La plateforme est accessible sur un site Web, une application mobile et une interface textuelle utilisant les données de service supplémentaires non structurées (USSD), cette dernière fonctionnant sur des téléphones mobiles basiques et ne nécessitant pas de connexion à Internet, garantissant ainsi l’accès de tous et toutes. Pour favoriser davantage l’inclusion numérique, plus de 7 000 agents fournissent une assistance « du dernier kilomètre » aux quatre coins du pays en aidant les personnes qui n’ont pas accès à Internet ou qui ne maîtrisent pas les technologies numériques à accéder aux services concernés.

L’accessibilité et les coûts sources d’inégalité

Bien que IremboGov représente une avancée majeure, des évaluations internationales soulignent des axes d’amélioration. Selon l’indice de développement de l’administration en ligne (EGDI) des Nations Unies 2024, qui évalue la prestation de services numériques, les infrastructures de télécommunications et le capital humain, le Rwanda a progressé, son indice étant passé de 0,55 en 2022 à 0,58 en 2024. Malgré cette hausse, son indice demeure inférieur à la moyenne pour le continent africain (0,86) et l’Afrique orientale (0,75).

L’EGDI indique deux priorités : l’amélioration de la connectivité Internet, en particulier l’accès à des services mobiles abordables ; et le renforcement de l’alphabétisation numérique afin de faciliter l’utilisation des plateformes d’administration publique en ligne aux citoyennes et citoyens et assurer leur participation à l’économie numérique globale.

Bien que le réseau mobile à large bande couvre 99 % du territoire rwandais, seulement 20 % de la population utilise le réseau mobile Internet, ce qui met en exergue un important déséquilibre en matière d’accès. Les téléphones mobiles sont le premier moyen de connexion à Internet, cependant, seulement 22 % de la population possède un smartphone, soit beaucoup moins que la moyenne en Afrique orientale (32 %) et en Afrique subsaharienne (49 %).

Le coût demeure un obstacle majeur. Pour les 40 % de personnes ayant les revenus les plus faibles, le coût d’un téléphone simple permettant de se connecter à Internet et de 1 Go de données représente environ 60 % du revenu mensuel, un coût prohibitif qui limite l’inclusion numérique.

Des mesures telles que l’augmentation des taxes sur les services mobiles risquent d’exhacerber le problème. Selon un récent rapport de GSMA, une association professionnelle représentant les intérêts d’opérateurs de réseaux mobiles du monde entier, le passage des droits d’accise de 10 % à 12,5 % et la réintroduction d’une taxe sur la valeur ajoutée (TVA) à 18 % sur les téléphones mobiles importés entraîneraient une hausse significative du coût des appareils. Ces mesures auraient une incidence disproportionnée sur les personnes vivant en milieu rural, 93 % d’entre elles vivant sous le seuil de pauvreté. Ces réformes fiscales sont incompatibles avec les objectifs de la politique et de la stratégie nationales relatives au réseau à large bande et de l’initiative #ConnectRwanda 2.0, qui vise à stimuler l’acquisition de smartphones par les ménages à faible revenu.

L’urgence croissante du fossé en matière d’alphabétisation numérique

Les infrastructures seules ne suffisent pas. Les compétences numériques sont essentielles pour utiliser des plateformes telles que IremboGov et accéder aux services d’administration publique en ligne. L’alphabétisation numérique reste toutefois à un bas niveau, en particulier dans les zones rurales. Selon des recherches récentes sur les services fiscaux électroniques, un grand nombre d’utilisateurs et d’utilisatrices rencontrent des difficultés en ce qui concerne l’utilisation correcte des systèmes numériques.

Ce défi devient de plus en plus pressant, car le Rwanda prévoit de lancer plus de 200 services électroniques supplémentaires. Selon des estimations du ministère des Technologies de l’information et des communications et de l’Innovation, cinq millions de Rwandais et Rwandaises ne disposent pas des compétences numériques requises pour utiliser correctement ces plateformes. Le gouvernement entend ainsi faire passer la l’alphabétisation numérique de la population de 53 % à 80 % d’ici 2027 et parvenir à une alphabétisation numérique universelle d’ici à 2030. Cette démarche est essentielle pour combler la fracture numérique entre les populations urbaines et rurales ainsi que garantir l’inclusivité du processus de transformation numérique du pays.

Les progrès du Rwanda en matière de gouvernance numérique sont impressionnants, mais des défis en matière de connectivité demeurent, le coût et la l’alphabétisation numérique et continuent d’entraver l’accès équitable aux services numériques. Ces obstacles ne sont pas propres au Rwanda. En effet, de nombreux pays en développement sont confrontés à des défis similaires dans le cadre de leur transformation numérique.

Pour que cette démarche bénéficie à l’ensemble de la population, le gouvernement doit combler l’écart entre les ambitions et la réalité, ce qui nécessite non seulement d’investir en faveur des infrastructures et du renforcement des compétences numériques, mais également de soutenir des politiques qui encadrent le coût d’accès aux services électroniques et favorisent l’accessibilité de ces derniers. En faisant de l’inclusion une priorité, le Rwanda, et les pays se trouvant dans une situation similaire, peuvent créer des cybergouvernements qui bénéficient à chaque individu indépendamment de ses revenus ou de sa zone géographique.

Elizabeth Bermeo
Chercheuse associée, Université de Bristol
Fabrizio Santoro
Chercheur, Centre international pour la fiscalité et le développement - Institut d'études du développement