Économie, emplois et entreprises

Des compétences pour assurer l’avenir des emplois dans les pays en développement

6 min

by

Nisha Arunatilake

L’évolution technologique et l’innovation transforment les marchés du travail, entraînant de profondes répercussions sur les profils des emplois disponibles, les compétences requises pour occuper ces emplois et l’organisation du travail. Comme l’explique cet article, des changements profonds dans les systèmes d’enseignement supérieur de nombreux pays en développement sont nécessaires pour répondre à la demande croissante de travailleurs hautement qualifiés.

Les voitures sans conducteur et les impressions 3D de pièces de carrosserie font souvent l’actualité dans les pays développés. Bien que moins perceptibles, les changements technologiques font également des percées dans les pays en développement, influençant la façon dont les gens vivent et travaillent. Par exemple, même les ouvriers, comme les mécaniciens automobiles, travaillent désormais avec des ordinateurs pour détecter les problèmes et réparer les véhicules.

Les technologies ont influencé les marchés du travail tout au long de l’histoire, mais les transformations actuelles se distinguent par leur rapidité, leur échelle et la complexité des changements. Les avancées scientifiques dans un large éventail de domaines, tels que la génétique, l’intelligence artificielle, les nanotechnologies et l’impression 3D, alimentent des innovations qui redéfinissent la façon dont les gens vivent, travaillent et interagissent les uns avec les autres.

Ces innovations créent et modifient constamment les processus de production et révolutionnent les activités d’un large éventail d’industries. Elles restructurent également les marchés du travail.

Les systèmes éducatifs peuvent-ils répondre à ces demandes changeantes du marché du travail ? En janvier 2020, le Forum économique mondial a appelé à une révolution de la requalification. Cet article souligne la nécessité de transformer les systèmes éducatifs des pays en développement pour qu’ils puissent bénéficier des transformations technologiques.

Comment les changements technologiques affectent-ils le marché du travail ?

Les changements technologiques affectent les marchés du travail de multiples façons. Ils modifient les profils de compétences professionnelles au sein des pays. En 2016, Le Forum économique mondial a prédit que 65 % des enfants d’aujourd’hui occuperont des emplois qui n’existent pas encore.

Des changements similaires se produisent dans les pays en développement. Une enquête sur l’avenir des emplois en Inde révèle que parmi les emplois de 2017, 9 % n’existeront plus, et 37 % auront des exigences de compétences radicalement différentes d’ici 2022.

Des recherches fondamentales menées par David Autor et ses collègues ont montré pour la première fois comment l’informatisation augmente la demande de main-d’œuvre spécialisée dans les tâches complexes et non routinières de résolution de problèmes et de communication, tout en diminuant la demande de travailleurs effectuant des tâches manuelles et cognitives routinières.

L’informatisation des tâches routinières a permis aux entreprises de délocaliser les travailleurs, modifiant ainsi l’organisation du travail. Ces changements ont profité aux entreprises pendant la pandémie de Covid-19, lorsque le travail à domicile est devenu la norme dans de nombreux pays.

Pourquoi les compétences sont de plus en plus importantes

Les recherches montrent qu’au fil du temps, l’automatisation affecte nettement moins la cessation d’emploi des personnes ayant suivi un enseignement supérieur (5 %) que celle des personnes n’ayant suivi qu’un enseignement secondaire inférieur (40 %). Des données provenant du Sri Lanka montrent également que les emplois occupés par des travailleurs ayant au moins un diplôme sont moins susceptibles d’être automatisés (voir figure 1).

Figure 1. Probabilité d’informatisation des emplois, selon le niveau d’éducation

Source : Calculs personnels à partir des données de l’enquête sur la main-d’œuvre du Sri Lanka 2018, mises en correspondance avec les probabilités d’informatisation pour les professions détaillées.

Offre de compétences

Malgré la demande croissante de travailleurs plus qualifiés, l’offre de personnes ayant une formation supérieure de qualité dans les pays à revenu intermédiaire inférieur est faible. Les taux bruts de scolarisation dans l’enseignement tertiaire des pays à faible revenu sont inférieurs à ceux des pays à revenu élevé (voir figure 2) en raison de la faible demande, des installations inadaptées, de la faible qualité de la pédagogie et des structures de gouvernance.

De plus, dans le secteur de l’enseignement supérieur, il faut répondre à des besoins spécifiques pour différents types de diplômés, même si la demande exacte varie selon les pays. Mais la demande dans certains domaines d’études, tels que les sciences et les technologies, a augmenté plus rapidement que l’offre, créant ainsi des pénuries pour ces diplômés dans de nombreux pays avancés. Malgré l’attention accordée à l’amélioration des systèmes éducatifs par le passé, les progrès ont été limités.

La migration des travailleurs qualifiés vers les pays industrialisés, attirés par des visas préférentiels, exacerbe les déficits de compétences dans les pays en développement. Cet exode est également dû à la faiblesse de la croissance, aux mauvaises conditions du marché du travail – telles que le manque d’opportunités appropriées, des salaires plus bas et des conditions d’emploi inférieures – et à la mauvaise qualité de vie dans les pays d’origine par rapport à d’autres.

 

Figure 2. Taux bruts d’inscription dans l’enseignement supérieur (%)

Source : Compilation personnelle à partir de l’Institut de statistique de l’UNESCO.

Note : Données pour la dernière année disponible. Consulté en juin 2021.

Le manque de travailleurs qualifiés crée des pénuries de main-d’œuvre. Certaines industries recourent à l’embauche de travailleurs sous-qualifiés. Ces pénuries de compétences limitent l’expansion et la productivité des entreprises et entravent la croissance. Par exemple, selon l’Organisation internationale du travail, il faut au moins un premier diplôme ou une qualification de niveau supérieur pour accomplir les tâches et les fonctions d’un « professionnel ».

Or, mes recherches montrent que seuls 40 % des « professionnel » au Sri Lanka possèdent un diplôme ou une qualification de niveau supérieur. Cela montre que la majorité des travailleurs qui exercent le métier de « professionnel » n’ont pas reçu de formation formelle pour exercer leur métier.

Implications politiques

La technologie modifie les emplois disponibles sur le marché du travail, les compétences requises pour exercer ces emplois, ainsi que l’organisation du travail. Les recherches montrent que les futurs emplois exigeront de plus en plus de travailleurs hautement qualifiés. Pourtant, les systèmes éducatifs de nombreux pays en développement ne sont pas en mesure de répondre aux exigences de compétences des marchés du travail en mutation. Certains pays connaissent déjà une inadéquation des compétences, ce qui entraîne des pertes de productivité.

Des changements radicaux, et pas seulement progressifs, seront nécessaires pour augmenter la génération de compétences afin de répondre à la demande croissante et changeante. Compte tenu de l’augmentation et de l’évolution de la demande, les systèmes d’enseignement supérieur du monde entier modifient leur législation et leurs structures de gouvernance afin de rendre l’enseignement supérieur plus flexible, plus adaptable et plus abordable. L’enseignement supérieur est également mieux associé aux entreprises et aux secteurs sociaux, afin que les changements éducatifs puissent mieux suivre les changements technologiques.

Des changements aussi profonds ne sont possibles que par une approche multidimensionnelle de la restructuration des systèmes éducatifs. Des efforts au niveau mondial et régional sont nécessaires pour mettre en œuvre des réformes profondes visant à moderniser les systèmes d’enseignement supérieur dans tous les pays.

 

Nisha Arunatilake
Directrice de la recherche, Institut d'études politiques et chercheuse, Partenariat pour la politique économique (PEP)