Quelle est la place de l’entrepreneuriat dans le développement ? Cette question est très actuelle depuis quelques années alors que les gouvernements redoublent d’enthousiasme pour promouvoir l’entrepreneuriat et les petites entreprises. Pourtant, les données scientifiques sur lesquelles s’appuie cet enthousiasme sont encore minces. Bonne nouvelle, les domaines scientifiques de l’économie de l’entrepreneuriat et celle du développement ont, depuis peu, commencé à converger, laissant présager l’amélioration des lignes directrices des politiques entrepreneuriales. Les auteurs de cet article exposent comment les deux domaines convergent et comment cela pourrait conduire à de meilleures politiques.
Il est largement admis que l’entrepreneuriat est vital pour le développement et que les petites entreprises sont le vecteur de cet entrepreneuriat, tant dans les économies avancées que dans les pays en développement. Les chercheurs et les décideurs politiques considèrent souvent les petites et moyennes entreprises (PME) comme essentielles pour la création d’emplois, et les nouvelles entreprises comme une aubaine pour l’innovation et la croissance. On parle souvent de la nécessité d’une révolution entrepreneuriale et les politiques visant à promouvoir l’entrepreneuriat et les PME sont très populaires.
Mais le fondement scientifique de ces politiques est limité, et les décideurs ne tiennent pas compte du fait que la grande majorité des entrepreneurs ne sont ni innovants ni de grands créateurs d’emplois.
De plus, les politiques entrepreneuriales souffrent de graves faiblesses. Par exemple, elles aident en priorité ceux qui veulent déjà devenir entrepreneurs et qui ont tendance à créer des sociétés individuelles qui n’évoluent pas. Elles gaspillent donc des ressources financières limitées en les allouant à des personnes qui manquent de talent entrepreneurial. Ces politiques persistent en partie parce que l’impact positif des entrepreneurs est surestimé, et leur impact négatif sous-estimé.
Cette mauvaise perception de la réalité peut provenir du fait qu’il n’existe aucune approche scientifique unifiée du rôle de l’entrepreneuriat dans le développement. Les domaines scientifiques de l’économie de l’entrepreneuriat et du développement se sont construits de manière isolée, et n’ont commencé à se croiser que récemment. Cette convergence est encore fragmentée et ad hoc, et elle n’est pas fondée sur une approche théorique unifiée.
La poursuite des travaux académiques, qui élargissent et approfondissent la convergence de l’entrepreneuriat et de l’économie de développement, mènera à l’amélioration des politiques de développement. Dans un article récent, nous identifions cinq domaines où ils convergent. Ce sont les suivants :
- Les externalités.
- La phase de développement.
- La capacité entrepreneuriale.
- Les institutions.
- Les incitatifs non-monétaires.
Dans cet article, nous en discutons brièvement et soulignons leus répercussions de ces convergences sur les politiques.
Les externalités
Les externalités sont des conséquences ou des actions non intentionnelles et non prises en compte dans le prix de marché d’un produit ou d’un service. Alors que les entrepreneurs peuvent généralement s’approprier des connaissances technologiques spécifiques quand ils développent de nouveaux produits ou services (par les brevets, par exemple), le savoir-faire technologique général qui résulte en tant que sous-produit du processus d’innovation ne peut faire l’objet d’aucune appropriation et peut donc « ruisseler ».
Ces « retombées de la connaissance » ont caractérisé le décollage de la croissance de l’Occident après la première révolution industrielle. Avant ça, et tout au long de l’histoire connue sous le nom d’ère malthusienne, les niveaux de revenu par habitant plafonnaient au niveau de subsistance. Le décollage économique a été déclenché par un glissement des technologies vers le capital et la connaissance.
C’est l’entrepreneuriat qui est à l’origine de ce virage vers les nouvelles technologies grâce à la création et à l’utilisation des externalités. Par exemple, l’urbanisation et la croissance démographique ont permis le développement de collectivités assez grandes pour permettre la spécialisation. Celle-ci, à son tour, a facilité l’apprentissage et l’innovation. Elle a aussi eu besoin du commerce qui, à son tour, a stimulé toutes sortes de changements, créant ainsi un cercle vertueux de développement.
Dans le commerce comme dans l’innovation, les entrepreneurs, qui ont créé des marchés et répondu aux besoins des populations, étaient nécessaires, générant et profitant des retombées de la connaissance. En somme, la mesure dans laquelle les entrepreneurs stimulent le développement dépend de la quantité d’externalités qu’ils créent et utilisent.
La phase de développement
L’économie de développement et celle de l’entrepreneuriat s’accordent à reconnaître que les entrepreneurs ont des rôles et des effets différents selon les étapes de développement. Après le début de la première révolution industrielle en Europe de l’Ouest, d’autres régions, comme l’Asie, ont commencé à rattraper leur retard. Leur industrialisation a été menée en grande partie par des entrepreneurs qui ont identifié, copié et adapté les technologies existantes.
Pour rattraper le retard, les pays les plus pauvres doivent fournir beaucoup d’efforts et renforcer leurs compétences. C’est ce que font les entrepreneurs qui obtiennent des licences pour utiliser des technologies étrangères ou qui copient, désassemblent ou même volent de nouvelles technologies. Ainsi, contrairement aux entreprises dans les économies avancées, ces entrepreneurs évitent les coûts irrécupérables et les risques inhérents aux investissements dans de nouvelles connaissances. Avantage de la copie, ils peuvent se concentrer sur l’amélioration progressive des conceptions étrangères, plutôt que sur le développement risqué de technologies et de produits nouveaux.
Une fois sur le chemin de la croissance rapide, les pays les plus prospères entament un glissement vers une innovation aux frontières de la connaissance (comme on le voit aujourd’hui en Chine). Cela implique qu’il existe plusieurs types d’entrepreneuriat et que celui-ci ne doit pas être uniquement associé à un entrepreneuriat innovant (schumpétérien), high-tech et à forte croissance. Dans de nombreux pays, l’entrepreneur qui imite et copie est une source de progrès vitale.
La capacité entrepreneuriale
Le concept de capacité entrepreneuriale est un autre domaine au sein duquel convergent la recherche sur l’économie de développement et l’économie entrepreneuriale. L’un des défis auxquels de nombreux pays sont confrontés est la transition vers une économie axée sur l’innovation en évitant ce que l’on appelle le « piège du revenu intermédiaire ». Dans la transition, trois sources interdépendantes sont importantes : la répartition des talents, l’accumulation de capital humain et le progrès technologique.
Ces trois facteurs reflètent ou constituent la capacité entrepreneuriale. De plus, cette dernière est essentielle pour déterminer l’existence d’externalités positives. Par exemple, les entrepreneurs très talentueux sont tenus d’introduire sur le marché des innovations qui créeront des connaissances permettant de soutenir d’autres innovations. Un exemple est l’iPad, qui a créé des opportunités pour les entreprises en rendant possible le développement de diverses applications.
Les institutions
L’économie de l’entrepreneuriat converge aussi avec l’économie de développement en ce qui concerne l’importance des institutions. La question de savoir si les entrepreneurs ayant les capacités nécessaires seront incités à commercialiser leurs idées peut dépendre de la façon dont l’esprit d’entreprise est soutenu, un processus dans lequel les institutions jouent un rôle central. Le décollage économique de l’Occident a profité de l’aide des institutions – à la fois formelle (les droits de propriété) et informelle (réseaux sociaux) – qui ont encouragé et récompensé la prise de risque.
Les spécialistes de l’entrepreneuriat reconnaissent donc que les gouvernements sont essentiels pour générer des externalités positives. Ils partagent ainsi l’avis des premiers économistes du développement qui soulignaient la nécessité d’un « big push » (aide massive) ainsi que celui des économistes du développement plus contemporains sur le besoin de bonnes institutions.
Les incitatifs non monétaires
Comme en économie du développement, la recherche en entrepreneuriat a reconnu que le développement est plus qu’une question de richesse monétaire et que le bien-être subjectif compte aussi. Les chercheurs reconnaissent maintenant que l’entrepreneuriat n’est pas toujours motivé par des rêves de richesse. Ils reconnaissent également que le bien-être subjectif qu’éprouvent les entrepreneurs du fait de leur indépendance et de la création et de la gestion de leur propre entreprise a une utilité intrinsèque et procédurale. En d’autres termes, le fait d’être entrepreneur est utile, indépendamment de la performance financière de l’entreprise.
Cela implique que les universitaires et les décideurs ne devraient pas être trop obsédés par l’idée d’associer l’entrepreneuriat à des activités high-tech ou à forte croissance uniquement. Ils devraient également se concentrer sur les préoccupations concernant les menaces qui pèsent sur la satisfaction de vivre des entrepreneurs : niveaux élevés de stress, mauvais équilibre entre vie professionnelle et personnelle, dangers du burn-out et de la dépression.
Conclusions
L’économie de l’entrepreneuriat et l’économie de développement ont convergé dans au moins cinq domaines. Les avantages, au moins du point de vue politique, sont que nous commençons progressivement à mieux comprendre :
- Comment adapter les politiques entrepreneuriales en fonction du niveau de développement d’un pays.
- Comment offrir des conseils plus utiles pour développer et enseigner les qualités entrepreneuriales.
- La réglementation des marchés et la supervision des gouvernements, de plus en plus sensibles aux mesures incitatives et aux « coups de pouce ».
- Les programmes de soutien à l’entrepreneuriat, qui comprennent de plus en plus d’initiatives pour aider les entrepreneurs à faire face au stress et aux conflits inhérents à la prise de risques.
La convergence entre les économistes du développement et les spécialistes de l’entrepreneuriat se poursuivra sans aucun doute. Il en résultera un environnement globalement meilleur pour les nouvelles start-up, une allocation plus efficace des fonds publics limités et un plus grand soutien au type d’entrepreneuriat qui génère des externalités positives.