Même si les programmes de transfert conditionnel de fonds (TCF) ont, de manière générale, permis de réduire les écarts entre les sexes en ce qui concerne la scolarisation et la fréquentation scolaire, le fait de scolariser davantage de filles n’entraîne pas nécessairement l’égalité entre les sexes dans la qualité et les résultats de l’éducation. Les auteurs de cet article présentent des preuves, provenant du Bangladesh, que le fait d’accorder aux filles des allocations et des exemptions des frais de scolarité a considérablement stimulé leur scolarisation. Néanmoins, les filles sont désavantagées en ce qui concerne l’allocation des ressources éducatives au sein des ménages et leurs résultats scolaires sont largement inférieurs à ceux des garçons.
Le quatrième objectif de développement durable (ODD) – éducation de qualité – marque un revirement important, de la quantité vers la qualité, dans les priorités politiques pour l’éducation dans les pays en développement. Grâce aux initiatives nationales et internationales déployées au cours des trois dernières décennies, plus de filles (et de garçons) vont dorénavant à l’école, et des progrès significatifs ont été enregistrés à travers le monde en vue de l’atteinte de l’objectif du Millénaire pour le développement : promotion de l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes.
Pourtant, le fait d’examiner la parité filles/garçons dans l’éducation à travers les critères restrictifs de la scolarisation et de la fréquentation scolaire pourrait créer une illusion du succès. Ainsi, ces mesures de quantité ne garantissent pas la parité entre les sexes en ce qui concerne la qualité de l’éducation que les enfants reçoivent.
Les programmes de transfert conditionnel des fonds constituent une illustration de ce qui précède. Ces programmes proposent des incitations en faveur des ménages défavorisés afin que ces derniers scolarisent leurs enfants en leur offrant de l’argent lorsque certaines conditions, notamment l’assiduité scolaire, sont remplies. Il a été constaté que ces programmes ont entraîné la hausse des niveaux de scolarisation à travers le monde, ce qui montre que les programmes TCF ciblant les filles peuvent réduire de façon remarquable les disparités entre les sexes en ce qui concerne la scolarisation.
Au Bangladesh, le programme de bourses en faveur des femmes (Female Stipend Programs – FSP), qui a démarré en 1994 et qui accordait aux filles des allocations et des exemptions de frais de scolarité, a permis de réduire les disparités entre filles et garçons concernant la scolarisation. Entre 1990 et 2016, les taux bruts de scolarisation du secondaire pour les garçons et les filles ont augmenté de 27 % et 14 %, à 66 % et 72 % respectivement.
Même s’il y a lieu de se féliciter des performances atteintes en ce qui concerne la parité entre les sexes pour ce qui est de la scolarisation, les filles continuent d’être à la traîne par rapport aux garçons dans d’autres aspects, notamment la qualité de l’éducation et les performances scolaires. Une importante source de disparités entre les sexes pourrait provenir de l’allocation des ressources au sein des ménages – en raison de la forte préférence que les parents ont pour les garçons – ce qui entraîne des lacunes dans la qualité de l’éducation des filles.
Nous montrons que cette préférence pourrait avoir entraîné des disparités systématiques entre les sexes dans la qualité de l’éducation et les performances scolaires au Bangladesh, un pays principalement patriarcal. Nous observons que les filles enregistrent systématiquement des performances inférieures à celles des garçons, comme le montrent les taux de passage en classe supérieure et le classement des meilleurs élèves à l’examen du diplôme de fin d’études secondaires, un test national préalable à l’achèvement du cycle (voir la figure 1).
Figure 1. Performances à l’examen du diplôme de fin d’études secondaires, ventilées par sexe sur une période donnée.
Notes: Les lignes pleines représentent la proportion des garçons (bleu) et des filles (rouge) qui ont réussi à l’examen SSC sur tous ceux qui ont pris part à l’examen et les lignes discontinues représentent les meilleurs élèves qui ont obtenu la moyenne la plus élevée (connue comme la moyenne cumulée (GPA) de 5).
Source : base de données BANBEIS-Education.
Certaines études précédentes ont tenté d’expliquer les mauvaises performances scolaires des filles par les facteurs liés à l’offre, notamment le faible taux de femmes enseignantes, les attitudes défavorables des enseignants concernant les sexo-spécificités, et le manque de programmes scolaires intégrant la question de genre.
En revanche, notre étude souligne l’importance des contraintes liées à la demande découlant de l’allocation des ressources éducatives au sein des ménages. Ces contraintes limitent potentiellement l’efficacité des politiques et programmes éducatifs.
En analysant des données découlant de quatre cycles d’enquêtes réalisées auprès des ménages, notamment les données détaillées sur les dépenses liées à l’éducation, nous examinons les inégalités entre les sexes dans le cadre de trois décisions des ménages sur l’éducation : premièrement, la scolarisation ; deuxièmement, les dépenses liées à l’éducation et à la scolarisation ; et troisièmement, la part des dépenses éducatives sur la composante centrale – qui comprend des éléments qui affectent directement la qualité de l’éducation (notamment les cours de soutien).
Nous constatons un biais clairement féminin en faveur de la décision de scolarisation. D’autre part, les décisions sur les dépenses éducatives et celle reliées à la composante centrale – subordonné à l’inscription – sont largement plus avantageuses pour les garçons.
Par exemple, les filles étaient de 12 points de pourcentage plus susceptibles d’être inscrites dans le cycle secondaire que les garçons en 2010. Néanmoins, à condition d’être inscrites, les dépenses éducatives et les dépenses sur la composante centrale pour les filles en 2010 étaient inférieures à celles des garçons, de 8 % et 12 % respectivement.
Des enquêtes approfondies montrent que le désavantage des filles dans les dépenses conditionnelles provient essentiellement des dépenses des ménages sur les frais de scolarité et les cours de soutien – des éléments importants pour une éducation de qualité.
Par conséquent, les filles sont beaucoup moins susceptibles que les garçons d’achever leur éducation secondaire à temps, si elles ont achevé le cycle primaire. Ainsi, même si les programmes TCF, notamment les FSP peuvent efficacement permettre d’accroître la scolarisation des filles, et aider à réduire les inégalités entre les sexes concernant la quantité de l’éducation, ils pourraient être inefficaces pour réduire l’écart dans la qualité, les montants et le type de ressources éducatives accordées aux enfants.
Cette conclusion est applicable non seulement au Bangladesh, mais également potentiellement à nombre de pays en développement qui s’attachent à réaliser la parité hommes-femmes dans l’éducation, en particulier ceux de l’Asie du Sud. Des politiques complémentaires – notamment les programmes d’amélioration de la qualité de l’éducation et les coupons de gratuité pour des cours supplémentaire ou de rattrapage – pourraient être nécessaires pour réduire les inégalités entre les sexes en ce qui concerne la qualité de l’éducation, offrant ainsi des chances égales de réussite aux filles.