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Opinion : Prioriser les pratiques éthiques dans la recherche sur le développement

7 min

by

Amina Ebrahim, Kelly Brito Salas and Maria Jouste

Alors que le monde du développement repense la manière d’améliorer la vie des populations des pays à revenu faible et intermédiaire, les chercheurs et les financeurs de la recherche devraient en faire autant. Le caractère inégal des partenariats universitaires et la faible protection des données nuisent à la qualité de la recherche et au bien-être des communautés et des collaborateurs de la recherche.

Depuis trop longtemps, des chercheurs d’universités ou d’organisations renommées du Nord se rendent dans les pays du Sud pour y mener des recherches, en utilisant les ressources locales à des fins personnelles. Et souvent, les résultats de ces recherches ou les données recueillies ne sont même pas partagés avec la communauté universitaire locale, pour être cachés derrière le paywall d’une revue payante. 

L’utilisation par les universitaires d’informations personnelles sensibles, telles que les dossiers médicaux, sans mesures appropriées pour protéger ces données – ou les personnes derrière elles – constitue un autre problème préoccupant et croissant dans le domaine de la recherche sur le développement mondial.

Pour que la recherche profite réellement au développement des pays du Sud et soutienne la production de connaissances à l’échelle mondiale, ces pratiques doivent cesser. 

Exploiter les ressources locales sans contrepartie

L’un des problèmes les plus souvent négligés dans les partenariats universitaires entre les pays du Nord et du Sud est celui de l’exploitation des connaissances et des données régionales, souvent sans que les communautés de recherche locales n’en tirent le moindre bénéfice. 

Cette pratique, connue sous le nom de « recherche hélicoptère », entraîne la mise à l’écart des communautés et des chercheurs locaux, alors que leurs données sont extraites et utilisées au profit d’institutions étrangères. Pire encore, les chercheurs des pays du Nord exploitent parfois les environnements de recherche moins réglementés des pays à faible revenu pour se livrer à des pratiques contraires à l’éthique qu’ils ne pourraient pas mettre en œuvre dans leur pays d’origine.

Ces pratiques ne confèrent pas seulement un avantage injuste aux chercheurs des pays du Nord, mais compromettent également l’intégrité de leurs recherches et le bien-être des communautés et des partenaires impliqués. Elles sapent également la confiance dans les partenariats universitaires mondiaux, en laissant les communautés et les institutions locales hors de l’équation.

Dépasser la colonisation des données

La connaissance, c’est le pouvoir et, à ce titre, la demande de données concernant les pays à revenu faible et intermédiaire a considérablement augmenté, tant chez les chercheurs du Nord que chez ceux du Sud. Par exemple, les données administratives, telles que les dossiers fiscaux individuels et les informations personnelles sur la santé, sont de plus en plus prisées par la recherche. Ces données sont extrêmement prometteuses car elles permettent d’apporter des solutions fondées sur des données probantes aux problèmes de développement critiques des pays.

Cependant, et contrairement à ce qui se fait dans les pays à revenu élevé, de nombreux pays à faible revenu et environnements de recherche ne disposent pas de systèmes strictement contrôlés pour protéger l’accès aux informations sensibles. On a relevé plusieurs cas d’accès privilégié aux données accordé à des équipes de recherche alors que des structures appropriées de gestion et de protection des données n’étaient pas encore été mises en place.

La faiblesse des mesures de protection des données dans certains pays à faible revenu a conduit à l’accès non autorisé et à l’utilisation abusive d’informations personnelles sensibles, telles que les dossiers médicaux, les données d’inscription sur les listes électorales et les informations biométriques recueillies par les agences humanitaires. Au Kenya, par exemple, des données relatives aux électeurs auraient été utilisées sans consentement pour de la publicité politique ciblée, et en Afghanistan, les risques liés aux données biométriques ont été révélés lorsque des parties non autorisées y ont eu accès.

Ces incidents soulignent la nécessité urgente d’adopter des lois plus strictes en matière de protection des données afin de préserver la vie privée des individus et d’empêcher leur exploitation. En attendant, les chercheurs et leurs institutions, tant dans le Nord que dans le Sud, doivent faire de la sécurité et de la confidentialité des données qu’ils utilisent une priorité.

Le rôle essentiel des bailleurs de fonds dans la promotion d’une recherche éthique

Les financeurs de la recherche ont un rôle et une responsabilité considérables dans la promotion de pratiques de recherche éthiques et moyennant des mesures simples, ils peuvent s’assurer que les bénéfices de la recherche sont partagés équitablement.

Les organismes de financement, par exemple, jouent un rôle crucial dans la promotion de l’équité dans les partenariats universitaires. Pourtant, ils exacerbent souvent les inégalités globales par des déséquilibres structurels, des dynamiques de pouvoir et des problèmes de procédure. 

Les ressources sont parfois allouées de manière disproportionnée aux institutions du Nord, ce qui a pour effet d’écarter les partenaires du Sud et de perpétuer les cycles de dépendance. Les processus de candidature peuvent être excluants, avec des exigences complexes, des barrières linguistiques et des calendriers mal adaptés qui empêchent une participation équitable. En outre, les mécanismes de financement se concentrent souvent sur les résultats à court terme plutôt que sur le renforcement des capacités à long terme ou les mesures d’équité axées sur les processus.

Ce n’est pas une fatalité. Certains organismes de financement ont déjà pris des mesures proactives : le Newton Fund (Royaume-Uni), par exemple, met l’accent sur les partenariats équitables en finançant des recherches qui s’attaquent à des défis mondiaux, ce qui nécessite une collaboration entre les institutions britanniques et les partenaires du Sud, avec un leadership partagé dans la conception et la mise en œuvre des projets. Le Centre de recherches pour le développement international (CRDI, Canada), quant à lui, préconise des solutions locales en finançant directement des chercheurs du Sud et en privilégiant les projets qui répondent aux priorités régionales.

Il est temps de renforcer les principes éthiques

Quand les enjeux sont importants et les ressources limitées, il est d’autant plus important de s’engager en faveur de l’éthique de la recherche. Les chercheurs doivent aller au-delà de la simple extraction de données et explorer les possibilités de collaboration, comme le partage des rôles et des responsabilités avec leurs homologues locaux, la prise de décision inclusive et le partage des données. Dans de nombreux cas, les partenaires locaux ont une connaissance beaucoup plus fine des problèmes locaux, ce qui permet de réaliser des travaux de meilleure qualité et plus nuancés.

La solution consiste à favoriser une culture institutionnelle, de responsabilité et de leadership, dans laquelle les chercheurs des institutions locales peuvent collaborer de manière significative avec leurs homologues, partager des ressources et accéder à des opportunités d’apprentissage. Des efforts cohérents et homogènes de la part des chercheurs, des investisseurs, des institutions, des régulateurs et des décideurs politiques, au Nord comme au Sud, sont essentiels pour garantir que les systèmes et les incitations soutiennent les pratiques de recherche éthiques. 

Les pratiques de recherche devraient réellement impliquer les communautés locales en faisant appel à des chercheurs sur place dès le départ, en intégrant les institutions locales dans l’analyse et la diffusion des données et en rendant les résultats de la recherche accessibles aux décideurs politiques. Le renforcement des cadres juridiques pour la protection des données et la surveillance éthique est également essentiel, en particulier dans les pays à faibles revenus où ces structures sont souvent sous-développées.

Au-delà des lignes directrices

Des ressources sont déjà disponibles pour favoriser des collaborations de recherche équitables et éthiques. Les lignes directrices éthiques destinées aux chercheurs et aux organismes de financement sont particulièrement pertinentes pour les chercheurs du Nord qui travaillent dans et avec le Sud, où les défis sont nombreux et les ressources limitées. Dans ces situations, le respect mutuel, la transparence et le partage des bénéfices dans les partenariats de recherche mondiaux sont essentiels pour garantir que la recherche en Afrique est menée de manière responsable.

Mais les lignes directrices seules ne suffisent pas. Le rôle que jouent les institutions et les organismes de financement dans l’écosystème est essentiel pour améliorer les pratiques de recherche, en particulier dans les collaborations mondiales.Ce n’est qu’en nous obligeant à respecter les normes éthiques les plus strictes que nous pourrons démanteler l’héritage durable de l’exploitation dans la recherche mondiale, en veillant à ce que notre quête de connaissances serve véritablement les communautés au cœur desquelles elle se déroule et leur permette de s’émanciper

Amina Ebrahim
Chargé de recherche
Kelly Brito Salas
Planificatrice de projet
Maria Jouste
Chercheuse associée