Droits fondamentaux et égalité

Favoriser des économies égalitaires entre les hommes et les femmes grâce au financement du développement en Afrique

8 min

by

Tonny Odokonyero

Les progrès en faveur d’économies équitables pour les femmes restent lents en Afrique, et les femmes sont touchées de manière disproportionnée par l’inégalité. Cela nuit non seulement à leur bien-être, mais aussi aux économies nationales. Cet article explore le rôle des institutions de financement du développement dans le soutien à l’autonomisation économique des femmes et, par conséquent, des économies africaines.

La dure réalité est que l’Afrique est encore loin du compte en ce qui concerne l’égalité des sexes dans tous les aspects de l’économie. De nombreuses disparités subsistent entre les hommes et les femmes.

Par exemple, ces dernières ont moins accès aux produits et services financiers que les hommes. D’après les récentes données mondiales Findex sur l’inclusion financière, l’Afrique subsaharienne présente un écart de 12 points de pourcentage entre les hommes et les femmes. Les pays de la région où l’écart est à deux chiffres sont plus nombreux que les pays où l’écart est à un chiffre, une situation qui perdure (figure 1). En effet, l’écart entre les hommes et les femmes en matière d’inclusion financière est deux fois plus important en Afrique que la moyenne des économies en développement, et trois fois plus important que la moyenne mondiale.

 Source : calculé par l’auteur (Tonny Odokonyero) à partir des données du Global Findex.

Parmi les autres déséquilibres de genre qui prévalent sur des questions importantes en Afrique, citons l’écart de rémunération entre les hommes et les femmes (30 %), l’écart entre les hommes et les femmes en matière de Technologies de l’information et de la communication (TIC) (23 %), la disparité entre les hommes et les femmes en matière d’accès à la téléphonie mobile (8 %) et le faible taux de participation des femmes à la population active (c’est-à-dire qu’elles ont un emploi ou en cherchent un) – un défi de longue date qui fait que l’Afrique perd le potentiel productif de la moitié de sa population active.

Une autre disparité est la propriété disproportionnée des actifs physiques, par exemple des terres agricoles. Les femmes ne possèdent que 5 % des terres en Ouganda, 6 % au Kenya et 3 % au Malawi. La liste est longue. En ce qui concerne l’esprit d’entreprise, plusieurs pays africains connaissent encore une forte sous-représentation des femmes, à l’exception de quelques-uns qui ont progressé, comme le Botswana, le Ghana et l’Ouganda, d’après l’indice des femmes chefs d’entreprise.

Les avantages des économies équitables entre les sexes

Les avancées vers des économies égalitaires entre les hommes et les femmes se traduisent indubitablement par des avantages économiques tangibles. Parmi les principales manifestations de cette économie, qui jouent un rôle important dans le développement, figurent la participation des femmes à l’économie et l’inclusion financière.

Les raisons pour lesquelles l’Afrique et le monde entier devraient s’y intéresser, ainsi que les faits relatifs à l’importance de l’égalité des sexes dans le programme de développement, sont clairement exposés dans les textes contemporains sur l’économie du développement. J’attire l’attention sur quelques-uns d’entre eux. L’égalité des sexes, y compris l’inclusion financière des femmes, est essentielle pour stimuler la solidarité sociétale, la concurrence, la croissance économique et le développement économique.

L’inclusion financière des femmes, par exemple, leur procure une autonomie économique. L’épargne, le crédit et les investissements dans les compétences, l’éducation et les entreprises des femmes permettent d’assurer leur sécurité économique. L’inclusion financière améliore également leur participation au marché du travail, ce qui accroît la valeur économique de la main-d’œuvre dans son ensemble.

Le Fonds monétaire international (FMI) a montré que l’égalité des sexes va de pair avec la stabilité économique et financière d’un pays. Elle stimule l’esprit d’entreprise, les performances du secteur privé, la croissance économique et la réduction des inégalités de revenus.

Que font les banques de développement pour soutenir les femmes en Afrique ?

Certaines des 86 institutions financières de développement (IFD) africaines membres de l’Association des IFD africaines (AIAFD) promeuvent l’autonomisation économique des femmes et le programme d’égalité des sexes, compte tenu de leur importance pour la croissance économique et le développement.

Les IFD, sous l’égide de l’AIAFD, se sont engagées à intégrer l’égalité des sexes dans le financement du développement. Par conséquent, sous le patronage de la Banque africaine de développement (BAD), l’Action de financement positif pour les femmes en Afrique – une solution panafricaine – a été instituée pour combler le déficit de financement auquel sont confrontées les PME féminines sur le continent. Ce fonds de garantie de 500 millions de dollars soutient les entreprises détenues par des femmes et s’engage à combler l’énorme déficit de financement de 42 milliards de dollars auquel sont confrontées les femmes entrepreneurs en Afrique. Son approche consiste à réduire les risques liés aux prêts accordés aux femmes afin de faciliter l’accès au capital grâce à des garanties. Parmi les autres initiatives de la BAD liées à l’égalité des sexes, citons l’Initiative des femmes africaines chefs d’entreprise et le Fonds pour le déficit de financement de l’entrepreneuriat féminin.

Outre la BAD, qui est la principale IFD à plaider en faveur de l’investissement intégrant la dimension de genre sur le continent, quelques IFD nationales africaines respectent également cet engagement. À l’exception de quelques-unes, les IFD relevant de l’AIAFD n’ont pas de programme d’investissement clairement défini en matière d’égalité des sexes. Parmi elles, la Banque de développement d’Afrique australe a mis en place un programme d’intégration de la dimension de genre afin de trouver des financements d’infrastructures pour les entreprises détenues par des femmes.  À Maurice, la Banque de développement de l’île a conçu une initiative de crédit pour les femmes, baptisée « Women Entrepreneur Loan Scheme », dans le cadre de son mécanisme de prêt aux PME, avec des taux d’intérêt aussi bas que 0,5 % à 3 % par an, en fonction du montant du prêt.

Dans la région de l’Afrique de l’Est, la Banque de développement de l’Ouganda (UDB) est une IFD nationale notable parmi les rares sur le continent qui contribuent explicitement à une économie égalitaire par le biais d’une initiative d’investissement axée sur l’égalité des sexes. L’intervention spécialisée de l’UDB, « Women Prosper Loans », consiste en des facilités d’accélération et d’acquisition d’actifs pour les femmes, conçues pour fournir aux entreprises détenues ou dirigées par des femmes des crédits abordables afin d’accroître la participation des femmes à l’économie et à un développement socio-économique inclusif.

Des tâches gigantesques restent à accomplir

Malgré les efforts des IFD et d’autres acteurs, la mise en place d’économies égalitaires entre les hommes et les femmes reste un défi de taille en Afrique. Les progrès restent lents et les inégalités prononcées. Les interventions en matière de politique et de développement ne peuvent inverser cette tendance qu’en réalisant les investissements nécessaires et en veillant à ce que l’Afrique tienne ses promesses en matière d’égalité entre les hommes et les femmes.

Contre vents et marées, les femmes sont en train de devenir des moteurs de l’économie mondiale. Un auteur de The Economist a déclaré un jour que « les nations qui négligent les femmes s’effondrent », et un autre auteur de la Harvard Business Review a estimé qu’« il serait stupide d’ignorer l’économie féminine », étant donné le grand potentiel des femmes pour stimuler l’économie mondiale.

Il est évident que l’économie féminine représente un vaste marché émergent doté d’un grand potentiel pour l’Afrique subsaharienne également. Les femmes entrepreneuses et consommatrices peuvent redresser les économies africaines de manière remarquable si elles sont exploitées. Des études montrent que les entrepreneuses ont contribué à la croissance économique africaine à hauteur de 250 à 300 milliards de dollars américains en 2016, soit environ 13 % du PIB du continent. Cela envoie un message fort à l’Afrique : les politiques doivent accorder plus d’attention aux économies égalitaires.

La tâche qui reste à accomplir découle de la réalité selon laquelle l’Afrique, et le monde en général, ne sont pas sur la bonne voie pour mettre en place des économies égalitaires, y compris dans le cadre de l’agenda 2030 pour le développement durable sur l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes. Les données récentes sur les objectifs de développement durable (ODD) affirment que la réalisation de la cible de l’agenda 2030 pour tous les indicateurs d’égalité des sexes est impossible au rythme actuel des progrès. Sur la base des données de projection des ODD, il faudra entre 140 et 300 ans pour atteindre les principaux résultats en matière d’égalité des sexes. Des tâches gigantesques attendent donc l’Afrique et le monde entier. Outre d’autres interventions politiques, les investissements sensibles au genre réalisés par les IFD sont essentiels dans le cadre de ces efforts visant à accroître les possibilités de participation économique des femmes.

L’une des principales tâches à venir est également de réfléchir de manière non conventionnelle à la façon d’aborder les questions de développement des femmes en Afrique. Pour favoriser des économies équitables sur le plan du genre par le biais du financement du développement, les IFD africaines doivent bousculer le statu quo et proposer de nouvelles solutions dans une optique de développement claire.

En l’occurrence, les IFD africaines devraient s’efforcer de placer les femmes dans le programme de croissance de l’Afrique, au-delà des solutions proposées par d’autres agences de développement.

La plupart du temps, les autres agences proposent des solutions qui n’ont pas d’objectif de transformation pour les femmes africaines. L’une des principales raisons de l’échec de la transformation des femmes et des économies locales, comme le suggère la recherche, est que leurs priorités sont largement dictées par les cordons de la bourse plutôt que par ce qui est préférable au niveau local. Leurs réponses se concentrent principalement sur la garantie que les femmes pauvres gagnent un peu d’argent en les engageant dans des activités économiques qui sont en grande partie de subsistance et de nature moins productive – par exemple les activités commerciales artisanales et l’agriculture de subsistance à petite échelle. Cette approche n’a pas réussi à transformer la situation économique des femmes africaines parce qu’elle ne repose pas sur une logique de développement, la principale motivation étant le maintien du bien-être des femmes. Pour créer des économies résilientes et durables, équitables du point de vue du genre en Afrique, de nouvelles solutions doivent s’affranchir de cet obstacle invisible à la transformation économique des femmes.

Tonny Odokonyero
Chercheur économiste, UDB et Doctorant, Université de Pretoria