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Le per diem : la petite corruption qui nuit au développement de l’Afrique

6 min

by

Guy Blaise NKAMLEU

La quête des indemnités journalières de subsistance est devenue une tendance généralisée au sein des administrations africaines, entraînant ainsi la distraction des fonds et le détournement de l’attention vers des activités non productives. L’auteur démontre que la nature dévastatrice des systèmes de per diem en Afrique est l’une des principales causes des échecs à répétition des efforts de développement sur le continent. Le per diem devrait reprendre son rôle en tant qu’instrument de développement plutôt qu’un outil de corruption.

Une part de plus en plus croissante des dépenses publiques des pays africains est allouée au paiement des per diem et d’autres formes d’indemnités journalières, souvent en rapport avec la participation à des séminaires, des ateliers, des déplacements dans le cadre de missions professionnelles. En raison des contraintes budgétaires et des difficultés financières auxquelles fait face la quasi-totalité des pays du continent, cette tendance est préoccupante.

Jusqu’à ce jour, cette question n’a fait l’objet d’aucun examen dans le milieu du développement. Dans mon ouvrage intitulé PER DIEM, The Petty Corruption That Hurts: the scramble for daily allowances jeopardises the development of the African (PER DIEM, la petite corruption qui fait mal : comment la quête des indemnités journalières de subsistance entrave le développement du continent africain), je présente les conclusions de mon étude sur les per diem, qui soutient le point de vue selon lequel le système est devenu perverti au point où il combat aujourd’hui les objectifs qui sous-tendent son existence.

 

Le problème

Au départ, le per diem a été introduit pour résoudre un problème réel : couvrir les coûts associés aux déplacements, permettant ainsi la bonne réalisation des missions, et l’organisation d’ateliers et de séminaires fructueux. Avec le temps, le per diem s’est perverti et est devenu la source d’un dilemme embarrassant.

Prenons le cas d’un atelier de formation : sans per diem, plusieurs participants potentiels pourraient ne pas prendre part à la rencontre, soit parce qu’ils sont uniquement intéressés par ces indemnités journalières soit parce qu’ils ne peuvent vraiment pas y prendre part faute de per diem. Par ailleurs, si un per diem consistant est accordé aux participants, l’atelier de formation pourrait connaître une pleine participation, mais sans la présence des personnes véritablement concernées par le thème.

De manière plus générale, à travers le continent, la hausse des per diem a pris le pas sur le développement qualitatif. En effet, les activités de développement sont souvent programmées et mises en œuvre uniquement dans la mesure où elles génèrent les per diem, au détriment de leur impact sur le développement.

Par conséquent, les per diem qui ont été introduits avec de bonnes intentions se sont progressivement transformés en un puissant outil de déformation qui sape l’impact des initiatives de développement. De nombreux ateliers et réunions sont aujourd’hui utilisés pour s’enrichir, récompenser des amis et connaissances, et renforcer les réseaux au grand dam des objectifs déclarés de renforcement des capacités.

Même si la pratique des per diem est justifiée dans de nombreux cas, elle se transforme progressivement, cessant d’être une partie de la solution pour devenir une partie du problème. La possibilité d’obtenir des per diem affecte négativement la conception des projets et programmes, les décisions de gestion et la façon par laquelle les employés passent leur temps.

Tout ceci déforme fortement les efforts de développement et les finances publiques. Par exemple, au cours l’exercice financier 2008-2009, le gouvernement tanzanien a budgétisé 390 millions d’USD pour couvrir les indemnités, un montant équivalant à la masse salariale annuelle de base de 109 000 enseignants. De plus, en 2011, 16,2 % de la masse salariale totale de la Tanzanie a été allouée au paiement des per diem. Au Malawi, les indemnités liées aux déplacements représentait 21,9 % des salaires.

Les fonctionnaires participent parfois à plusieurs réunions pendant la même journée en utilisant la technique du « saute-mouton » entre les réunions – inscrivant ainsi leurs noms sur les listes de présence des différentes réunions le même jour sans réellement participer aux travaux.

Au Nigeria et au Cameroun, certains hauts fonctionnaires ont reçu des per diem pour des ateliers de formation d’une semaine alors qu’ils n’ont pris part aux travaux que pendant quelques minutes. Au Malawi, des fonctionnaires reçoivent plus de 1 000 jours de per diem par an. Au Ghana, il a été rapporté que jusqu’à 80 % des revenus des médecins provenaient des per diem. Au Cameroun, un sondage a révélé que le régime de per diem constitue l’une des principales raisons pour lesquelles les fonctionnaires conservaient leurs emplois dans la fonction publique malgré les faibles salaires.

Dans certains cas, des institutions et des donateurs entrent en compétition pour proposer les indemnités journalières les plus élevées comme moyen d’attirer le plus grand nombre de participants à leurs réunions. Au Mali, les indemnités journalières accordées par le gouvernement varient entre 4 500 F CFA et 7 500 F CFA, contre 15 000 F CFA pour les projets financés par des bailleurs de fonds.

En plus de la corruption et de l’échec des projets de développement résultant de la question des per diem, il s’est créé une forme institutionnalisée et légalisée de perte de temps. Les fonctionnaires sont tentés de voyager ou d’aller à des réunions plutôt que de travailler véritablement.

Lors d’une réunion annuelle de la Banque mondiale, organisée récemment à Washington, un pays africain est arrivé avec une délégation d’environ 200 personnes. Lors de la dernière Coupe du monde féminine de football au Brésil, des joueuses africaines se sont plaintes de suffocation en raison du nombre trop élevé d’officiels autour d’elles. En 2013, 600 personnes ont voyagé pour New York avec le président nigérian dans le seul but de participer à l’Assemblée générale des Nations Unies.

 

Que faire face à cette situation ?

À travers le continent, les systèmes de per diem ont grandement besoin de réformes urgentes. Mon étude propose quelques solutions possibles. Par exemple, nous devrions :

  1. cesser de considérer les per diem comme un complément de salaire. Accorder des indemnités journalières de subsistance moins élevées et revoir les salaires à la hausse est une meilleure approche pour corriger les distorsions des systèmes ;
  2. réviser les activités de renforcement des capacités. Des per diem trop élevés sont accordés pour des réunions et des séminaires dont l’utilité est discutable ;
  3. limiter le paiement des per diem au remboursement des coûts réellement encourus. Cette approche permettra de réduire la tendance à considérer les missions comme un moyen de gagner de l’argent ;
  4. faire preuve de transparence et d’équité dans le paiement des per diem ;
  5. assurer une meilleure coordination et s’inspirer des bonnes pratiques.

Nous avons besoin de systèmes de per diem plus efficaces, afin que ces indemnités journalières de subsistance puissent retrouver leur rôle en tant qu’instrument de développement plutôt qu’outil de corruption.

 

Guy Blaise NKAMLEU
Senior Advisor to the Vice-President, African Development Bank