Science, finance et innovation

De l’influence des blogs, de l’humour et des anecdotes sur la politique de développement

6 min

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John A. Akec

Comment rendre les résultats de la recherche plus accessibles à de larges pans de la société ? Cet article cite des exemples de grands vulgarisateurs scientifiques, et souligne le rôle potentiel de l’humour et des anecdotes. L’auteur s’appuie aussi sur sa propre expérience, au Soudan et au Soudan du Sud, en ce qui concerne ce qui est efficace, ou non, quand il s’agit de partager les résultats de la recherche.

Le plus souvent, il semble que les chercheurs prêchent des convertis – leurs pairs – quand bien même leurs découvertes pourraient servir de fondements aux politiques et avoir un impact positif sur leurs résultats. Or, si cela reste rare c’est que la plupart des articles révisés par des pairs sont publiés dans des journaux dont le lectorat vient majoritairement d’un même milieu, celui de la recherche.

Le savoir ne « circule » donc qu’entre ceux qui partagent les mêmes idées tandis que les consommateurs, ou plutôt les décideurs politiques, sont rarement impliqués. Cela s’avère presque toujours vrai dans le cas des recherches menées dans les universités et les centres ou instituts de recherches nationaux spécialisés.

Un aspect du problème est la difficulté pour les non spécialistes d’accéder aux publications de la recherche académique. La grande majorité des articles sont longs, parfois de plus de dizaines de pages, et débordent de jargon technique ou d’équations mathématiques de haut vol. Cela peut impressionner les confrères, mais aux dépends des décideurs politiques débordés.

Dans les universités et les organismes de recherche, lier l’incitation et la reconnaissance (par exemple, la promotion académique) aux publications révisées par les pairs peut renforcer le statu quo.  Cependant, il existe d’autres façons de diffuser le savoir scientifique à un lectorat plus étendu que celui des journaux spécialisés.

Les livres de vulgarisation scientifique, les articles d’opinion dans les quotidiens de premier plan ou les blogs spécialisés, dans lesquels l’humour et les anecdotes remplacent le pénible jargon technique,  peuvent permettre de toucher un public plus large, y compris des décideurs.

Par exemple, Stephen Hawking, mort en 2018, et professeur lucasien de physique à l’Université de Cambridge, a indiqué dans l’introduction de son célèbre ouvrage, Une brève histoire du temps, que la mention d’une seule équation mathématique dans un livre peu réduire de moitié le nombre de lecteurs potentiels. En étant compris par les non-experts, Hawking est parvenu à expliquer certaines des notions les plus compliquées du cosmos, en particulier les relations entre l’espace et le temps, comme le Big Bang, les trous noirs, la matière noire et les ondes gravitationnelles, entre autres.

Il espérait ainsi permettre à un large éventail de lecteurs « d’entrevoir l’esprit de Dieu ». En quittant sa tour d’ivoire, en utilisant des expressions terre-à-terre, il a dû persuader bon nombre de politiciens cyniques et autres dirigeants de multinationales d’augmenter le budget de la recherche fondamentale, tout en incitant les lecteurs plus jeunes à choisir des études scientifiques. Je soupçonne même que ses découvertes concernant la physique cosmologique ont eu un impact positif sur la production économique de nombreux pays, en y améliorant la compréhension de la science auprès d’un plus grand nombre de personnes.

De plus, dans les sciences sociales, nombreux sont les auteurs ayant adopté la même approche qu’Hawking en rendant les résultats de leurs recherches accessibles à de larges pans de la société. Paul Collier, par exemple, économiste du développement à l’Université d’Oxford, a popularisé dans son livre The Bottom Million (« Le dernier million ») le concept de « malédiction des ressources » : l’impact négatif des cours élevés des produits de base, tels que le pétrole et les diamants, sur les économies qui en dépendent. C’est le livre de chevet des activistes comme des décideurs politiques passionnés.

Autre exemple, celui de Daron Acemoglu, professeur d’économie au MIT, et de James Robinson de l’Université d’Harvard, dans leur ouvrage Why Nations Fail (« Pourquoi les nations échouent »). Le duo a souligné l’importance de la nature des institutions, principalement celles qui touchent à la gouvernance économique et politique et à l’état de droit, dans la réussite ou l’échec des pays à l’échelle mondiale.

Ces chercheurs devenus auteurs, et bien d’autres, ont, je crois, accompli leur mission. Pourtant la vulgarisation de la recherche par le biais des livres n’est pas l’unique solution. Il existe d’autres approches.

La première consiste à diffuser les résultats dans des articles d’opinions (ou « éditoriaux ») dans la presse écrite ou électronique. C’est un défi, surtout lorsqu’il faut se limiter à tout juste 800 mots. Je me souviens d’une douloureuse, mais nécessaire expérience, il y a six ans, où j’ai dû supprimer certains faits importants d’un article, co-écrit avec Kathelijne Schenkel de Pax for Peace, et publié dans le Sudan Tribune.

Cet article résumait nos recherches sur le partage des revenus pétroliers avec les communautés vivant dans les états producteurs du Soudan du Sud. Nous avons pu sensibiliser et soulever des questionnements chez les chercheurs intéressés par le secteur pétrolier dans la région, ainsi que par le rôle de la Chine dans son développement.

La deuxième, c’est le blogging. Depuis 13 bonnes années, j’écris sur un blog qui porte mon nom. Mes articles traitent toutes sortes de sujets, depuis le développement socio-économique, à la gouvernance, à l’éducation, à la société et à la culture, concernant principalement le Soudan et le Soudan du Sud.

Certains articles paraissent simultanément sur le blog et dans les journaux nationaux soudanais tels que The Citizen, Khartoum Monitor et Juba Monitor, ainsi que dans la presse électronique, entre autres : University World News, Sudan Tribune, Global Observatory, et SciDev.com. Finalement, à la demande d’un éditeur, une collection d’articles a été compilée et publiée en mars 2019, sous le titre South Sudan: The Path Not Taken (« Soudan du Sud : La voie oubliée »).

Si ce titre suggère que les opinions exprimées dans le livre n’ont jamais été vraiment entendues ni suivies de mesures, il apparaît aujourd’hui que, paradoxalement, beaucoup d’idées ont été reprises dans les débats politiques. Certaines mesures préconisées sont actuellement testées par le gouvernement du Soudan du Sud. Entre autres, en 2015, l’adoption d’un régime de changes flottants, en 2017, la création d’un Office national des recettes presque indépendant, et en 2018, la suppression des subventions sur les carburants. Il me semble aussi que cet ouvrage jouera encore longtemps un rôle important dans le développement du Soudan du Sud.

À partir de cette expérience personnelle, je voudrais encourager mes collègues chercheurs et universitaires de tous bords à se servir des blogs et des réseaux sociaux pour partager leurs expériences, intérêts et connaissances. Ils toucheront ainsi des auditoires nationaux comme internationaux : des décideurs, des profanes, des groupes d’intérêts spéciaux, et leurs pairs.

Le style devra être limpide, plein d’humour et d’anecdotes pour maintenir l’intérêt des lecteurs et les aider à comprendre des concepts parfois difficiles à saisir. Entre autres innombrables possibilités, les articles peuvent être partagés sur Facebook, sur des réseaux professionnels tels que LinkedIn, sur des listes de diffusion et sur Twitter.

 

John A. Akec
Vice chancellor of the University of Juba