Droits fondamentaux et égalité

Remodeler les économies grâce aux ouvrières et aux entreprises dirigées par des femmes

8 min

by

Gillian Dowie

Alors que le monde se relève de la pandémie, l’égalité des sexes et le rôle des femmes dans l’économie figurent parmi les priorités des décideurs politiques, des entreprises et de la société civile. Cet article décrit l’impact positif considérable des initiatives visant à étendre les réseaux d’entreprises dirigées par des femmes et à soutenir les collectifs de travailleurs informels. L’amélioration de la situation et de la visibilité des femmes dans l’économie accroîtra leur résilience – et ce sera peut-être un petit pas en avant pour changer la façon dont la génération suivante conçoit les normes qui dictent le rôle des femmes.

Depuis la mise en application des premières mesures visant à endiguer le Covid-19 en mars 2020, la nécessité de construire des sociétés plus résilientes et plus inclusives s’est imposée comme une évidence. La pandémie nous a rappelé combien les inégalités peuvent se creuser en période de crise, faisant peser sur les femmes et les filles la charge démesurée des conséquences sociales et économiques.

Mais il peut aussi s’agir d’un moment décisif, comme en témoignent les appels à reconstruire les économies en plaçant l’égalité des sexes au cœur des débats. Les engagements pris dans le cadre du Forum Génération Égalité témoignent de ce potentiel. Le leadership et l’action collective des femmes sont à l’origine de changements dans le monde entier, que ce soit par le biais d’initiatives visant à faire progresser l’éducation des filles, à améliorer l’accès à la santé maternelle et infantile ou à attirer l’attention du monde entier sur le phénomène généralisé de la violence et du harcèlement sexuels.

Les capacités créatives des femmes se manifestent également dans le monde du travail, malgré la responsabilité disproportionnée qu’elles assument dans les tâches non rémunérées et le soin, les inégalités de revenus dont elles sont victimes, leur faible représentation parmi les propriétaires et les dirigeants d’entreprise et leur surreprésentation dans les emplois précaires de faible qualité.

Pour parvenir au type de changement susceptible de remodeler nos économies dans une perspective d’inclusion et de résilience, des mesures doivent être prises par les entreprises ainsi que par les institutions publiques et la société civile. La recherche sur le travail des femmes dans les chaînes de production et d’approvisionnement mondiales peut mettre en lumière des pistes pour favoriser leur leadership dans la consolidation de la résilience et de l’inclusion.

Développer les réseaux d’entreprises dirigées par des femmes

Rien qu’en Asie du Sud-Est, les femmes ne possèdent pas moins de neuf millions d’entreprises. Comment peut-on tirer parti de ces entreprises pour transformer les économies dans lesquelles elles opèrent ?

La première chose à faire est d’aider les femmes chefs d’entreprise à améliorer leurs réseaux et leur accès à toute une série de services d’aide aux entreprise essentiels, notamment en matière de connaissances et d’études de marché, de pratiques et de compétences de gestion et de financement, actuellement très limités pour leurs petites et moyennes entreprises (PME).

Il est prouvé qu’une combinaison de compétences en marketing virtuels et dans l’utilisation des réseaux sociaux a permis d’améliorer la résilience des entreprises rurales dirigées par des femmes en Iran, tandis qu’au Bangladesh, la formation commerciale a un impact positif sur la croissance (bien que cela ne soit pas toujours le cas – d’autres recherches ayant montré que le soutien financier avait un impact plus important pour les femmes, ou bien encore une combinaison des deux). 

S’appuyant sur ces données, le Mekong Institute a mis en place un programme de formation sur la valorisation de l’esprit d’entreprise des femmes dans le domaine de l’exportation. La formation comportait des modules d’aide à la recherche de prestataires de services de développement commercial, des opportunités d’apprentissage par les pairs et de mise en réseau, ainsi qu’un encadrement spécifique. Les entrepreneuses participantes ont fait état après coup d’une meilleure connaissance de leur environnement commercial et des services d’aide à leur disposition, d’une plus grande efficacité dans leurs opérations et d’une croissance significative de leurs ventes à l’exportation.

En outre, six prestataires de services de développement des entreprises ont participé au projet pour apprendre à mieux soutenir les femmes entrepreneurs, permettant d’améliorer la prise en compte de la dimension de genre dans tout le système. L’ensemble de ces mesures a eu pour effet d’accroître les possibilités – ou la sensibilisation aux possibilités – pour les femmes entrepreneurs d’obtenir de l’aide pour développer leurs entreprises.

Un autre projet mené par le Bureau de la facilitation des échanges du Canada, s’appuyant sur les mêmes données concernant les entreprises dirigées par des femmes, a obtenu des résultats similaires. Afin de combler les lacunes en matière d’information et d’accroître les compétences en matière de réseautage, un programme de formation et d’accompagnement a amené des dizaines de PME des pays d’Asie du Sud-Est au Canada en 2019. Pendant le voyage, les femmes entrepreneurs ont pleinement profité de la formation, des informations sur le marché canadien et de la rencontre avec des acheteurs canadiens.

En conséquence, certaines participantes ont signalé une augmentation immédiate de leurs ventes, et d’autres ont fait état d’une amélioration de leurs compétences en matière de communication et de leur confiance dans la concrétisation de certaines ventes au cours de l’année suivante. Cela renforce une fois de plus les conclusions de la recherche sur le pouvoir des connaissances et des réseaux pour les femmes entrepreneurs si elles sont soutenues et ont accès à des marchés plus grands et plus diversifiés, si souvent hors de portée des PME.

Les preuves montrent clairement que la formation et le soutien aux femmes entrepreneurs peuvent constituer des moyens évolutifs pour les entreprises et les décideurs politiques de faire en sorte que les entreprises dirigées par des femmes soient mieux représentées dans les chaînes de production.

Soutenir les collectifs de travailleurs informels

Au-delà des entrepreneurs, les travailleurs et travailleuses informels à domicile jouent également un rôle essentiel dans la production mondiale, bien que discret tout au long de la chaîne. Ils et elles effectuent des tâches telles que la coupe et la couture des vêtements, l’assemblage de base de marchandises et la broderie. Ce sont souvent des travailleurs et travailleuses qui produisent des biens depuis leur domicile et qui gagnent un salaire pièce peu élevé pour leur travail, sans contrat écrit ni accès à la sécurité sociale.

HomeNet South Asia et Femmes dans l’Emploi Informel : Globalisation et Organisation (WIEGO) estiment que le Bangladesh, l’Inde, le Népal et le Pakistan comptent à eux seuls au moins 41 millions de travailleurs informels à domicile, hors du secteur agricole. 

Pour pouvoir améliorer leurs conditions de travail, les travailleurs informels auraient besoin d’une meilleure représentation collective dans les chaînes de production mondiales. De nombreux éléments montrent que, comme dans le secteur formel, l’organisation des travailleurs a permis d’améliorer la situation des travailleurs à domicile. Des modèles commerciaux innovants et la collectivisation peuvent aider à valoriser leurs contributions et accroître leur pouvoir de négociation.

Dans une étude portant sur des femmes appartenant à des collectifs s’engageant sur les marchés du commerce équitable, les participantes ont indiqué des revenus plus élevés, un meilleur accès au marché, des opportunités d’acquérir de nouvelles compétences, la possibilité de diversifier les produits et de s’approvisionner en matériaux plus nombreux et de meilleure qualité, ainsi qu’un meilleur accès au financement grâce à des systèmes d’épargne. Dans les chaînes d’approvisionnement mondiales, les collectifs et les réseaux ont permis aux travailleurs et travailleuses à domicile d’entrer en contact avec des agences internationales et de développement pour défendre leurs droits auprès des entreprises privées mondiales et des gouvernements.

Les recherches menées par HomeNet South Asia en Inde et au Népal montrent que les entreprises sociales, en particulier, jouent un rôle fondamental en tant que lien entre les collectifs de productrices et le reste de la chaîne de production. Les entreprises sociales emploient des approches innovantes pour répondre aux préoccupations liées aux conditions de travail, en adhérant notamment aux systèmes de certification du commerce équitable et en créant des centres de travail communautaires où les femmes peuvent travailler en dehors de leur domicile.

Cela permet aux entreprises sociales de suivre des codes de conduite et de donner aux femmes un espace pour travailler avec d’autres. Elles créent également des modèles où les formateurs ou les chefs de groupe sont à la disposition des groupes de travailleurs dans leur communauté ou pour apporter un soutien ponctuel dans les centres de travail, ce qui leur permet d’avoir un meilleur contrôle de la qualité et de renforcer les capacités des travailleurs.

Rejoindre un collectif de travailleuses à domicile peut aussi être fondamentalement « autonomisant ». De nombreuses femmes interrogées dans le cadre de l’étude HomeNet déclarent que le fait de travailler dans un collectif renforce leur sentiment d’identité en tant que travailleuses. Elles obtiennent un meilleur pouvoir de négociation grâce à la représentativité du groupe, qui leur donne confiance, et déclarent avoir des revenus plus réguliers tout au long de l’année que les travailleurs non syndiqués.

Lors des premiers confinements en 2020, les collectifs se sont rapidement mobilisés pour répondre aux besoins de leurs membres en leur fournissant de la nourriture et de l’argent. Beaucoup ont commencé à produire des masques et d’autres équipements en rupture de stock, renforçant ainsi la résilience de leurs membres.

Améliorer la visibilité des femmes dans l’économie

Alors que nous nous remettons de la pandémie, nous devons repenser la manière dont les activités économiques sont liées aux personnes qui les exercent. Les travailleurs et leurs communautés doivent être résilients en temps de crise, ce que rendent possible un travail décent et des systèmes de soutien plus réactifs.

Le fait de rendre visibles les contributions des femmes ou de faire en sorte que les femmes soient le visage public des entreprises peut constituer un petit pas en avant pour changer la compréhension qu’a la génération suivante des normes qui dictent le rôle des femmes.

Les leçons tirées de cette recherche – et de l’histoire des mouvements féministes – peuvent être mises à l’échelle et façonner de nouveaux systèmes de gouvernance, de communication et de soutien sur les marchés du travail qui non seulement nous permettront de nous relever plus forts de la pandémie, mais aussi de nous remettre sur la voie de l’égalité des sexes.

 

Gillian Dowie
senior program officer, IDRC