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Financement de l’aide humanitaire : quel rôle pour les instruments de transfert de risque ?

7 min

by

Daniel Clarke and Liam Wren-Lewis

Les mesures actuelles visant à atténuer les risques découlant des catastrophes naturelles dans les pays en développement sont inadéquates. Les auteurs de cet article évaluent les solutions possibles à travers des instruments financiers de transfert de risque, comme les assurances. Ils concluent qu’il existe de nombreuses façons à travers lesquelles les instruments de transfert de risque pourraient aider les gouvernements à mieux fournir l’aide post-catastrophe. Cependant, il n’existe pas de remède miracle. Les donateurs et les gouvernements doivent réfléchir attentivement aux problèmes précis auxquels ils sont confrontés, et aux instruments de transfert de risque qui pourraient les aider.

Les catastrophes naturelles sont à l’origine d’importants dégâts à travers le monde, et les ménages, les entreprises et les collectivités locales risquent de subir d’immenses pertes. Par ailleurs, c’est dans les pays en développement que ces catastrophes causent la majorité des décès et des blessures graves.

Bien que plusieurs de ces catastrophes soient relativement prévisibles, les mesures en place visant à réduire leur impact demeurent globalement insuffisantes. Les pays à risque sont généralement mal protégés, et ils n’investissent pas suffisamment dans les mesures qui pourraient atténuer les pertes. Les gouvernements et les donateurs fournissent de l’aide, mais celle-ci est souvent insuffisante et distribuée de façon inefficace.

Dans ce contexte, une attention grandissante est accordée aux instruments de transfert de risque en tant que solution potentielle. Ces instruments – notamment la réassurance, les obligations pour risque de catastrophe, et les swaps concernant les catastrophes – remplacent ou complètent les secours ad hoc en cas de catastrophe en prenant la forme d’un produit d’assurance, le plus souvent fournie par le secteur privé.

Des critiques soutiennent que ces instruments sont onéreux et opaques, les investisseurs privés étant en mesure de tirer parti de la concurrence limitée et des clients relativement mal informés. En effet, hormis pour les catastrophes potentielles les plus importantes, privilégier l’épargne ou l’endettement pour financer les réponses à une catastrophe semble être plus rentable sur le long terme. Pourtant, malgré leurs coûts élevés, un grand nombre de pays continuent d’acheter ou de subventionner ces instruments avec le soutien des institutions internationales.

Dans des travaux de recherche récents, nous nous sommes demandés si les instruments de transfert de risque, notamment l’assurance, peuvent apporter de la valeur aux gouvernements au-delà de l’assouplissement budgétaire, et par là accroître l’aide que les individus reçoivent des gouvernements et des donateurs. Nous identifions plus particulièrement trois problèmes distincts pouvant survenir en raison du manque d’implication des agences humanitaires.

Le premier problème est que l’aide en cas de catastrophe peut être sujet à la question de l’« aléa moral » et du célèbre « dilemme du Samaritain. » Il s’agit plus particulièrement des personnes à risque qui négligent leur protection car elles savent que les gouvernements et les donateurs leur viendront en aide.

Le deuxième problème est que les agences humanitaires ne prennent pas les mesures nécessaires pour éviter la distribution inappropriée de l’aide en cas de catastrophe. De nombreuses personnes dans le besoin peuvent ne recevoir aucune aide, et les fonds sont parfois redirigés vers des personnes n’ayant subi aucune perte. Ce problème découle du fait que dans la procédure de distribution de l’aide, il est difficile de savoir avec précision les lieux où les pertes sont survenues et l’ampleur de ces pertes. Par conséquent, il existe un manque de confiance généralisé vis-à-vis des bénéficiaires qui demandent une indemnisation ou de l’agence responsable de l’acheminement des secours en cas de catastrophe. En raison de cette méfiance concernant la véracité des demandes d’indemnisation, les bienfaiteurs revoient leurs donations à la baisse.

Enfin, l’aide humanitaire arrive souvent trop tard. En plus des raisons pratiques pouvant justifier les retards, les organismes bienfaiteurs attendent parfois de voir ce que donnent les autres donateurs avant de distribuer eux-mêmes de l’aide. Cela pourrait s’expliquer par le souhait de se faire une idée plus précise sur le partage des charges entre les donateurs avant de procéder aux paiements.

Atténuation des problèmes d’implication par le transfert de risque

Dans les pays en proie à une mauvaise gouvernance, il n’est pas possible de résoudre les problèmes d’implication en améliorerant le fonctionnement et la crédibilité des différentes institutions humanitaires. Ainsi, investir dans un système de transfert de risque à des tiers pourrait être une solution plus efficace, et cela fait aujourd’hui partie des stratégies des pays concernant le financement des risques liés aux catastrophes. Notre étude examine quatre caractéristiques des programmes de transfert de risque à des tiers, chaque caractéristique ayant des implications diverses pour les problèmes liés à la participation.

Subvention de l’assurance des bénéficiaires

Les agences humanitaires pourraient souscrire des assurances pour les personnes à risque, ou obliger ces personnes à le faire. Elles pourraient aussi subventionner les assurances, en prenant en charge un montant fixe ou proportionnel du paiement de la prime. Le « dilemme du Samaritain » peut être atténué, surtout si seule une partie de la prime est subventionnée. Ainsi, il sera clair pour le bénéficiaire que l’aide de l’agence humanitaire ne sera reçue que si l’assurance a été souscrite. Par ailleurs, la prime fondée sur le risque indique les risques à couvrir et constitue une incitation appropriée concernant l’autoprotection.

La réduction du délai de décaissement pourrait également découler du fait que les agences humanitaires auraient plus de facilité à coordonner une subvention plutôt qu’un secours immédiat. Plus ecore, le délai de paiement et la part supportée par l’agence humanitaire sont clairement connus avant la catastrophe et indépendamment des autres donateurs.

Réassurance des agences humanitaires

Les agences humanitaires pourraient contacter les donateurs avant la catastrophe et souscrire elles-mêmes une assurance.

Le fait d’avoir accès à une assurance et à des fonds qui dépendent de la taille de la catastrophe peut aider à atténuer le « dilemme du Samaritain » en permettant aux agences humanitaires de réduire l’accès à d’autres types de financement. De cette façon, les agences humanitaires peuvent s’engager plus facilement à ne pas accorder plus de financements que prévus, tout en ayant des fonds disponibles pour des catastrophes de plus grande ampleur.

Les retards de décaissement sont plus faciles à gérer vu que les agences humanitaires peuvent coordonner la souscription conjointe d’une telle police d’assurance plus facilement que la coordination de l’aide post-catastrophe.

Déclencheurs de paiement communs

Les agences humanitaires peuvent veiller à ce que des déclencheurs de paiement communs soient prévus dans le cadre de leurs initiatives d’aide, en particulier celles des tiers et du secteur privé.

Étant donné que le secteur privé est plus disposé à ne pas effectuer des paiements inappropriés, la mauvaise répartition de l’aide est atténuée par la subvention de l’assurance des bénéficiaires et l’alignement des initiatives d’aide avec les mécanismes du secteur privé (c’est-à-dire la combinaison des déclencheurs de paiement).

Indices des catastrophes

Les agences humanitaires peuvent développer des « indices des pertes dues aux catastrophes » en recueillant et en publiant les statistiques concernant les pertes dues aux catastrophes (par exemple, les données satellitaires sur la vitesse du vent et des précipitations) afin de déclencher les paiements liés à l’aide.

Les indices liés aux catastrophes contrebalancent le « dilemme du Samaritain » s’ils sont suffisamment précis et si les agences humanitaires les utilisent au lieu d’essayer d’observer les véritables pertes. Ainsi, le comportement de l’agence humanitaire est indépendant de la décision liée à l’autoprotection.

Les indices liés aux catastrophes pourraient être moins vulnérables à la mauvaise répartition. Néanmoins, l’effet dépend également de la probabilité que l’indice soit rapporté correctement. S’il existe un risque élevé que l’indice soit erroné, l’aide pourrait être mal répartie et la question d’avoir un rapport exact de la situation réelle demeure.

Conclusion

Globalement, nous concluons qu’il existe plusieurs façons à travers lesquelles les instruments de transfert de risque pourraient aider les gouvernements à mieux fournir l’aide post-catastrophe. Cependant, il n’existe pas de solution magique. Les donateurs et les gouvernements doivent réfléchir attentivement aux problèmes précis auxquels ils sont confrontés, et à la forme d’instrument de transfert de risque pouvant les aider.

De plus, plusieurs avantages potentiels décrits dans cet article demeurent non vérifiés. Par conséquent, il existe un besoin important de recherches empiriques pour comprendre à quel moment les instruments de transfert de risque valent le coût.

 

Daniel Clarke
Senior Disaster Risk Financing and Insurance (DRFI) Specialist, World Bank Group
Liam Wren-Lewis
Assistant Professor at the Paris School of Economics / INRA.