Économie, emplois et entreprises

La pisciculture adaptée au climat : un modèle d’affaires digne d’être reproduit

8 min

by

Deepak Chamola and Biswajit Behera

Les nouvelles pratiques commerciales offrent une occasion de relever les défis naturels et d’origine humaine qui menacent les moyens de subsistance locaux dans les pays en développement. Cet article présente le succès de l’une de ces méthodes : la pisciculture adaptée au climat, qui a permis de connecter de petits pisciculteurs au crédit, à la technologie et au marché. Le soutien des ONG est important pour renforcer les institutions et développer un modèle d’affaires communautaire efficace.

Le Nord-Est indien fait face à la fois à des défis causés par l’homme et à des défis naturels, qui y menacent les moyens de subsistance locaux. Inondations graves, érosion du sol, glissements de terrain et dépôts de sable provoquent la perte de vastes étendues de terres agricoles précieuses, entraînant ainsi l’insécurité des moyens de subsistance. Ces problèmes se sont intensifiés avec la croissance de la population, due à l’afflux de milliers d’immigrants dans la région au cours des quatre dernières décennies.

La couverture de crédit a aussi été faible. Selon les données sur la microfinance en Inde (publiées par la Banque nationale pour l’agriculture et le développement rural), le solde estimatif moyen des prêts impayés par « groupe d’entraide » est de 61 991 roupies dans le Nord-Est indien, la moyenne nationale en 2017-2018 étant de 150 584 roupies.

Il y a tout de même quelques modèles d’affaires à succès avec un grand potentiel de reproductivité qui y ont été développés par des organisations de la société civile afin d’améliorer les possibilités de moyens de subsistance des habitants. Un exemple notable est le modèle de piscicultures adaptées au climat développé par une ONG nommée Kalong Kapili.

Notre étude s’efforce de comprendre ce modèle et ses impacts. Les données utilisées dans le cadre de la présente recherche ont été obtenues au cours d’entretiens individuels approfondis avec les employés de Kalong Kapili et le directeur d’une banque rurale régionale, ainsi qu’au moyen d’un groupe de discussion avec des pisciculteurs.

Le secteur de la pêche dans l’Assam

En Inde, le secteur de la pêche constitue le gagne-pain d’approximativement dix millions de personnes. Il représente par exemple plus de 2 % de l’économie de l’État de l’Assam.

Les conditions climatiques tropicales dans les plaines de l’Assam favorisent l’élevage des poissons d’eau douce. Cependant, malgré les vastes ressources aquatiques, le poisson étant un aliment de base, la production de poisson peine à répondre à la demande sans cesse croissante. Le manque d’expérience et de compétences dans la pisciculture scientifique, le manque de semences de poisson de bonne qualité, de capital et de soutien des agences gouvernementales sont les principaux défis constatés par les experts de la pêche.

Parallèlement, il existe une excellente occasion pour le développement d’entreprises basées sur des bassins à l’échelle villageoise, avec un approvisionnement en semences de poisson de bonne qualité et à croissance rapide.

L’organisation Kalong Kapili

L’organisation non gouvernementale Kalong Kapili travaille avec les pisciculteurs dans six districts de l’Assam depuis 2007. L’ONG les a encouragés à former des « groupes à responsabilité conjointe » et à résoudre les défis auxquels ils font face : méconnaissance des pratiques de pisciculture scientifique, indisponibilité de semences de poissons de bonne qualité, liens de commercialisation inadéquats, manque de soutien au crédit, etc.

Un projet indo-allemand — l’Umbrella Programme for Natural Resource Management (UPNRM) — a facilité la conversion des pêches de subsistance en un modèle de piscicultures adaptées au climat.

Le modèle de piscicultures adaptées au climat

Le modèle d’affaires d’élevage de poissons intégré de Kalong Kapili est un parfait exemple d’une pisciculture résiliente aux phénomènes climatiques. Les inondations sont fréquentes dans la zone d’action de l’ONG, où elles détruisent les moyens de subsistance des pisciculteurs locaux. Considérant le risque d’inondations régulières, l’organisation — en concertation avec un groupe de parties prenantes variées, incluant des pisciculteurs locaux et des experts de la pêche— a développé des bassins dont les caractéristiques atténuent les risques climatiques.

Les éléments essentiels de la conception des bassins sont les hautes digues qui aident à retenir l’eau tout au long de l’année et à protéger le bassin de l’inondation ; le gazonnement de ses côtés pour en renforcer la structure qui devra contrer de forts courants durant les inondations, et la plantation de bananiers et d’autres plantes sur les digues et les zones adjacentes afin de réduire l’érosion du sol.

Les pisciculteurs ont été sensibilisés à la pisciculture collective et à ses bénéfices liés à de meilleures possibilités de revenus. Ils sont mobilisés au sein des groupes à responsabilité conjointe et soutenus par Kalong Kapili dans la mise en commun, la valorisation et la commercialisation de leurs produits. Cela a considérablement réduit les coûts des intrants, main-d’œuvre comprise, et responsabilisé les agriculteurs dans les négociations collectives et les négociations de prix avec les commerçants.

Au travers des banques, des institutions de financement du développement et des organismes donateurs, Kalong Kapili facilite la constitution d’un capital afin que les groupes couvrent leurs dépenses, par exemple celles liées au creusement des bassins et à leur rénovation, à l’achat de machinerie et d’équipement, à l’acquisition de semences de poisson et de nourriture ainsi que de plants d’horticulture.

Il est devenu facile pour les pisciculteurs d’avoir accès au crédit par l’entremise du modèle des groupes à responsabilité conjointe. Dans le cadre du projet UPNRM, la Banque nationale pour l’agriculture et le développement rural a accordé un prêt de deux millions de roupies à Kalong Kapili pour couvrir les frais d’investissement et d’exploitation.

L’ONG a transmis ce prêt aux pisciculteurs pour la préparation des bassins (retrait de la vase) et les coûts d’exploitation (introduction de crevettes, gestion de l’alimentation et des maladies, main-d’œuvre, etc.). En plus du prêt, 0,14 million de roupies ont été données à l’organisation pour le renforcement de ses capacités, ainsi que du soutien à l’administration et aux infrastructures.

Les pisciculteurs livrent leurs poissons aux groupes à responsabilité conjointe, qui agissent comme des agrégateurs. Chaque groupement de producteurs comprend 10 membres. Les poissons collectés auprès des groupes sont emballés pour la vente en gros aux centres d’agrégations. Kalong Kapili a établi des contacts avec des commerçants et des grossistes qui achètent lesdits poissons.

Les pisciculteurs ont reçu la formation et le soutien nécessaire au renforcement de leurs capacités, au moyen d’enseignement en classe et de visites d’études.

Les impacts

Le modèle de piscicultures adaptées au climat a commencé à avoir un impact positif dès la première année d’implantation. Les pisciculteurs, qui avaient été habitués à gagner 50 000 à 60 000 roupies pour un bassin d’un acre (0,40 hectare), reçoivent maintenant 0,15 à 0,16 million de roupies par année.

En constatant son succès, plusieurs pisciculteurs ont fait part de leur volonté d’adopter ce modèle d’affaires. Plus de 200 d’entre eux ont obtenu des prêts de la banque rurale régionale d’Assam.

Parallèlement à l’intégration des banques, le succès du programme a également permis la convergence avec d’autres programmes gouvernementaux. Par exemple, le ministère des Pêches prête régulièrement main-forte à Kalong Kapili pour dispenser la formation technique aux pisciculteurs.

En outre, une route de cinq kilomètres a été aménagée dans le cadre de la loi nationale Mahatma Gandhi sur la garantie de l’emploi rural, qui relie les marchés régionaux au village. Le département de l’irrigation a également financé la construction d’un canal goudronné qui aide maintenant à remplir les bassins et qui irrigue les terres environnantes tout au long de l’année.

À la veille de la Journée nationale des pisciculteurs de l’Inde, le 10 juillet 2018, le co-promoteur de Kalong Kapili, Jyotish Talukdar, a reçu un prix de l’État de l’Assam pour la meilleure performance dans le domaine de la pêche.

Pour aller de l’avant

Afin d’éliminer la pauvreté, un énorme investissement est requis, sous forme de financement des moyens de subsistance. Les petits montants des prêts aux groupes d’entraide et aux groupes à responsabilité conjointe sont insuffisants pour créer des possibilités de moyens de subsistance durables pour les ménages ruraux. Les institutions bancaires devraient considérer l’augmentation de la taille des prêts pour le financement des entreprises et des moyens de subsistance. Les banquiers devraient également être informés des modèles d’affaires couronnés de succès qui ont été mis en place dans le cadre de programmes gouvernementaux et non gouvernementaux de financement à grande échelle.

La collectivisation des pisciculteurs sous la forme d’organisations de producteurs peut renforcer le pouvoir de négociations de ces mêmes pisciculteurs. Les groupes à responsabilité conjointe et groupes d’entraide qui sont impliqués dans des activités économiques pourraient être transformés en de telles organisations afin de connecter les petits pisciculteurs au crédit, à la technologie et aux marchés. Le soutien des ONG est important pour le renforcement institutionnel et pour développer un modèle d’affaires communautaire.

Figure 1 : Structure modèle de pisciculture adaptée au climat

Avertissement : Les opinions exprimées dans ce texte sont celles des auteurs ; elles ne reflètent pas nécessairement celles de leurs employeurs, organisations, comités et tout autres groupes ou individus.

 

Deepak Chamola
Development Professional
Biswajit Behera
Development Professional