Droits fondamentaux et égalité

Des États compétents au service du développement durable en Asie du Sud

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M Niaz Asadullah, Antonio Savoia and Kunal Sen

Les progrès accomplis dans le passé en matière de développement humain en Asie du Sud semblent insuffisants pour produire des résultats à l’ère des objectifs de développement durable. Cet article soutient que si les dépenses publiques en matière d’éducation et de santé étaient portées à des niveaux comparables à ceux d’autres régions en développement, en plus d’une amélioration de l’efficacité de l’État dans la prestation de biens publics, il serait possible de faire beaucoup plus, notamment pour les plus vulnérables.

La poursuite des progrès en matière de développement humain en Asie du Sud est essentielle pour atteindre les cibles mondiales inscrites au cœur des Objectifs de développement durable (ODD). La région compte près des deux cinquièmes des populations pauvres du monde, près de la moitié des enfants souffrant de malnutrition et le plus grand nombre d’enfants souffrant d’un retard de croissance dans le monde.

Mais l’Asie du Sud est aussi la région qui a connu une forte baisse de son taux de pauvreté entre 1990 et 2015 : de 52 % à 17 %. Malheureusement, cette tendance pourrait être inversée par les événements de ces deux dernières années : jusqu’à 400 millions de personnes pourraient être précipitées dans la pauvreté à la suite de l’épidémie de coronavirus. 

Le rétablissement de la tendance pré-pandémique en matière de réduction de la pauvreté dans la région sera difficile, mais pas impossible. Les résultats obtenus par l’Asie du Sud en matière de réduction de la pauvreté et d’amélioration du développement humain au cours de la période des objectifs du millénaire pour le développement (OMD) masquent des progrès inégaux et des différences significatives dans les choix politiques au sein de la région. Pourtant, d’importants enseignements tirés de l’ère des OMD peuvent contribuer à accélérer les progrès futurs en Asie du Sud après la pandémie.

De nouvelles données sur les progrès du développement de l’Asie du Sud au cours de la période des OMD confirment qu’il y a eu une convergence significative. La région a fait des progrès considérables depuis 1990 et, ainsi, à la fin de la campagne des OMD, elle avait rattrapé les régions plus riches sur de nombreux indicateurs sociaux importants (voir Figure 1).

Figure 1 : Élimination de la pauvreté (OMD 1) en Asie du Sud : indicateurs sélectionnés

Source : L’Asie du Sud atteindra-t-elle les objectifs de développement durable d’ici 2030 ? Tirer les leçons de l’expérience des OMD

Il s’agit là d’une bonne nouvelle. Mais les tendances passées en matière de développement humain ne suffisent pas à assurer le succès à l’ère des ODD. Des projections récentes indiquent que des étapes importantes, comme l’éradication de la pauvreté monétaire, ne seront pas atteintes d’ici 2030. Si rien ne change, il faudra encore 63 ans à la région pour éliminer la pauvreté (avec un ratio de pauvreté de 1,90 dollar par jour).

Figure 2 : Capacité de l’État, dépenses de santé et d’éducation en Asie du Sud

Source : L’Asie du Sud atteindra-t-elle les objectifs de développement durable d’ici 2030 ? Tirer les leçons de l’expérience des OMD

Et maintenant ? Le programme des ODD est beaucoup plus ambitieux que celui des OMD. Leur réalisation nécessitera un véritable engagement des élites nationales, ainsi qu’une augmentation significative des efforts déployés par les gouvernements en matière d’organisation.

Par-dessus tout, la réalisation des ODD nécessitera des ressources financières plus importantes. Traditionnellement, c’est là que la coopération au développement peut intervenir et donner un coup de pouce à la progression des ODD. Mais les temps ne sont pas à la normalité pour la coopération au développement. L’aide étrangère est restée stable ces dernières années, et aucune augmentation n’est en vue compte tenu de la montée en puissance de la rhétorique nationaliste dans les principaux pays donateurs.

Pour le Népal et le Bangladesh, le succès des OMD a facilité leur sortie du statut de « pays les moins avancés », mais le corollaire est que l’incertitude est désormais plus grande quant aux flux d’aide futurs. En outre, la guerre en Europe et une éventuelle récession mondiale pourraient réduire davantage les recettes et, dans le même temps, accroître la demande de dépenses publiques.

Dans ce contexte, deux facteurs sont susceptibles d’être importants pour les perspectives de l’Asie du Sud. Le premier est l’insuffisance des crédits budgétaires alloués au développement social. En ce qui concerne les dépenses d’éducation et de santé en pourcentage du PIB, la région se classe même en dessous de l’Afrique subsaharienne (voir Figure 2). 

Le second facteur est l’efficacité limitée du gouvernement dans la prestation des biens publics. Ces deux obstacles sont des composantes importantes de la capacité de l’État, pour laquelle l’Asie du Sud est à la traîne par rapport aux autres régions en développement. Il est essentiel de combler le déficit de capacité de l’État, compte tenu de l’évolution des objectifs de développement mondial.

Le ralentissement de la croissance économique a limité la possibilité de compter sur les revenus privés pour atteindre les ODD. Une approche de la prestation de services fondée sur les dépenses publiques est nécessaire. Pourtant, la région ne souffre pas seulement de grandes insuffisances en matière d’infrastructures sociales de base : les ratios impôts/PIB de l’Asie du Sud sont également parmi les plus bas du monde. Ces handicaps trouvent leur origine dans les déficits de capacités administratives, qui sapent les efforts déployés pour mobiliser les recettes, ainsi que pour dépenser efficacement.

La construction d’un État efficace dépend de nombreux facteurs, et notamment l’histoire et la géographie d’un pays. Mais nous savons qu’il s’agit également d’un processus politique nécessitant la consolidation des institutions politiques afin de fournir des contrepoids institutionnalisés au pouvoir discrétionnaire de l’exécutif.

Cela fait partie d’un changement progressif, qui, en renforçant la confiance des citoyens dans les processus publics, aura des effets durables allant au-delà de la période des ODD. Il s’agit en effet d’un objectif de développement en soi, puisque l’ODD 16 fait explicitement référence à la mise en place d’institutions efficaces, inclusives et transparentes (cibles 16.6 et 16.7).

Une analyse de simulation confirme que l’investissement dans les capacités de l’État est très rentable. Si les dépenses publiques dans les domaines de l’éducation et de la santé devaient atteindre les niveaux observés dans d’autres régions en développement (comme l’Amérique latine et l’Asie de l’Est), et si l’efficacité de l’État dans la prestation de biens publics était améliorée, l’Asie du Sud accélérerait considérablement ses progrès dans la réalisation des ODD.

C’est particulièrement le cas dans les domaines essentiels à la progression de la région vers les objectifs « Pas de pauvreté » (ODD 1), « Éducation de qualité » (ODD 4), « Égalité des sexes » (ODD 5) et « Croissance inclusive » (ODD 8).

Les réussites de l’Asie du Sud en matière d’OMD ont créé de nouvelles opportunités ainsi que des défis. Les améliorations rapides des indicateurs sociaux ont suscité beaucoup d’optimisme quant à la réalisation des objectifs des ODD. Dans le même temps, la croissance économique soutenue a créé une nouvelle classe moyenne qui aspire à un niveau de vie plus élevé et à de meilleurs résultats en matière de développement humain. Ces aspirations resteront insatisfaites d’ici 2030 si le double déficit de capacité de l’État et de dépenses sociales en matière de santé et d’éducation n’est pas comblé.

 

M Niaz Asadullah
Professor of Development Economics, and Head of the Southeast Asia cluster of the Global Labor Organization
Antonio Savoia
Reader in development economics
Kunal Sen
Director of UNU-WIDER