Après une guerre, la nécessité d’inclure les femmes à chaque étape de la reconstruction est de plus en plus reconnue. Cet article rend compte des défis de l’après-guerre au Liberia, où les femmes ont joué un rôle clé dans le processus de paix et l’élection de la première femme présidente en Afrique. L’autrice explique pourquoi la visibilité politique des femmes est essentielle, et appelle à la fin des violences domestiques et sexuelles, ainsi qu’à un effort mondial d’inclusion et de représentation politiques. Elle souligne l’importance de la prise en compte des « questions de genre » dans la politique, la consolidation de la paix et les efforts de réconciliation, avec une conscience aiguë de la manière dont la gestion de l’économie affectera la stabilité générale et le bien-être de la nation.
En août 2020, des milliers de Libériens sont descendus dans la rue pour protester contre la multiplication affolante des viols dans le pays. Trois jours après le début de ces manifestations devant le ministère des affaires étrangères – où se trouve le bureau du président, la police a utilisé des gaz lacrymogènes pour disperser les manifestants. Mais la résistance a refusé de s’avouer vaincue et deux semaines plus tard, le président Weah a déclaré que la lutte contre le viol était une urgence nationale.
Pour les femmes, qui ont été en première ligne pour réclamer la fin de la longue et brutale guerre civile libérienne – travaillant d’abord dans l’obscurité et le mépris pour la paix finalement obtenue en 2003 – et qui ont ensuite mené une campagne historique de recensement des électeurs ayant abouti à l’élection de la première femme présidente en Afrique, ce changement de perception de leur souffrance n’est que redite.
En 2011, la présidente et l’une des artisanes de la paix libériennes ont reçu le prix Nobel de la paix. Elles deux, ainsi que leurs collègues, ont été promues au rang de « gardiennes de la paix », et leur renommée a entraîné un afflux substantiel d’aide humanitaire permettant de soutenir les efforts massifs de réconciliation après la guerre.
Mais face aux défis que représentent les inégalités persistantes entre les sexes, la pauvreté généralisée et la résurgence de la violence au Liberia, les moyens de soutenir les efforts des femmes dans le mouvement pour la paix doivent être reconsidérés avec une plus grande urgence et une vision élargie des sources de conflit auxquelles sont confrontés les Libériens.
Il est de plus en plus évident que dans les sociétés en situation d’après-guerre, les processus de paix et les efforts de reconstruction efficaces et durables doivent inclure les femmes à tous les niveaux. Les questions de genre ont été intégrées à toutes les initiatives humanitaires et de développement, et l’on prend de plus en plus conscience de l’importance des questions de consolidation de la paix et du développement.
Si les défis que connaît actuellement le Liberia sont historiquement uniques, ils sont également comparables à ceux d’autres nations sortant d’une guerre et dont l’économie dépend des industries extractives. Les recherches sur la sécurité et la mobilité des femmes dans ces pays suggèrent que leur activisme en matière de consolidation de la paix pourrait être mieux soutenu grâce une triple approche.
Tout d’abord, si les femmes peuvent réussir à utiliser stratégiquement leur « invisibilité sociale » pour travailler dans les coulisses et échapper à la répression en temps de guerre, la visibilité politique est nécessaire à leur mobilité en temps de paix. Le leadership visible doit donc être une priorité pour la politique et les processus politiques.
Au Liberia, après la guerre civile, les femmes ont accédé à des postes de responsabilité au sein du gouvernement. Mais aujourd’hui, leur représentation au sein du corps législatif ne s’élève plus qu’à environ 13 %. En 2017, lors des élections de la Chambre des représentants, seules neuf femmes sur les 146 qui se sont présentées ont obtenu un siège. Lors des élections sénatoriales de 2020, 20 femmes se sont présentées et une seule a été déclarée gagnante, tandis que les candidates accusaient leurs adversaires masculins de fraude et de violence visant à exclure les femmes.
Les experts et les défenseurs de la société civile s’accordent à dire qu’un quota de genre doit être juridiquement instauré pour lutter contre ces disparités. Une coalition de groupes de la société civile libérienne, soutenue par des organisations internationales, a fait pression pour faire adopter un amendement qui obligerait tous les partis à présenter au moins 30 % de membres de chaque sexe parmi leurs candidats. La réalisation de cet objectif devrait figurer parmi les principales priorités des décideurs politiques et de leurs alliés internationaux qui soutiennent la réforme électorale et le processus démocratique au Liberia (comme dans tous les pays en situation d’après-guerre).
De nombreuses femmes libériennes ont fait preuve d’une extraordinaire détermination pour lutter contre les problèmes sociaux. Un tel quota contribuerait à la fois à contrebalancer le sexisme et les autres obstacles qui les empêchent souvent d’accéder à la fonction publique, et leur conférerait une position plus intéressante au sein du gouvernement. A partir de là, elles pourraient être à l’origine de changements culturels et juridiques qui permettraient de contrer les nombreux défis auxquels le pays est confronté – des agressions sexuelles à la corruption des autorités.
Deuxièmement, l’efficacité du travail pour la paix sera finalement limitée si les sources directes et indirectes de la souffrance, du conflit et de la violence ne sont pas abordées. Cela signifie qu’il faut faire le lien entre le travail de guérison des traumatismes et l’accès à un emploi durable, et entre la formation anti-violence et le travail d’autonomisation des femmes.
La communauté internationale a, en théorie, compris ce principe depuis longtemps. En pratique et sur le terrain, le Liberia a été confronté à de nombreux défis, en particulier la culture bien ancrée de la corruption politique dont certains dirigeants craignent qu’elle ne conduise à l’effondrement du marché dans une économie déjà en difficulté.
La renaissance des traditionnelles « huttes de la paix Palava » a été une des stratégies clés pour offrir aux communautés locales des centres de réconciliation, de justice et d’autonomisation des femmes. Ce projet, géré par des militants pacifistes locaux avec le soutien d’organisations humanitaires, a offert diverses ressources indispensables. Entre autres : un soutien financier, l’accès à des téléphones portables et à des réseaux de communication, des formations et un discours officiel en faveur des femmes ainsi que des formations et des colloques sur la résolution des conflits.
Les organisations d’aide et d’autres organisations alliées devraient considérer que la consolidation de la paix implique la nécessité de répondre aux besoins les plus fondamentaux des personnes vivant dans des communautés sortant de la guerre. Si ces services peuvent être spécialisés, ils devraient également être adaptés pour être plus efficaces.
Au niveau national, les femmes qui travaillent sont moins protégées et soutenues que leurs homologues masculins – la loi sur le travail décent soutient la syndicalisation dans le secteur privé, majoritairement constitué d’hommes. Dans le secteur civil où les femmes sont plus nombreuses, le règlement de la fonction publique est actuellement compris comme ne donnant pas le droit de se syndiquer. Et de nombreuses femmes travaillent aussi dans le secteur informel, où les inégalités sont encore plus grandes. Réduire ces inégalités en matière de visibilité et de pouvoir doit également être une priorité.
Enfin, et troisièmement, le travail de recherche sur les origines de la violence doit se faire à l’échelle mondiale. L’organisation Global Witness a joué un rôle essentiel dans le rétablissement de la paix au cours des dernières années de guerre en plaidant contre les ventes internationales de bois que le président Taylor utilisait pour financer les importations d’armes.
Aujourd’hui, le lien entre les investissements directs étrangers, les exportations et la souffrance est plus difficile à établir pour de nombreux membres de la communauté de l’aide humanitaire. Et le lien entre les mesures de transparence de l’industrie et les progrès de la gouvernance n’est pas encore solide ni fiable au Liberia. Mais il est de plus en plus évident que les industries extractives jouent un rôle puissant et largement destructeur dans l’économie politique d’après-guerre.
Actuellement, plus de 50 % des terres du Liberia sont utilisées à des fins commerciales et agricoles, et la quasi-totalité de ces terres (soit 40 %) sont sous contrat avec des sociétés étrangères. Dans le pays, la violence a continué à sévir non seulement dans les foyers et dans les bureaux de vote, mais aussi autour de ces sites industriels où les emplois pour les Libériens de souche sont rares et où les promesses des entreprises aux communautés n’ont pas été tenues.
Les fonctionnaires du gouvernement ont toujours bénéficié d’arrangements frauduleux avec ces industries, tandis que les personnes les plus directement touchées par leurs activités étaient lésées. Dans un monde où les instruments juridiques sont si nombreux pour inciter les États à affirmer les droits économiques et sociaux de leurs citoyens, le soutien à la paix et à la sécurité des femmes doit absolument tenir compte de la multiplicité des inégalités présentes dans un pays.
Les études sur la consolidation de la paix et les économies extractives nous incitent à nous demander comment nous pouvons soutenir les Libériens et tous les peuples en situation d’après-guerre dans la reconstruction de leur droit à la paix et à l’autodétermination sans exploitation. Tous les acteurs en position de pouvoir dans les secteurs public et privé doivent partager la responsabilité.
Alors que les femmes prennent fermement position pour mettre fin aux violences domestiques et sexuelles, et qu’elles font pression pour l’inclusion et la représentation politiques, nous devons recenser tous obstacle à ces droits et faire le dur travail de démêler leurs interconnexions avec d’autres forces d’insécurité et de corruption.