Économie, emplois et entreprises

Gains à court terme mais pertes à long terme dans le développement agricole

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Jonathan Harwood

Depuis les années 1940, la révolution verte a permis de résoudre bien des problèmes d’approvisionnement alimentaire au niveau mondial. Mais en parallèle, elle a également engendré de graves problèmes sociaux et environnementaux – donnant naissance au mouvement en faveur de l’agriculture durable dans les années 1970. Voici pourquoi je pense que la politique de développement agricole moderne n’a pas encore tiré les leçons des erreurs du passé.

Lors de la conférence annuelle des économistes agricoles américains de 1970, un universitaire réputé, Walter Falcon, a présenté un exposé dans le cadre d’une table ronde intitulée « La révolution verte : Problèmes de deuxième génération » (« The Green Revolution : Second-generation problems« ). Ce rapport répondait à ce qu’il appelait le « flot récent de littérature » sur la révolution.

Débutant au milieu du 20e siècle, la révolution verte a permis une augmentation considérable de la production de céréales alimentaires (en particulier le blé et le riz) grâce à de nouvelles variétés à haut rendement. Mais cela ne s’est pas fait sans problème.

Dans sa présentation, M. Falcon dresse un constat objectif de ce qu’il considère être les succès et les échecs de la révolution. Son analyse est intéressante parce qu’elle n’est pas organisée comme un bilan, identifiant ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas mais plutôt comme une séquence temporelle de trois « générations » de la révolution.

La première génération, caractérisée par le développement de variétés de céréales à haut rendement, a été selon lui une réussite incontestable. En revanche, la deuxième génération a été marquée par des problèmes tels que les goulots d’étranglement au niveau des transports, les problèmes de commercialisation et l’insuffisance des subventions publiques. Bien que ces problèmes soient importants, selon Falcon, il s’agit néanmoins de questions que les économistes connaissent bien et qu’il est donc possible de résoudre.

En revanche, les problèmes de la troisième génération ont été peu étudiés par les économistes agricoles et risquent de s’avérer très épineux. Il s’agit notamment des problèmes de chômage, de l’inégalité croissante des revenus et de l’impact régional inégal de la technologie de la révolution.

Appelant à des changements de politique afin de répartir plus équitablement les bénéfices de la technologie et d’aider, en particulier, les petits agriculteurs, M. Falcon a reconnu que l’économie agricole n’avait pas grand-chose à offrir en termes de mesures efficaces.

La révolution verte, concluait-il, n’a apporté qu’une « solution technologique limitée » loin d’être une panacée pour les graves problèmes sociaux qu’elle a engendrés.

Une préoccupation pour les augmentations à court terme

Bien que Falcon n’ait pas expliqué exactement pourquoi les deuxième et troisième générations de problèmes sont apparues, il est révélateur qu’il ait conçu son propos comme une séquence temporelle, impliquant que les problèmes ultérieurs sont nés des problèmes antérieurs.

La deuxième génération de problèmes, a-t-il fait remarquer, est née d’une « préoccupation pour la production » au cours de la première phase de la révolution. Bien qu’il ne se soit pas étendu sur le sujet, d’autres participants à la conférence se sont montrés plus loquaces. Dans la discussion qui a suivi l’exposé, un commentateur a fait remarquer que ceux qui avaient sélectionné des variétés de riz à haut rendement « n’avaient guère réfléchi aux complexités de l’environnement physique et socio-économique… L’objectif de la recherche était largement perçu comme une augmentation des rendements du riz… par la méthode la plus expéditive. »

Les conseillers du programme agricole mexicain de la Fondation Rockefeller dans les années 1940 partageaient la même approche : l’objectif principal du programme devait être d’augmenter les disponibilités alimentaires « le plus rapidement possible ». Des années plus tard, interrogé sur les troubles politiques survenus en Inde à la suite de l’introduction de ses nouvelles variétés de blé, le sélectionneur Norman Borlaug a répondu : « Je ne m’inquiétais pas le moins du monde de l’équité à ce moment-là… Je voulais juste provoquer un choc [par de très fortes augmentations de rendement]. »

C’est là, en effet, la « préoccupation » à laquelle Falcon avait fait référence. En outre, comme Falcon avait admis que les économistes agricoles étaient déjà familiarisés avec les problèmes de la deuxième génération, leur décision de se concentrer étroitement sur l’augmentation des rendements était manifestement un choix conscient.

Mais qu’en est-il des problèmes de la troisième génération ? Falcon a affirmé qu’ils étaient entièrement nouveaux pour les économistes et, par conséquent, qu’ils n’avaient pas pu être anticipés. Un autre commentateur du panel a abondé dans ce sens, déclarant que « …nous ne sommes guère préparés, de par nos antécédents et notre formation, à entreprendre des recherches sur certaines des questions socio-économiques fondamentales des pays en développement ».

Mais tous les économistes n’étaient pas prêts à excuser la profession. Un an plus tôt, par exemple, Clifford Wharton avait affirmé que l’augmentation de la production « engendrerait automatiquement un tout nouvel ensemble [de problèmes marketing et politiques] ». Et, comme je l’ai montré ailleurs, un large éventail de problèmes de la troisième génération (y compris l’impact néfaste de l’agriculture à haut niveau d’intrants sur l’environnement) avait déjà été reconnu comme un sujet de préoccupation dès les années 1920 et 1930.

Il n’y a donc guère de raison de prétendre que les impacts sociaux et environnementaux de la révolution verte n’auraient pas pu être anticipés. Il semble, au contraire, qu’ils aient été ignorés.

Le coût du refus de prendre en compte les conséquences à long terme

Outre sa description directe des difficultés auxquelles les acteurs de la révolution verte étaient confrontés vers 1970, l’article de Falcon est intéressant pour ce qu’il révèle involontairement de la mentalité des promoteurs de la révolution : à savoir, leur choix de se concentrer sur un petit nombre de problèmes relativement solubles qui promettaient un succès à court terme, et de remettre à plus tard les graves problèmes sociaux et environnementaux – dont beaucoup étaient prévisibles.

Le coût de l’ignorance de ces conséquences à long terme devient toutefois de plus en plus évident. Récemment, le directeur de l’Agricultural Global Practice à la Banque mondiale a souligné que, bien que la valeur de la production alimentaire mondiale soit d’environ 8 000 milliards de dollars, les coûts de cette production (comme les problèmes de nutrition, les pertes et les déchets alimentaires, les émissions de gaz à effet de serre) s’élèvent à au moins 6 000 milliards (sans compter les pertes d’écosystèmes ni les subventions publiques aux agriculteurs). Selon lui, ces coûts n’en valent tout simplement pas la peine.

Les commentateurs de l’état de l’économie attirent souvent l’attention sur les conséquences néfastes du court-termisme dans le monde financier (par exemple, les dirigeants d’entreprise qui se préoccupent davantage de maintenir le cours de l’action que d’investir dans l’entreprise). Les observateurs de la scène politique critiquent également les perspectives à court terme des gouvernements, qui ne s’attaquent pas aux problèmes à long terme.

On aimerait penser que les responsables de la politique de développement agricole sont également préoccupés par cette question. Cependant, malgré les allusions régulières à la « durabilité » et à l’importance de répondre aux besoins des petits agriculteurs, les mentions récurrentes dans les discussions politiques à la « réduction des écarts de rendement » et les promesses de nouveaux « gains de productivité » suggèrent que le court-termisme reste bien vivant.

Jonathan Harwood
Professeur émérite, Université de Manchester