Droits fondamentaux et égalité

Améliorer l’apprentissage grâce à la motivation des enseignants : l’exemple de la Tanzanie

6 min

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Isaac Mbiti, Youdi Schipper and Aidan Eyakuze

Gérer et motiver les enseignants est essentiel si l’on veut permettre aux jeunes enfants d’acquérir les compétences de base en lecture et en mathématiques. Cet article décrit l’impact du programme incitatif pour les enseignants KiuFunza, qui offre une petite prime de performance aux professeurs de premier cycle, afin de les motiver à accroître leurs efforts. En Tanzanie, des données expérimentales prouvent que plusieurs mesures ont entraîné une augmentation substantielle du taux d’apprentissage des élèves dont les professeurs bénéficiaient de ces incitations. C’est une version relativement bon marché et facile à communiquer du programme qui a été la plus efficace.

On s’accorde de plus en plus à dire que bien que les investissements traditionnels dans l’éducation – intrants scolaires et salaires des enseignants – soient indispensables au bon fonctionnement des écoles, ils ne permettent pas à eux seuls d’améliorer les taux d’apprentissage dans les zones à faible revenu. De nombreuses autres recherches ont montré que les enseignants peuvent faire une vraie différence en ce qui concerne l’apprentissage et le futur salaire de leurs élèves, tandis que leur efficacité co-détermine l’impact d’autres dépenses consacrées à l’éducation.

Ceci posé, deux déterminants majeurs de l’efficacité de l’enseignement suscitent des inquiétudes : les compétences des enseignants et leur motivation. Le premier levier est difficile à actionner : il est en effet difficile de prédire qui sera un bon enseignant avant de le recruter. En outre, une étude récente met en évidence un net écart entre les caractéristiques des programmes de développement professionnel des enseignants considérés comme efficaces et les réalités pratiques de la plupart de ces programmes.

Une question importante est donc de savoir s’il est possible d’améliorer la motivation et l’efficacité des enseignants actuellement en poste et qui représentent la ligne budgétaire la plus coûteuse des systèmes éducatifs – et ce sans formation supplémentaire. 

Notre travail se concentre sur la rémunération au rendement des enseignants, instrument de gouvernance de l’éducation qui lie la motivation et l’apprentissage en offrant une récompense financière aux enseignants en fonction de leurs performances ; généralement mesurés par la base de l’apprentissage de leurs élèves.

La rémunération au rendement vient compléter les investissements en intrants qui existent déjà –subventions scolaires, formation des enseignants, livres, etc. – par différents moyens tels que l’amélioration de l’établissement des objectifs et de leur suivi, ainsi que des récompenses après leur réalisation. Il a été démontré que ces systèmes de rémunération améliorent l’apprentissage des élèves, en particulier dans les zones à faible revenu, mais il reste d’importantes questions en ce qui concerne la conception de ces programmes. 

Il faut faire un choix entre de simples mesures incitatives fondées sur les niveaux de compétences et des modèles plus complexes qui récompensent la valeur ajoutée (c’est-à-dire la croissance du taux d’apprentissage). Nous avons étudié ce compromis au sein même d’un programme de rémunération au rendement des enseignants, appelé KiuFunza (abréviation de Kiu ya Kujifunza ou Soif d’apprendre), en Tanzanie. KiuFunza a été développé et est mis en œuvre par Twaweza East-Africa, une organisation de la société civile, en collaboration avec des partenaires de recherche gouvernementaux et internationaux. 

Les principales caractéristiques de la rémunération au rendement des enseignants de KiuFunza sont les suivantes :

  • Dans les écoles publiques (qui regroupent environ 97% des élèves du primaire en Tanzanie), les enseignants se voient offrir des récompenses en espèces, sous réserve de résultats d’apprentissage mesurés uniquement de manière indépendante.
  • Le programme ne s’adresse qu’aux enseignants de la première à la troisième année de scolarité, puisqu’il est considéré qu’ils sont responsables des compétences de base dont dépendra par la suite le cursus scolaire des élèves.
  • Les matières qui bénéficient de ces mesures sont le kiswahili et les mathématiques – l’anglais ayant été supprimé des programmes de première et deuxième année en 2015.
  • Les chefs d’établissement reçoivent une prime égale à 20 % de toutes les récompenses obtenues par les enseignants. Chacun des deux programmes a été instauré sous la forme d’une évaluation aléatoire dans un échantillon représentatif à l’échelle nationale.

Notre recherche examine l’efficacité de deux programmes d’incitation KiuFunza mis en œuvre en 2015-2016. La principale différence entre les deux modèles testés est la correspondance entre les résultats des tests et les gains des enseignants :

  • Rémunération au centile : un système de tournoi dans lequel les élèves sont placés dès le début dans des groupes de niveau communs à toutes les écoles participantes. Les gains des enseignants augmentent en fonction du classement de « leurs élèves » au sein de ces groupes. 
  • Rémunération par compétences : une nouvelle évaluation des compétences qui conduit à donner une prime aux enseignants pour chaque élément du programme d’études (par exemple, la lecture des mots et des phrases ou la capacité à faire des additions) que l’élève parvient à maîtriser.

De plus, ces modèles étaient assortis d’un budget de primes fixes, avec une récompense moyenne en espèces d’environ 3,5 % du salaire annuel des enseignants en 2016.  

Les évaluations d’impact montrent que les deux programmes ont amélioré l’apprentissage d’un niveau équivalent à 1/3 d’une année scolaire. Nous estimons en outre qu’ils ont tous deux fait augmenter le nombre d’élèves se présentant à l’examen, signe d’une plus grande confiance de la part de leurs enseignants. Nous ne constatons aucun effet, positif ou négatif, sur l’apprentissage dans les classes ou dans les matières qui ne bénéficient pas des mesures incitatives. 

La rémunération par compétences a eu un impact légèrement plus important que la rémunération au centile, en particulier pour ce qui est du kiswahili. La première a réduit de 24% le nombre d’élèves redoublants – décision qui revient au comité scolaire et qui n’a aucun rapport avec la prime – ce qui n’a pas été le cas de la rémunération au centile.

Nous avons des preuves que les enseignants étaient plus optimistes quant à leur prime quand ils bénéficiaient de la rémunération par compétences, et davantage axés sur leurs objectifs. Il est important de noter que cette rémunération est plus facile à mettre en œuvre, à gérer et à communiquer et qu’elle n’exige qu’un seul test (contre deux pour ce qui est de la rémunération au centile).

Nous constatons donc que la rémunération par compétences a un meilleur rapport coût-efficacité que la rémunération au centile, ainsi qu’un bon rapport coût-efficacité par rapport à d’autres interventions visant à améliorer le taux d’apprentissage.

Dans l’ensemble, nos observations montrent que le fait d’offrir aux enseignants une récompense de rendement simple, de modeste importance et liée à l’apprentissage peut améliorer leur rendement par rapport aux niveaux actuels de perfectionnement professionnel.

Sur la base des résultats d’impact de 2015-2016, le gouvernement tanzanien – par l’intermédiaire du ministère de l’Éducation, de la Science et de la Technologie, du Bureau du président, de l’Administration régionale et du Gouvernement local – a demandé à Twaweza d’élaborer et de tester un autre programme de rémunération au rendement qui puisse fonctionner à plus grande échelle. Ce nouveau programme qui a permis de réduire les coûts d’essais en permettant la collaboration du personnel gouvernemental avec les équipes de Twaweza a commencé en 2019. Les résultats de ses évaluations sont attendus pour 2021.

 

Isaac Mbiti
Assistant Professor of Public Policy and Economics, University of Virginia
Youdi Schipper
Research advisor, Twaweza East Africa
Aidan Eyakuze
Executive Director of Twaweza East Africa