Les collaborations Nord-Sud de « recherche pour le développement » – souvent financées par des institutions des pays du Nord – demeurent un modèle courant pour réaliser des recherches portant sur les pays du Sud. Bien que ces partenariats favorisent l’atteinte des objectifs scientifiques, ils risquent également de renforcer les dynamiques d’exploitation ou néocoloniales.
Depuis longtemps, les organismes de financement des pays du Nord soutiennent les partenariats de recherche entre les institutions du Nord et du Sud afin de relever les défis en matière de développement spécifiques au partenaire du Sud, tels que la réduction du fardeau des maladies infectieuses ou l’amélioration des rendements des cultures de base. En revanche, le scénario inverse – des partenariats de recherche Sud-Nord conçus pour s’attaquer aux problèmes de développement spécifiques au partenaire du Nord – est beaucoup moins courant.
Cette asymétrie met en évidence d’importantes disparités en matière de financement, de capacité de recherche et d’opportunités dans le paysage mondial de la recherche. En conséquence de quoi, de nombreux systèmes de recherche nationaux dans les pays du Sud restent au moins partiellement dépendants du soutien financier et de la collaboration des institutions du Nord. Le « système de recherche national » fait référence au réseau interconnecté d’individus, d’institutions et d’organisations au sein d’un pays qui se consacrent à la production et à l’application des connaissances scientifiques – généralement axées sur les priorités et les défis nationaux – et qui englobent les structures de gouvernance et les mécanismes de financement.
Le renforcement des systèmes nationaux de recherche des pays du Sud devrait constituer une priorité essentielle de l’agenda de la recherche pour le développement. Cela favoriserait une plus grande autonomie des institutions du Sud et contribuerait à garantir que les futures collaborations Nord-Sud soient plus équitables et mutuellement bénéfiques.
Privilégier les systèmes de recherche relatifs au développement
La dépendance partielle de nombreux systèmes de recherche nationaux du Sud à l’égard des financements et des partenariats du Nord constitue un défi de développement à part entière. Pourtant, seule une petite partie du financement de la « recherche pour le développement » provenant du Nord – et des collaborations Nord-Sud qu’il permet – est consacrée au renforcement de ces systèmes nationaux.
Cette négligence crée un cycle d’auto-perpétuation : la capacité de recherche limitée dans le Sud entraîne la nécessité de partenariats avec le Nord, mais lorsque ces partenariats se concentrent étroitement sur la production de recherches dans des domaines thématiques spécifiques sans s’attaquer aux faiblesses systémiques, la dépendance sous-jacente demeure. Briser ce cycle nécessite un changement délibéré vers le renforcement des systèmes de recherche dans les pays du Sud en tant qu’objectif central des efforts de « recherche pour le développement ».
Cela ne signifie pas que les collaborations Nord-Sud en matière de « recherche pour le développement » devraient se concentrer exclusivement sur le renforcement des systèmes de recherche nationaux. Il s’agit plutôt d’une question d’équilibre. Les partenariats de recherche internationaux continuent de jouer un rôle essentiel pour relever un large éventail de défis de développement dans les pays du Sud. Cependant, des investissements plus importants et plus directs dans le renforcement des systèmes de recherche nationaux accorderaient aux pays du Sud une plus grande autonomie, leur permettant de définir leurs propres priorités de recherche et de choisir, selon leurs propres termes, s’il faut s’associer et avec qui s’associer parmi les pays du Nord.
Reconnaissant ce dilemme, les bailleurs de fonds de la recherche pour le développement dans le Nord attendent de plus en plus des collaborations Nord-Sud dans lesquelles ils investissent qu’elles produisent à la fois des résultats scientifiques et des résultats en matière de renforcement des capacités de recherche. Par exemple, un partenariat financé visant à mener des recherches scientifiques en soutien à un programme national de lutte contre une maladie devrait désormais également montrer l’apport de ses activités en matière de renforcement des capacités de recherche du partenaire du Sud, en plus de ses contributions scientifiques.
Repenser le modèle de recherche pour le développement
Bien qu’il existe de nombreux exemples de collaborations Nord-Sud en matière de « recherche pour le développement » ayant permis d’obtenir des résultats scientifiques et de renforcement des capacités, ce modèle demeure problématique pour plusieurs raisons. Premièrement, dans la plupart des partenariats, le renforcement des capacités est relégué au second plan, ce qui se traduit souvent par une portée et une ambition limitées. Cela s’explique en partie par le fait que ces collaborations sont généralement menées par des experts du domaine scientifique plutôt que de celui du développement des capacités institutionnelles.
Deuxièmement, de nouvelles données suggèrent que ces partenariats sont généralement plus efficaces pour renforcer les capacités des chercheurs individuels dans les pays du Sud que pour renforcer les institutions et les systèmes de recherche plus larges dans lesquels ils opèrent. En outre, les avantages de ce renforcement des capacités individuelles peuvent être de courte durée si ces personnes ne restent pas dans des rôles où elles peuvent appliquer et partager leurs compétences nouvellement acquises.
Enfin – et c’est peut-être le plus important – il existe une histoire bien documentée des pratiques d’exploitation dans les collaborations de recherche Nord-Sud. Ces partenariats sont souvent critiqués comme des vecteurs de néocolonialisme, promouvant les paradigmes scientifiques du Nord dans les pays du Sud au détriment des systèmes de connaissances locaux. Si ces préoccupations ont à juste titre attiré l’attention sur les questions d’équité au sein de ces collaborations, c’est en investissant durablement dans le renforcement des systèmes que l’on parviendra le plus efficacement à une véritable équité. C’est ce qui permet aux chercheurs et aux institutions du Sud de s’engager avec les partenaires du Nord sur un pied d’égalité.
L’absence de données probantes de haute qualité permettant de guider des stratégies de renforcement efficaces dans les pays du Sud vient s’ajouter à ces défis et révèle à quel point le renforcement des systèmes de recherche nationaux a rarement été au centre des efforts de recherche pour le développement. Ce manque souligne la nécessité pour les investisseurs de la recherche du Nord de reconsidérer non seulement la façon dont les fonds destinés à la recherche pour le développement sont alloués, mais aussi d’investir dans la recherche scientifique qui vise spécifiquement à comprendre comment construire des systèmes de recherche nationaux plus solides.
Pour paraphraser un dicton bien connu sur la pêche et l’alimentation : financez une collaboration de recherche Nord-Sud, et vous soutiendrez la recherche axée sur le Sud pour la durée d’un seul projet ; investissez dans le renforcement des systèmes de recherche du Sud, et vous permettrez à la recherche dirigée par le Sud de se développer à long terme.
Cet article fait partie d’une série organisée avec le UK Collaborative on Development Research (UKCDR) sur l’impact des approches de financement sur la recherche. Exceptionnellement, nous acceptons des contributions de chercheurs/euses mais aussi de bailleurs/euses de fonds pour cette série.