Les nouveaux marchés du carbone réglementés par les Nations unies, qui remplacent le mécanisme de développement propre largement critiqué, apportent un espoir financier et pourraient offrir une plus grande durabilité de l’agriculture pour les pays partenaires émergents d’Afrique. Mais le succès de ces marchés dépend de la manière dont ils sont actuellement négociés et mis en œuvre.
Le potentiel que représente l’échange de droits d’émission pour financer l’atténuation du changement climatique et l’adaptation à ses effets est immense. Le marché mondial des crédits carbone devrait passer de 402,58 milliards de dollars en 2022 à près de 4 434 milliards de dollars en 2031, soit un taux de croissance annuel de 31 %.
Dans le même temps, la demande des pays du Sud pour financer uniquement l’atténuation, sans même parler de l’adaptation, est estimée à 6 000 milliards de dollars d’ici 2030. Pour combler ces écarts financiers, « il est essentiel de mobiliser et d’orienter plus efficacement les financements publics et privés vers des objectifs liés au climat », comme l’affirmaient des chercheurs et chercheuses dans un article datant de 2021.
Par le passé, on a négligé les pays du Sud et refusé de les voir comme des partenaires égaux dans les initiatives de financement de la lutte contre le changement climatique, les considérant plutôt comme des sites permettant de compenser les émissions des entreprises du Nord. Mais depuis 2015, les marchés du carbone sont entrés dans un processus de transformation en vertu de l’article 6 de l’Accord de Paris des Nations unies. Un processus qui, on peut le penser, place les pays du Sud sur un pied d’égalité avec les pays du Nord pour ce qui est de capter les gains de la finance climatique provenant de ces marchés.
Comme l’a souligné le Groupe africain de négociateurs, ces nouveaux marchés du carbone comportent toutefois des risques pour les pays autrefois négligés : « Pour être inclusifs, les avantages de l’article 6 de l’Accord de Paris doivent pouvoir profiter à toutes les Parties, en particulier celles dont les émissions historiques de GES [gaz à effet de serre] sont faibles. Ce sont ces pays qui ont le plus besoin d’investir dans le développement durable tout en étant très vulnérables aux effets néfastes du changement climatique résultant des émissions de GES qui ont favorisé la prospérité ailleurs ».
Marchés du carbone et agriculture africaine
Les débats sur le financement de l’atténuation et l’adaptation par les marchés du carbone sont extrêmement pertinents pour les pays agricoles d’Afrique. La distribution asymétrique des émissions historiques et les coûts à venir de la crise climatique sont particulièrement évidents dans les pays qui dépendent fortement de la production alimentaire pour leur sécurité alimentaire nationale, leurs moyens de subsistance et leurs recettes d’exportation.
C’est pourquoi la transformation durable des systèmes alimentaires est une priorité essentielle pour de nombreux pays africains. Par exemple, étant donné que l’agriculture contribue à hauteur de 35 % au PIB de l’Afrique et qu’elle emploie officiellement plus de la moitié de sa population, la zone de libre-échange continentale africaine (ZLECA) prévoit d’encourager massivement la transformation durable des systèmes alimentaires.
L’agriculture est également l’un des principaux facteurs du changement climatique, puisqu’elle représente environ 21 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Les possibilités d’atténuation du changement climatique dans ce secteur suscitent donc de plus en plus d’attention, tout comme la nécessité d’adapter les systèmes agricoles aux nouvelles conditions climatiques et à l’augmentation de la population mondiale.
Nouveaux marchés du carbone au titre de l’article 6 selon la réglementation de l’ONU
L’idée de mobiliser des capitaux mondiaux en faveur de l’action climatique par l’intermédiaire des marchés du carbone remonte au protocole de Kyoto de 1997. Depuis, une vaste industrie de la compensation a vu le jour.
Le mécanisme de développement propre (MDP), le système de compensation des émissions de carbone mis en place par le protocole de Kyoto, a été très contesté en raison de ses effets limités sur la réduction réelle des émissions. Il a en outre provoqué des destructions socio-environnementales, la dépossession et l’exclusion des populations locales dans les pays d’accueil, et créé des dépendances externes à l’égard des investissements des grandes entreprises du Nord, ce qu’on a pu qualifier de « colonialisme du carbone ».
Pour répondre à ces critiques, la nouvelle réglementation du marché du carbone, résumée à l’article 6 de l’Accord de Paris, promet une plus grande responsabilité, une participation équitable des pays en développement et une forte orientation sur les résultats en matière de durabilité.
L’article 6 définit un cadre pour la coopération volontaire entre les nations désireuses d’atteindre leurs objectifs en matière de climat. L’un des aspects clés de cet article est la possibilité pour les pays de transférer les crédits carbone obtenus grâce à la réduction de leurs émissions. Un pays reçoit des crédits, appelés résultats d’atténuation transférés au niveau international (RATNI), en échange de la réduction des émissions d’un autre pays grâce à des projets de développement durable. Les RATNI sont pris en compte dans la contribution déterminée au niveau national (CDN) du pays qui en achète grâce à la mise en œuvre du projet dans le pays d’accueil (figure 1).
Il est toutefois important de noter que les Nations unies ont conçu un outil de durabilité pour éviter que ces activités de compensation ne causent des dommages sociaux et environnementaux et pour obtenir des résultats positifs même au-delà des seuls RATNI.
Figure 1 : Transfert des RATNI : La Suisse achète des crédits carbone au Ghana par la mise en œuvre d’un projet de riziculture durable afin de contribuer à la CDN du Ghana par des réductions réelles, en y ajoutant les émissions de la Suisse afin d’éviter un double comptage des réductions d’émissions.
Figure 2 : Nombre de projets par type
La riziculture durable au Ghana met en œuvre l’article 6
La production de RATNI destinés à être échangés sur les marchés mondiaux du carbone est liée à divers secteurs, généralement associés à la production et à la distribution d’énergie verte et à l’efficacité énergétique (voir figure).
Selon la CCNUCC, sur les 137 projets pilotes prévus au titre de l’article 6, 77 % sont menés en collaboration avec des pays asiatiques, 13 % avec des pays africains et 6 % avec des pays d’Amérique. Le premier projet pilote au titre de l’article 6 est un projet de riziculture durable au Ghana, signé entre la Suisse et le gouvernement ghanéen en 2022. Ce projet devrait couvrir près de 80 % de la production de riz du Ghana et permettre d’économiser environ 1 million de tonnes d’équivalent dioxyde de carbone d’ici à 2030 grâce à la formation des petits exploitants à des techniques agricoles qui réduisent leur empreinte carbone, leur consommation d’eau et leurs émissions de méthane.
L’accord permet aux acteurs publics et privés ghanéens de collaborer à des mesures d’atténuation et d’échanger des crédits carbone avec la Suisse contre paiement, tout en maintenant les avantages du développement au Ghana (figure 1). Il vise également à garantir que les entreprises vertes émergentes ne causent pas de dommages à l’environnement et respectent les droits de l’homme, mettant ainsi en œuvre une approche holistique du développement durable et de l’industrialisation sensible au climat. Cette approche coopérative est essentielle pour débloquer des ressources financières capables de soutenir des initiatives climatiques, telles que l’adoption de pratiques respectueuses du climat dans les rizières irriguées.
Les voies à suivre et les défis politiques
À ce jour, l’article 6 est censé mobiliser des capitaux pour financer des voies de développement régional durable, en fonction des processus de négociation en cours et des rapports de force qui déterminent les règles du jeu de leur mise en œuvre.
La question de savoir si les nouveaux marchés du carbone amélioreront le financement de la transition écologique dans l’agriculture africaine est extrêmement complexe, compte tenu des différentes strates de gouvernance, de la multiplicité des acteurs impliqués et de la technicité de la question. Ceci est particulièrement pertinent pour les économies régionales qui dépendent des petits exploitants agricoles et des réseaux de fournisseurs locaux, étant donné que le MDP a négligé l’opportunité de développer un secteur agricole durable incluant les acteurs locaux.
Pour garantir une participation africaine forte et inclusive lors de la mise en œuvre de l’article 6, les approches coopératives doivent s’adapter aux besoins et aux atouts locaux. Avec un fort engagement régional et local, il est possible d’améliorer la capacité à mettre en œuvre les objectifs de développement durable des pays africains et les décisions d’investissement qui réduisent les lacunes en matière d’exploitation. À cet égard, la collaboration panafricaine peut créer des structures à long terme qui atténueront les déséquilibres de pouvoir à l’échelle mondiale et amélioreront la capacité institutionnelle à faire en sorte que les marchés du carbone soutiennent un développement durable inclusif, en particulier dans les industries de base telles que l’agriculture.
Les bénéfices générés par les nouveaux marchés du carbone dépendront donc des connaissances en matière de mise en œuvre, des capacités locales et du pouvoir de négociation des parties hôtes. Au cours des prochaines décennies, il conviendra de surveiller attentivement la manière dont ces nouvelles collaborations se concrétiseront, notamment en termes de résultats durables, de participation locale et d’équité entre les États.