Au Tchad, seule la moitié des femmes fait partie de la population active, contre près des trois quarts des hommes. Comme le rapporte cet article, pendant la pandémie, les choses ont empiré : le Covid-19 a forcé certains des secteurs dans lesquels les femmes sont principalement employées à fermer leurs portes. Il a également alourdi la charge de travail des femmes au sein du ménage et dans le domaine des soins, réduisant ainsi leur productivité économique. Compte tenu du niveau d’inégalité entre les sexes avant la pandémie, combler l’écart est devenu un défi encore plus grand.
Au Tchad, les défis du développement sont immenses, de la faible productivité économique à des conflits de longue durée. L’inégalité entre les sexes y est un problème particulièrement crucial, qui entrave à la fois la croissance et la justice sociale, mais qui n’est pas toujours considéré comme une priorité. Qui plus est, les écarts économiques et sociaux considérables entre hommes et femmes s’y sont creusés pendant la pandémie. Et ils ont par ailleurs aggravé l’impact du Covid-19 sur les femmes.
Dans une étude récente, nous utilisons un modèle macroéconomique et des données microéconomiques pour comprendre cet effet à double sens. Les résultats montrent que la pandémie a eu un impact négatif disproportionné sur les femmes des zones urbaines et sur les ménages dirigés par des femmes en général, avec des pertes de revenus plus importantes.
L’impact du Covid-19 sur les inégalités entre les sexes étant susceptible de se prolonger après 2021, les efforts de relance représentent une occasion unique pour le gouvernement de mettre au premier plan les femmes qui ont le plus souffert et d’œuvrer à la correction des inégalités persistantes.
L’économie du Tchad et les conséquences du Covid-19
Le Tchad est un pays fragile, exportateur de pétrole et à faible revenu, dont le PIB réel par habitant était de 734 dollars en 2018. Il a traversé des conflits plus fréquents et plus graves que tout autre pays de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC), dont les cinq autres membres sont le Cameroun, la République centrafricaine, la Guinée équatoriale, le Gabon et la République du Congo. Les conflits et la violence ont marqué la vie du pays pendant 37 ans depuis 1960, année de son indépendance, soit beaucoup plus que la moyenne régionale.
Le Tchad est également touché par les conflits dans les pays voisins (Cameroun, Libye, Nigeria et Soudan) et il accueille actuellement plus de 450 000 réfugiés. En outre, depuis 2005, le pétrole est la principale source de revenus d’exportation, représentant plus de 85 % des exportations totales. Cette dépendance au secteur pétrolier expose le pays à des chocs budgétaires et de balance des paiements liés à la volatilité des prix du pétrole.
Avant la pandémie, le Tchad était déjà en retard par rapport à ses pairs en matière d’égalité des sexes, se classant 147e sur 153 pays dans l’indice mondial d’écart entre les sexes. Les femmes constituent la moitié de la population active du Tchad, mais elles sont surtout employées dans le secteur informel, sont moins productives et gagnent moins que les hommes, ce qui contribue fortement à la faible productivité dans la plupart des secteurs. Seule la moitié des femmes participent à la population active, contre 73 % des hommes. Ainsi, l’égalité des sexes est l’un des domaines essentiels qui doivent être traités pour le développement économique du Tchad.
Pendant la pandémie, les choses ont empiré : le Covid-19 a forcé certains des secteurs dans lesquels les femmes étaient principalement employées à fermer leurs portes. Il a également alourdi la charge de travail des femmes au sein du ménage et dans le domaine des soins, réduisant ainsi leur productivité économique.
Compte tenu du niveau d’inégalité entre les sexes avant la pandémie, combler l’écart est devenu un défi encore plus grand. Mais comme toute crise, la pandémie offre aussi l’occasion d’attirer l’attention sur ces inégalités et de lutter plus efficacement contre elles.
Effets sectoriels et distributifs de la pandémie sur l’économie du Tchad
Notre étude utilise un modèle macroéconomique et des données microéconomiques pour comprendre les effets sectoriels et distributifs potentiels de la pandémie sur l’économie du Tchad. L’analyse se concentre sur l’emploi et la productivité des femmes dans les exploitations agricoles appartenant à des femmes. Pour compléter l’analyse au niveau macro, nous utilisons les résultats d’une enquête sur les ménages menée pendant la pandémie pour évaluer les effets réels sur les revenus et l’emploi des ménages dirigés par des femmes, ainsi que les stratégies adoptées pour faire face au Covid-19.
Les résultats montrent que la pandémie a eu un impact négatif disproportionné sur les femmes vivant dans les zones urbaines. Les dynamiques liées au genre sont à l’origine de ces résultats. Les femmes occupant un emploi rémunéré ont été plus susceptibles de perdre cet emploi pendant la pandémie. L’écart important entre les salaires et le taux d’emploi des femmes se traduit par une contribution moindre à la valeur ajoutée du secteur qui les emploie. En outre, leur productivité inférieure à celle des hommes, combinée aux normes et perceptions sociales, fait que les femmes sont souvent les premières à être licenciées en temps de crise.
La situation est potentiellement désastreuse, notamment dans les secteurs des services où la plupart des femmes qui vivent en zones urbaines travaillent. Les résultats de l’enquête montrent que la pandémie a particulièrement affecté les revenus des ménages travaillant en entreprise, et que cet impact négatif est plus important pour les familles dirigées par des femmes.
Ce n’est pas une grande surprise : bien que les femmes possèdent 57 % des entreprises non agricoles, celles-ci réalisent 77 % de bénéfices en moins que les entreprises appartenant à des hommes. En outre, les femmes entrepreneures ont, en moyenne, un niveau d’éducation plus faible et un accès plus limité à l’électricité, à l’eau courante, aux machines et aux téléphones pour leurs entreprises. Ces résultats montrent donc que les entreprises appartenant à des femmes sont principalement des microentreprises et des entreprises de services, que la pandémie a davantage touchées.
Notre analyse suggère également que les effets du Covid-19 sur les inégalités entre les sexes se prolongeront probablement au-delà de 2021. De nombreuses adolescentes qui ont abandonné l’école pendant la pandémie en raison de leur fermeture risquent de ne jamais y retourner, de se marier tôt et d’être ainsi moins productives tout au long de leur vie.
Une grande partie de ces impacts économiques sexospécifiques est due aux écarts préexistants entre les genres dans la structure du travail au Tchad. Par conséquent, il est impératif de reconnaître l’hétérogénéité des moyens de subsistance des femmes pour identifier les ménages et les individus affectés et concevoir des réponses politiques adaptées. Des mesures politiques sensibles à la dimension de genre peuvent contribuer à atténuer la pression économique qui pèse sur les femmes dans divers secteurs et aider le Tchad à se reconstruire plus solidement.
Il est essentiel de s’attaquer aux inégalités entre les sexes pour assurer une reprise globale. La mise en place d’un filet de sécurité solide pour les femmes et la garantie qu’elles puissent profiter des opportunités économiques, en particulier dans l’agriculture, pourraient constituer les prochaines étapes immédiates pour résoudre les problèmes identifiés dans notre recherche. Ainsi, le gouvernement pourra profiter de cette occasion unique pour placer les femmes qui ont subi les effets économiques les plus importants au premier plan des efforts de relance, et de travailler à la résolution d’inégalités de longue date.