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Rendre la recherche plus utile aux politiques et à la société : l’exemple du Ghana
Science, finance et innovation

Rendre la recherche plus utile aux politiques et à la société : l’exemple du Ghana

9 min

by

George Amoah

Comment rendre la recherche plus utile ? Dans le dernier article d’une série traitant de la recherche et des politiques, Globaldev s’entretient avec un fonctionnaire africain impliqué dans l’élaboration des politiques au sujet de l’utilisation de données probantes dans son travail, ainsi que de quelques questions plus générales.

Globaldev : Quel rôle devrait jouer la recherche dans l’élaboration des politiques publiques ?

George Amoah : La recherche, les données et les statistiques sont la pierre angulaire de toute politique et/ou de tout programme de surveillance bien pensé et réussi. Elles servent de base pour déterminer les causes profondes des problèmes qui doivent être résolus au moyen de politiques, tout en aidant à mettre au jour les options possibles pour y remédier. Ainsi, je crois qu’il faut encourager l’utilisation de recherches crédibles, impartiales et de grande qualité.

Globaldev : À ce propos, quelle est votre expérience au Ghana ?

George Amoah : Pour assurer le suivi efficace du rendement des agences et des départements qui dépendent du ministère de l’Emploi et des Relations de travail (MELR), la Direction de la recherche, des statistiques et de la gestion de l’information a rassemblé leurs données administratives au fil des ans. Elle établit ensuite des rapports annuels pour que les responsables du suivi et de l’évaluation disposent d’une base pour mesurer et suivre leurs performances.

C’est un processus efficace parce que les résultats correspondent aux attentes des décideurs politiques, et que les rapports sont également accessibles et applicables par les non spécialistes.

Lors de la détermination du salaire minimum national par la commission tripartite (NTC) du MELR, une recherche a été commandée (et entreprise par la sous-commission technique) pour étudier les conditions économiques et formuler des recommandations sur une augmentation en pourcentages équitable et adaptée, recommandations que doivent approuver les représentants des employeurs et des travailleurs à la NTC.

D’autres recherches ou évaluations ont été commandées mais n’ont pas été utilisées, et certaines études ont dû être refaites. Cela arrive généralement quand le travail effectué par les personnes mandatées n’est pas au niveau, pas intuitif pour les utilisateurs, ou quand certains événements nécessitent le recours à des types de preuves différents. Je me souviens que certaines évaluations des besoins qui avaient été commandées, n’ont fourni aucune information utile parce qu’elles n’étaient pas faites correctement. Elles n’ont donc pas été utilisées et il a fallu en commander de nouvelles.

Le processus est également efficace parce que ceux qui commandent les recherches sont impliqués du début à la fin. C’est d’autant plus important quand on envisage l’ensemble du processus d’élaboration des politiques au Ghana et le rôle que joue la recherche dans l’acceptation ou le rejet d’une politique donnée (voir la figure 1.)

Globaldev : Quelles recherches sont considérées comme des preuves ?

George Amoah : Dans l’élaboration des politiques, toutes les preuves sont pertinentes. Mais cette pertinence dépend de facteurs tels que le détail des informations apportées, les possibilités qu’elle a de déboucher sur des solutions durables au problème en question, la mesure dans laquelle elle est opportune, son acceptation par les parties prenantes (en particulier celles qui sont touchées par le problème), etc.

Ainsi, les preuves telles que les données, les statistiques, les recherches, les connaissances des citoyens ou les connaissances fondées sur la pratique sont toujours les bienvenues. Le seul type de preuves que nous ne prenons pas en compte sont celles qui sont trop académiques, trop jargonneuses et qui sont dépassées.

Globaldev : Comment les décideurs politiques se procurent-ils généralement les résultats de la recherche ?

George Amoah : Nous essayons principalement d’aller chercher la connaissance auprès de la source/de l’auteur, quand c’est possible, ou d’utiliser des réseaux informels. Sinon, nous cherchons surtout les informations sur Internet. C’est parfois difficile de recourir aux publications des revues académiques, en raison de leur nature très technique et parce qu’elles sont rédigées pour leur public cible principal. Il vaut mieux que la recherche universitaire soit comprise par les décideurs politiques, pour qu’ils puissent l’utiliser efficacement.

En raison de la nécessité de prendre des décisions rapides et d’apporter très vite des réponses aux problèmes publics, les décideurs politiques aiment généralement que les documents de recherche qu’ils consultent ne soient pas uniquement compréhensibles et intuitifs, mais qu’ils recommandent également des pistes d’actions possibles. Néanmoins, on s’attend à ce que la recherche soit factuelle, vérifiable et fondée sur des renseignements ou des données analytiques.

Globaldev : Les décideurs attachent-ils une valeur différente aux différents types de recherche ?

George Amoah : Cela vaut toujours la peine de rendre la recherche sur le développement disponible et accessible, que ce soit directement en ligne, ou par le biais d’intermédiaires. En somme, la recherche doit être pertinente pour le décideur au niveau de son contenu, de son contexte et de la population visée. Il est parfois difficile d’utiliser certaines recherches qui, même si elles sont de qualité et crédibles, ne traitent pas du bon problème.

Ainsi, les travaux de recherche utilisés comme preuves dans le processus d’élaboration des politiques doivent répondre clairement aux questions que se posent les décideurs. Il doit être possible de prouver que la recherche répond à votre besoin d’information et à la question posée, qu’elle est spécifique ou liée géographiquement aux preuves dont vous avez besoin, que même lorsque les données proviennent d’un autre contexte ou font référence à une population différente que celle que vous ciblez, les résultats liés à ce contexte ou à cette population restent applicables à votre situation, que la période couverte cadre avec le sujet, qu’elle traite le problème dans sa complexité et sa généralité et que les résultats et recommandations sont applicables à grande échelle.

Globaldev : Comment les chercheurs devraient-ils envisager le contexte plus large de l’élaboration des politiques publiques ?

 Gerge Amoah : Les politiques publiques ne sont pas élaborées en vase clos, elles font partie d’un monde dynamique et qui évolue continuellement. La démographie change constamment et nous devons donc comprendre les enjeux sociaux et culturels pour continuer à élaborer de bonnes politiques. Les attitudes, les valeurs, les croyances et les normes culturelles influent sur l’élaboration des politiques publiques.

Il faut aussi garder à l’esprit les facteurs économiques, liés aux budgets (particulièrement les contraintes), aux impôts, à l’inflation, au chômage, etc., parce qu’ils ont des répercussions énormes sur le succès ou l’échec d’une politique.

L’environnement politique, s’il n’est pas le facteur le plus important, est également crucial. Si les dirigeants ne sont pas convaincus par une politique, il peut être difficile d’avoir leur approbation et de la mettre en œuvre avec succès. Elle doit concorder avec la vision et le programme des autorités politiques, faute de quoi son adoption sera compromise.

Notons que par « autorités politiques », nous entendons la dynamique politique de ceux qui prennent les décisions. En règle générale, elles sont différentes du gouvernement, qui est un ensemble d’institutions qui élaborent les politiques.

Globaldev : Comment les chercheurs et les décideurs peuvent-ils travailler ensemble plus efficacement ?

George Amoah : On devrait encourager la recherche collaborative entre les chercheurs et les décideurs, parce que la plupart des entités responsables de l’élaboration des politiques disposent de branches de recherche qui sont censées mettre à disposition, à leur demande, des données probantes. De plus, il est utile de solliciter la contribution des décideurs lors de l’étape de conception de la recherche, particulièrement si son objectif est d’éclairer les politiques.

La formation réciproque devrait être encouragée, pour que les chercheurs puissent former les décideurs à comprendre les tenants et les aboutissants de la recherche, ainsi qu’à la façon dont elle est interprétée. D’autre part, les décideurs peuvent sensibiliser les chercheurs au processus d’élaboration des politiques afin qu’ils comprennent pourquoi leurs résultats sont parfois rejetés.

Il faut prouver que les données fonctionnent, et il est important de ne pas noyer les décideurs sous les preuves et les documents. Les compétences en communication et la façon de présenter les données sont capitales. La qualité de ce que l’on présente est aussi très importante, parce que c’est ce qui rend une preuve solide. Ainsi, on gagne le cœur et l’appui des hauts fonctionnaires, qui peuvent en inciter d’autres à faire de même.

Globaldev : Comment pouvons-nous encourager une culture de l’utilisation des données probantes pour contribuer au développement ?

George Amoah : La meilleure façon d’institutionnaliser une telle culture, outre le recours à des « champions » au sein d’une organisation, est de former continuellement le personnel à l’élaboration de politiques fondées sur des données probantes et aux domaines connexes.

Au Ghana, cela a été intégré dans les programmes d’études de la principale institution de formation des fonctionnaires : le Centre de formation de la fonction publique (CSTC). Ce dernier adopte deux approches :

  • D’abord, le cours d’élaboration de politiques fondées sur des données probantes (EIPM) est proposé en cours autonome.
  • Ensuite, des parties de l’EIPM ont été ajoutées au système de formation continue accélérée au service publique, organisé sous la forme d’un programme de perfectionnement à la fois pour les fonctionnaires directement impliqués dans l’élaboration des politiques et ceux qui ne le sont pas.

L’EIPM s’adresse principalement à ceux qui, d’une façon ou d’une autre, influencent ou sont susceptibles d’influencer le processus d’élaboration de politiques. Afin d’entretenir l’intérêt des décideurs pour ces cours, le CSTC s’efforce de rendre la formation pratique et intéressante pour tous.

Nous élaborons par exemple des cours sur l’accès et l’évaluation des données probantes, au sein d’une formation plus complète sur l’élaboration de politiques fondées sur des données probantes afin de donner aux participants des compétences de base sur l’accès, le filtrage et l’évaluation des preuves avant leur utilisation ou leur communication.

Notons aussi que le leadership et la gestion sont importants pour la réussite de l’institutionnalisation de l’utilisation des données probantes, parce que ce sont les cadres supérieurs et les dirigeants qui décident, en dernier ressort, si les données probantes seront utilisées ou non dans le processus de décision, et sous quelle forme. Ils apportent leur soutien pour ce qui relève de l’utilisation des données probantes, de l’affectation des ressources, du suivi des résultats, de l’encadrement, du tutorat et de l’orientation, de la formation, de l’encouragement et de la communication des données probantes.

Figure 1 : Le processus d’élaboration des politiques au Ghana

NB:

  • La politique pourrait être rejetée si la recherche est limitée ou non pertinente, si les parties prenantes ne sont pas consultées comme il se doit ou si la note du Cabinet qui a été soumise ne répond pas au standard requis.
  • Le diagramme ci-dessus est la vision de l’auteur du processus d’élaboration des politiques au Ghana. La flèche rouge indique les raisons du rejet d’une politique par le Cabinet ou même par le Parlement. Remarquez que la recherche est aussi un motif d’acceptation ou de rejet d’une politique soumise au Cabinet.

 

George Amoah est directeur adjoint au ministère de l’Emploi et des Relations de travail du Ghana et formateur auxiliaire au Centre de formation de la fonction publique (CSTC).

 

 

Cet article a été publié dans le cadre de notre débat sur l’utilisation de la recherche, organisé en partenariat avec GDN et Results for All. Abeba Tadese, directrice exécutive de Results for All, a rejoint notre équipe éditoriale pour cette série d’articles.

George Amoah
Deputy Director at the Ministry of Employment and Labour Relations, Ghana