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Couverture médiatique du terrorisme : amplifier l’effet négatif des attaques contre les écoles
Droits fondamentaux et égalité

Couverture médiatique du terrorisme : amplifier l’effet négatif des attaques contre les écoles

5 min

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Marco Alfano and Joseph-Simon Görlach

Les attaques terroristes ont un impact néfaste important sur l’éducation, en particulier quand elles se produisent sur le trajet entre le domicile des enfants et leur école primaire locale. Cet article présente des preuves provenant du Kenya qui montrent que la couverture médiatique du terrorisme amplifie ces effets. Ses conclusions mettent en garde contre le sensationnalisme dans la couverture de tels événements. Enfin, le fait de fournir aux enfants un moyen de transport rapide, fiable et sûr pour se rendre à l’école peut également atténuer certains des effets dévastateurs du terrorisme et contribuer à augmenter le taux de scolarisation en cas d’attentats.

Les probabilités observées de mourir lors d’une attaque terroriste sont comparables à celles d’être tué par la foudre. Pourtant, parmi les personnes interrogées dans le cadre du World Values Survey en Europe et en Amérique du Nord, 58 % se disent « inquiètes » des attentats terroristes. En Afrique, le chiffre monte à 74 %, une proportion comparable aux craintes de perte d’emploi ou de guerre. Ces fortes réactions émotionnelles à des événements relativement peu fréquents sont le résultat de tactiques délibérées : les terroristes cherchent à répandre la peur et les troubles au-delà de l’acte violent lui-même.

Les stratégies d’intimidation adoptées par les terroristes font que la simple possibilité d’attentats peut provoquer une baisse de la scolarisation, même sans détruire les infrastructures ou tuer des civils. Si de multiples études ont montré que les violences – de quelque nature qu’elles soient – peuvent entraver la scolarisation, voire la réussite scolaire, dans de nombreux pays (notamment au Brésil, en Afrique de l’Ouest, en Afrique de l’Est, en Asie de l’Est et en Inde), on sait relativement peu de choses sur le rôle de la demande en matière d’éducation des parents qui expliquerait ces baisses.

L’exposition aux médias de masse peut avoir une influence considérable sur les résultats socio-économiques. Par exemple, la radio ou la télévision peuvent affecter les résultats scolaires des enfants – soit directement, soit en modifiant le rôle des femmes dans leur foyer, comme on l’a vu en Inde et au Cambodge.

Outre l’effet direct sur l’éducation, la couverture médiatique peut également propager l’impact néfaste des attaques terroristes contre les écoles en alimentant les peurs et en attisant les passions. Comme l’indique un rapport de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) : « La suspicion d’être le mégaphone du terrorisme ou de chercher à faire de l’audience pèse constamment sur des médias qui opèrent en sur-régime. »

Le Kenya est un cadre idéal pour étudier les relations entre les attaques terroristes, la couverture médiatique et l’éducation. Le pays se caractérise par une couverture relativement inégale des fréquences radio, qui sont le principal accès à l’information. En outre, certaines régions du pays – principalement le nord-est – ont connu une forte augmentation des activités terroristes depuis la fin des années 2000. La figure 1 montre le site et le moment de ces attaques.

Figure 1 : Attaques terroristes au Kenya

                 Victimes d’attentats terroristes                             Attaques terroristes au fil du temps1

 
   

L’effet néfaste du terrorisme sur la scolarisation est amplifié par l’accès aux médias. Comme le montre la figure 2, la scolarisation diminue dès le début des attaques dans les régions les plus touchées.

Plus surprenant peut-être, la baisse des inscriptions est beaucoup plus forte pour les enfants dont les parents ont couverture de signal radio et donc un accès à la radio. La différence est d’environ 5 points de pourcentage, un écart important qui suggère, d’une part, que l’effet des attentats terroristes sur la scolarisation est effectivement en lien avec l’accès, ou non, des parents à l’information et, d’autre part, que la conscience du terrorisme et des risques subjectifs qui y sont associés peuvent jouer un rôle.

Figure 2 : Attaques terroristes, scolarisation et couverture du signal radio2

 

 
   

Indépendamment des attentats réels, le nombre d’articles de presse sur le terrorisme impacte négativement la scolarisation. Le terrorisme au Kenya a suscité une attention médiatique considérable, comme le montre la figure 3.

Si l’on rapporte le nombre d’articles de presse traitant du sujet au nombre d’inscriptions scolaires dans une région spécifique du Kenya, on constate que pour cent mentions dans les médias, la fréquentation scolaire diminue de 0,5 point de pourcentage. Les estimations suggèrent que chaque centaine de mentions dans les médias a le même effet qu’une attaque réelle. Il n’est pas surprenant que ces effets ne soient valables que pour les ménages dont le foyer est couvert par un signal radio. Pour les ménages qui n’ont pas accès à la radio, il n’y a pas de relation entre la couverture médiatique du terrorisme et la scolarisation.

Figure 3 : Couverture médiatique des attentats terroristes au Kenya3

Ces résultats soulignent l’importance de la place du terrorisme dans les médias, qui amplifie l’impact négatif déjà considérable du terrorisme sur l’éducation. Dans le cas spécifique des choix en matière d’éducation, il s’agit d’un facteur qui pourrait bien avoir des effets durables sur les résultats socio-économiques ainsi que sur l’évolution démographique.

L’analyse de la localisation exacte des attentats, des domiciles des enfants et des écoles montre que les attentats perpétrés à proximité des foyers ont un effet négatif particulièrement fort sur l’éducation. Mais l’effet le plus néfaste est celui produit par les attaques sur le chemin de l’école.

Ensemble, ces résultats suggèrent que la minimisation de l’effet néfaste des attaques sur la scolarité nécessite une approche multidimensionnelle.

D’une part, les résultats sur l’importance de la couverture médiatique doivent être considérés comme une mise en garde contre le sensationnalisme et un plaidoyer en faveur d’une couverture modérée et factuelle des événements terroristes. Le rapport de l’UNESCO fait des recommandations utiles sur la manière dont les journalistes pourraient rendre compte du terrorisme.

D’autre part, le fait de savoir où les attentats ont eu lieu permet de penser que le fait d’offrir aux enfants un moyen de transport rapide, fiable et sûr pour se rendre à l’école peut atténuer certains des effets négatifs du terrorisme et contribuer à augmenter le taux de scolarisation malgré les attentats.

 

Marco Alfano
Lecturer, University of Strathclyde
Joseph-Simon Görlach
Assistant professor, Bocconi University.