Sociétés, gouvernance et conflits

Gouvernance participative : quelle importance les citoyens accordent-ils à l’inclusivité des institutions ?

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Serena Cocciolo and Ahasan Habib

La participation citoyenne, la mobilisation communautaire, la gouvernance locale et la décentralisation des prestations de services sont au cœur des réformes institutionnelles dans de nombreux pays. Pour autant, ces initiatives participatives peuvent-elles transformer la prise de décisions au niveau local ou permettre aux personnes pauvres d’exprimer leurs besoins de façon pérenne ? Actuellement, rares sont les éléments suggérant que les programmes de développement piloté par la communauté permettent de transformer les institutions locales  et la prise de décisions à l’échelle communautaire. Cet article vise à examiner l’une de raisons potentielles de ce phénomène.

Selon le Rapport de la Banque Mondiale sur le développement dans le monde paru en 2017, beaucoup de pays ont récemment entrepris des réformes institutionnelles centrées sur la redevabilité sociale, la participation citoyenne, la mobilisation communautaire, la gouvernance locale et la décentralisation des prestations de services. Dans le secteur du développement, les programmes de développement piloté par la communauté constituent aujourd’hui l’une des principales approches d’intervention.

Pour autant, ces initiatives participatives peuvent-elles transformer la prise de décisions au niveau local ou permettre aux personnes pauvres d’exprimer leurs besoins de façon pérenne ?

À titre d’exemple, au Bangladesh, dans le cadre de l’agenda de la réforme en faveur d’une gouvernance transparente, le Union Parishads Act (2009) oblige les administrations territoriales à organiser différentes consultations publiques ouvertes à l’ensemble des citoyens avant l’approbation du budget local. En dépit de cette démonstration formelle de transparence, l’accueil et la mise en œuvre de ce « budget transparent » sont en dessous des attentes.

Les partisans des interventions en faveur des programmes de développement piloté par la communauté espèrent généralement que leurs programmes provoquent des réactions en chaîne concernant les institutions locales et la dynamique sociale. Ils prévoient par exemple une augmentation de la demande de consultation publique de la part des citoyens et la multiplication des opportunités de participation dans les prises de décisions au niveau local. Malheureusement, tel que le résume un récent rapport de l’International Initiative for Impact Evaluation, rares sont les éléments indiquant que les programmes de développement piloté par la communauté permettent de transformer la prise de décisions à l’échelle communautaire et les institutions locales.

Dans cet article, nous tentons d’apporter des éléments permettant d’expliquer ce phénomène. Pour cela, nous nous appuyons sur les enseignements tirés d’un programme de développement piloté par la communauté mis en œuvre au Bangladesh par l’ONG Forum for Public Health entre 2015 et 2018. Dans le cadre d’un projet de recherche élargi sur les programmes de développement piloté par la communauté et sur la prise de décisions à l’échelle communautaire, nous avons réalisé une « expérience de laboratoire sur le terrain »  et une expérience de terrain afin d’analyser le point de vue des citoyens concernant les pratiques de gouvernance participative. Nos conclusions remettent en cause un certain nombre de croyances largement répandues concernant la relation entre pratiques participatives et renforcement institutionnel.

L’inclusivité des institutions est importante aux yeux des citoyens

Les défenseurs de la participation citoyenne dans la fourniture et le contrôle des services publics avancent régulièrement que l’implication des bénéficiaires d’un programme dans la prise de décisions est intrinsèquement pertinente. Ils affirment également que le processus de délibération génère un sentiment de légitimité vis-à-vis des décisions d’un projet. Toutefois, cette implication nouvelle peut avoir des retombées négatives. On peut citer par exemple le coût d’opportunité du temps dédié à la participation citoyenne, les coûts psychologiques découlant d’une délibération houleuse, ou encore les coûts matériels ou sociaux résultant d’une prise de position contraire aux intérêts d’un groupe dominant.

Une étude récente portant sur la « décentralisation maximale » souligne des lacunes dans la compréhension des nombreux effets des programmes de développement piloté par la communauté sur le bien-être des citoyens, compte tenu des bénéfices et des coûts perçus de la participation citoyenne.

Nos conclusions permettent d’affirmer que la majorité des citoyens souhaite que la prise des décisions concernant la communauté fasse l’objet d’un processus inclusif. Les citoyens veulent que les décisions qui concernent directement la communauté soient confiées à la communauté elle-même. Ils appellent dans le même temps à la mise en place d’une règlementation visant à rendre le processus de prise de décisions au niveau local plus démocratique et participatif.

Les citoyens initiés à la gouvernance participative durant un programme de développement piloté par la communauté accordent plus d’importance à l’inclusivité des institutions

La mise en œuvre d’un programme de développement piloté par la communauté fournit à cette dernière de nouveaux outils permettant d’éviter ou de résoudre des différends et tensions durant les phases de délibération. Par conséquent, cela réduit les coûts non monétaires (à l’instar des différends) associés aux futures pratiques de gouvernance participative. Lors d’un programme de développement piloté par la communauté, les citoyens découvrent les qualités intrinsèques de ce type d’organisation institutionnelle (telles que la légitimité et la capacité d’action), tout particulièrement lorsque le programme est très inclusif et que la participation des citoyens est importante.

Ainsi, la participation à un programme de développement piloté par la communauté peut renforcer la demande de processus participatifs de la part des citoyens en vue des futures décisions collectives.

En vue de l’élaboration de politiques

Tel que le constatent de nombreuses études, et en dépit des modifications de la perception des citoyens vis-à-vis des pratiques de gouvernance participative, peu d’éléments indiquent une évolution de la participation des individus ou des pratiques des institutions locales. De plus, les institutions établies ne reflètent pas les demandes sociales et les inclinaisons politiques de la majorité de la population. Nos observations suggèrent que ces institutions n’évoluent pas, car elles sont sous la contrainte des structures de pouvoir sociales et politiques en place dans les environnements étudiés.

Dans l’ensemble, nos conclusions ont des implications importantes en vue de l’élaboration de politiques. En effet, les réformes visant à améliorer la gouvernance par l’intermédiaire de la décentralisation et de la participation citoyenne semblent être plus efficaces si elles s’attaquent spécifiquement aux barrières qui entravent la participation totale et réelle de l’ensemble des membres de la communauté.

À titre d’exemple, des mesures proactives doivent permettre de garantir que l’ensemble des foyers sont informés et conviés aux réunions participatives. Par ailleurs, les réunions communautaires requièrent une organisation et un arbitrage afin de permettre à chaque membre de la communauté d’exprimer librement son opinion, et ce indépendamment des schémas clientélistes en place.

Dans une perspective plus optimiste, nous pouvons souligner le fait que l’exposition à de nouvelles institutions plus démocratiques et plus inclusives (par exemple dans le cadre d’un programme de développement décentralisé et participatif) modifie la perception des citoyens vis-à-vis des organisations institutionnelles alternatives. Des interventions complémentaires pourraient capitaliser sur ces changements d’aspirations et de comportements dans le but de renforcer la société civile, de stimuler la participation citoyenne dans les consultations publiques et de multiplier les demandes de transformations politiques.

 

Serena Cocciolo
Young Professional at the Governance Global Practice, World Bank
Ahasan Habib
Head of Research, Monitoring & Evaluation, Forum for Public Health