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Transformation de la production : créer des entreprises plus compétitives, secteur par secteur
Économie, emplois et entreprises

Transformation de la production : créer des entreprises plus compétitives, secteur par secteur

6 min

by

Stephy Cajero

La conception et la coordination de politiques visant à promouvoir une économie plus productive posent des défis à tous les gouvernements. Mais ce qui est encore plus compliqué dans les pays en développement est l’application de ces politiques, surtout en opposition avec les pratiques de corruption. Cet article présente les mesures politiques clés nécessaires pour bâtir des entreprises plus compétitives dans différents secteurs économiques, et conclut que les stratégies de lutte contre la corruption jouent un rôle crucial dans la réponse à la question fondamentale de la concrétisation d’une « transformation de la production ».

Après plusieurs décennies passées au bas des agendas politiques nationaux et mondiaux, l’objectif consistant à créer des entreprises plus compétitives et plus productives dans différents secteurs économiques — la « transformation de la production » — est de nouveau en vogue. Les gouvernements de pays en développement, particulièrement sur le continent africain, revendiquent une nouvelle vague de politiques industrielles visant à augmenter la productivité en agriculture, à développer de nouveaux secteurs manufacturiers et à réaliser des gains sur les marchés mondiaux.

En s’écartant, en 2015, du récit centré sur la pauvreté, les Objectifs de développement durable (ODD) ont reconnu l’importance de créer des emplois décents et de stimuler l’innovation, la transformation industrielle et les investissements en infrastructure. Comme ma collègue Ha-Joon Chang et moi le soulignons, la réalisation de ces objectifs n’est pas uniquement un moyen de parvenir à une fin, comme par exemple, un revenu par habitant plus élevé. Les ODD font partie intégrante et caractérisent une société inclusive et productive, capable de faire face aux défis de la durabilité sociale, économique et environnementale.

En effet, une économie ayant un haut revenu par habitant uniquement à cause d’une abondance de ressources est structurellement différente d’une économie productive et diversifiée au sein de laquelle les individus sont impliqués dans la création et la répartition de valeur par le biais de bons emplois.

Malgré le consensus qui émerge autour de l’importance de la transformation de la production et d’un certain optimisme quant aux opportunités créées par l’essor du commerce Sud-Sud et des chaînes de valeur mondiales, les pays en développement font face à des défis de taille. Ceux-ci deviennent particulièrement évidents quand la discussion passe des objectifs politiques généraux à l’analyse de la manière d’atteindre ces objectifs politiques dans des contextes défavorables spécifiques.

Cette dernière question constitue un casse-tête à trois pièces : elle implique de combiner la conception d’une politique, la coordination et l’harmonisation des ensembles de politiques, et essentiellement , l’application de cette politique.

La première pièce du casse-tête concerne la manière de concevoir une politique qui peut résoudre le problème ciblé d’une manière efficace. Dans des contextes distincts, les diverses institutions conçoivent des politiques de manières différentes.

Par exemple, si l’objectif est d’améliorer les compétences liées aux emplois productifs chez les jeunes, la politique pourrait inclure des systèmes de formation professionnelle, ainsi que des mécanismes de diffusion comme la formation en milieu de travail, les programmes d’apprentis et les stages. Pour rendre les choses encore plus compliquées, chaque secteur de production exige des habiletés différentes, donc la formation doit être en adéquation avec les compétences requises.

La production d’énergie, que de nombreux pays en développement trouvent complexe, en est un autre exemple. Dans ce cas, la conception de la politique doit prendre en considération les différents besoins en électricité et les diverses solutions institutionnelles et politiques nécessaires pour y répondre. Si les panneaux solaires hors réseau peuvent constituer une solution politique efficace aux besoins des ménages, ils pourraient être insuffisants pour combler les besoins énergétiques liés à la production ; une cimenterie exigera par exemple des sources d’électricité plus traditionnelles. Chacune des solutions aux différents besoins devra également être financée.

La transformation de la production consiste à gérer les interdépendances, et c’est pourquoi les politiques ne sont efficaces que si elles sont harmonisées avec d’autres instruments — la deuxième pièce du casse-tête (au sujet de laquelle j’ai développé une matrice de politiques afin d’aider à maîtriser la question).

La mise en œuvre de politiques de développement des compétences doit par exemple aller de pair avec la promotion de l’évolution des entreprises, l’augmentation de la productivité dans les ateliers de production et l’intégration de la technologie. Sinon, les employés qualifiés demeureront sans emploi ou travailleront dans des organisations non-productives pour de maigres salaires, avec des possibilités limitées d’apprentissage et de mobilité sociale.

La conception et la coordination des politiques sont complexes dans tous les pays. Ce qui est particulièrement difficile dans les pays en développement est l’application de ces politiques, surtout en opposition avec les pratiques de corruption — la troisième et dernière pièce de notre casse-tête.

Toutes les politiques supposent un risque de corruption : un certain incitatif monétaire donné aux entreprises pour développer des compétences, une subvention sur le prix de l’électricité afin de pallier aux risques d’investissement ou un permis pour extraire certaines ressources naturelles, par exemple. Tous ces avantages peuvent être confisqués par différentes organisations et détournés de leurs usages productifs. Comme tous les secteurs présentent différents degrés et types de vulnérabilité à la corruption, les stratégies de lutte contre la corruption ne seront efficaces que dans la mesure où elles interviennent secteur par secteur.

Les stratégies pour faire face à la corruption et la mise en application des politiques de transformation productive sont au cœur des travaux du Consortium de recherche sur les preuves anticorruption (ACE) de l’École des études orientales et africaines (SOAS) de l’Université de Londres. Le SOAS-ACE œuvre dans trois pays — le Bangladesh, le Nigeria et la Tanzanie — dans lesquels nous avons identifié différents secteurs où des interventions réalisables de lutte contre la corruption auront potentiellement un grand impact sur le développement. La Figure 1 présente par exemple les secteurs retenus en Tanzanie.

Les stratégies sectorielles de lutte contre la corruption que nous étudions mettent à profit différents principes de conception qui rendent les politiques plus applicables. En un mot, plus les organisations de secteurs spécifiques se voient offrir des moyens d’obtenir des résultats de développement qui vont dans le sens de leurs propres intérêts, plus les politiques deviendront applicables.

Plus particulièrement, cette approche reconnaît la nécessité d’aligner les incitations parmi les différentes organisations, (les entreprises et les prestataires de formation professionnelle, par exemple), celui de proposer des solutions différentes pour les différents types d’organisations (comme les petites et les grandes entreprises), mais aussi le besoin de créer des coalitions et de promouvoir de nouvelles façons de régler les différends relatifs aux droits, entre autres dans le domaine foncier. De cette manière, les stratégies de lutte contre la corruption peuvent jouer un rôle crucial dans la manière de répondre à la question fondamentale relative à la manière de concrétiser les politiques de transformation de la production dans les pays en développement.

Figure 1 : Le potentiel de promouvoir le développement en s’attaquant à la corruption

Stephy Cajero
Associate Editor