Science, finance et innovation

Les enseignements à tirer du suivi des flux de financement de la recherche du Nord vers le Sud

8 min

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Francesco Obino

Mesurer l’ampleur du financement de la recherche du Nord vers le Sud est une tâche complexe et souvent négligée en dehors des chiffres clés. Dans le cadre d’un nouveau projet visant à suivre les flux mondiaux de financement de la recherche pour le développement, ce blog suggère que de nouvelles données pourraient offrir des informations précieuses sur les questions clés qu’affronte le secteur du développement international.

Après quinze ans passés à étudier le financement de la recherche (ses modalités, ses effets sur la réflexion intellectuelle organisée et son lien ambitieux avec le développement socio-économique), une même question revient sans cesse :

Le problème central est-il de savoir si le financement de la recherche soutient la recherche scientifique (et donc si sa structure est adéquate), ou de connaître le montant des fonds disponibles (faisant écho aux débats classiques sur « l’impulsion massive » du financement du développement) ?

Tous les chercheurs se plaignent des coupes budgétaires, mais lorsque l’on parle de systèmes structurellement et chroniquement sous-financés, il devient essentiel de hiérarchiser et de clarifier ces questions.

Où va le financement de la recherche et qui en profite ?

Dans un récent article, j’ai posé une question analogue et étonnamment difficile : à quoi sert réellement le financement existant ?Pourquoi les donateurs semblent-ils n’avoir aucun mandat clair pour financer le type de recherche qu’ils prétendent vouloir (des travaux transformateurs, percutants et transdisciplinaires) et tout ce qui le soutient ? Je ne suis pas le seul à poser la question.

Au sein du Global Development Network, où je coordonne l’initiative Doing Research, nous nous demandons depuis plus de dix ans à qui sont vraiment destinés les financements de la recherche – au niveau national : à quels chercheurs et à quelles recherches ? Nous constatons régulièrement que les ministères des sciences des pays à revenu faible et intermédiaire (PRFI) manquent souvent d’informations élémentaires, sans parler de données exploitables, sur les investisseurs qui financent leurs propres sciences sociales. Dans de nombreux cas, ils ne savent pas combien de chercheurs en sciences sociales mènent des recherches dans (ou sur) leur pays.

Suivre les flux de financement de la recherche

Pour ce qui est du montant des fonds alloués à la recherche, l’année dernière, une équipe de la Direction de la coopération pour le développement de l’OCDE, qui est également le secrétariat du Comité d’aide au développement (CAD), a tenté de déterminer le montant de l’aide publique au développement (APD) alloué à la recherche pour le développement. Après tout, un certain nombre de codes sectoriels du CAD de l’OCDE (la norme utilisée par les donateurs pour rendre compte de leurs dépenses) concernent la recherche (bien que l’on ne sache pas exactement où se situe la recherche en sciences sociales).

Ils ont été découragés par le chiffre qu’ils ont découvert : en 2022, seulement 1 % de l’aide bilatérale des pays du CAD a été consacrée à la R&D, et seulement 0,2 % aux institutions de recherche, ce qui met en évidence d’importantes lacunes dans les données. Cela fait suite à une baisse de l’APD consacrée à la R&D, passée de 2,7 milliards de dollars en 2018 à 1,7 milliard de dollars en 2022 (soit plus d’un tiers en termes réels). Sept membres du CAD fournissent la majeure partie du financement, et en cette période d’austérité, la dépendance du secteur envers un petit nombre de donateurs soulève des inquiétudes quant au manque de diversification et à la manière dont les autres investisseurs soutiennent ou rendent compte des données probantes. Le problème est que la recherche fait partie intégrante du développement, et de façon si totale et essentielle que, ironiquement, les normes d’information ne sont pas particulièrement utiles pour la suivre.

Une méthodologie permettant de retracer les flux financiers invisibles et non déclarés dans les situations d’urgence humanitaire a été développée par Oxfam International. Je réfléchis depuis des années à la manière d’adapter cette approche pour comprendre les flux financiers consacrés à la recherche du Nord vers le Sud.

Le UKCDR et le Pandemic Sciences Institute ont déjà montré que la cartographie des financements mondiaux consacrés à la recherche, du moins en ce qui concerne les pandémies, est à la fois réalisable et utile. Une équipe du NUPI à Oslo et de l’ACDI au Cap a mené une étude similaire, axée cette fois sur le financement de la recherche sur le changement climatique, et a conclu que « seuls 3,8 % du financement mondial de la recherche sur le changement climatique est consacré à des questions africaines ». Mais on peut considérer que les deux équipes avaient une tâche plus circonscrite : cartographier le financement de la recherche au sein du secteur du financement de la recherche (soit, essentiellement, analyser les bases de données sur les subventions de recherche). Cartographier le financement de la recherche au sein du secteur du développement est une entreprise plus complexe et moins cohérente. Ainsi que plus politique.

Fig. 1 reproduite à partir des travaux de Christian Els de 2017 sur la cartographie des flux de financement dans le secteur humanitaire. À quoi ressemblerait un graphique comme celui-ci s’il se concentrait sur les flux de financement vers la recherche dans les pays du Sud ?

Suivre les financements vers le Sud

Une équipe du CLACSO et du CWTS (Université de Leyde), financée par le CRDI du Canada, travaille actuellement à répondre à cette question. Son projet vise à suivre les flux mondiaux de financement de la recherche en mettant l’accent sur le Sud, afin de mettre enfin en lumière les inégalités profondément enracinées et de proposer des systèmes de financement plus équitables et plus inclusifs.

Il est donc peut-être temps d’énumérer les questions qui pourraient réellement faire pencher la balance.

Au-delà de la question initiale posée par l’équipe de l’OCDE – quelle part du financement des pays du Nord est consacrée à la recherche –, je voudrais savoir :

  • Quelle part du financement de la recherche parvient aux pays du Sud ?
  • Le financement de la recherche fourni par l’APD est-il destiné aux institutions du Nord ou à celles du Sud ?
  • Parmi les fonds qui parviennent aux chercheurs du Sud (y compris dans le cadre de collaborations Nord-Sud), à quelles questions sont-ils destinés à répondre : celles des donateurs, celles des chercheurs ou celles des acteurs sociaux ? (Question bonus : à quelles incitations sont confrontés les chercheurs pour co-construire des questions avec leurs parties prenantes, plutôt que de s’aligner sur les questions posées par leurs pairs les plus éminents ?)
  • Quelle part de ce financement est consacrée au renforcement des capacités de recherche ? Ce ratio, entre la recherche et le renforcement des capacités de recherche, pourrait servir d’indicateur du niveau de confiance que les investisseurs accordent aux chercheurs du Sud pour diriger les projets (de nombreux chercheurs chevronnés du Sud sont frustrés de n’être inclus que grâce au financement du renforcement des capacités). (Ma question bonus préférée étant : qu’entendons-nous exactement par « renforcement des capacités » ? Où le financement conduit-il les chercheurs, physiquement, professionnellement, intellectuellement ? Quelle part du financement est consacrée aux infrastructures, aux bourses de doctorat ou simplement au temps consacré par les chercheurs du Sud aux « partenariats » Nord-Sud ?)
  • Quelle part de ce financement soutient des programmes de recherche à long terme par rapport à des projets à court terme ? Un repas et un verger, ce n’est pas la même chose. Les deux sont utiles, voire essentiels, mais ils servent des objectifs très différents.

Pouvons-nous changer ce que nous ne pouvons pas mesurer ?

Le plus stupéfiant c’est que l’information existe. Chaque programme de financement est géré par un personne qui pourrait (en théorie) répondre à ces questions. Pourtant, ces informations ne sont pas collectées de manière systématique, et encore moins regroupées, ce qui signifie que nous ne pouvons ni les analyser ni prendre de décisions éclairées concernant les domaines dans lesquels il faudrait investir, la manière d’améliorer l’octroi des financements, ni même le montant des fonds supplémentaires nécessaires et les personnes qui devraient aider à les collecter.

Comme je l’ai déjà souligné ailleurs, nous pourrions bien nous trouver dans une situation où le financement international de la recherche est, au mieux, un facteur neutre dans les écosystèmes de recherche nationaux et, au pire, un facteur perturbateur qui détourne les chercheurs de leurs propres questions et maintient le développement des systèmes et des réseaux de recherche dans une sorte de purgatoire.

Et le problème ne se limite pas au financement mondial ou lié à l’APD. Pour bien comprendre dans quelles conditions la recherche peut contribuer de manière significative à améliorer les conditions de vie et les capacités des individus, nous devons également examiner le rôle du financement public, privé et philanthropique national. Ce n’est pas un débat obscur ou auto-référentiel. Ce n’est qu’une question de données manquantes – données qui permettent à tous de continuer à faire ce qu’ils font depuis longtemps, peut-être avec réflexivité et des idées convaincantes, mais sans aucun moyen réel de savoir si un changement transformateur est possible.

Alors, pourquoi est-ce important ? Comme l’a souligné Joseph Stiglitz dans un article publié en 1999, le développement est d’abord une question d’idées, avant d’être une question de ressources. Et pour que les idées puissent s’épanouir, être testées, affinées et explorées, nous avons besoin de capacités de recherche, partout dans le monde. Ce n’est pas un luxe. Si nous voulons savoir d’où viendra la prochaine avancée transformatrice, nous devons déterminer comment, et même si, elle sera financée.

Cet article fait partie d’une série organisée avec le UK Collaborative on Development Research (UKCDR) sur l’impact des approches de financement sur la recherche. Exceptionnellement, nous acceptons des contributions de chercheurs/euses mais aussi de bailleurs/euses de fonds pour cette série.

Francesco Obino
Editeur fondateur, GlobalDev Blog