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Impliquer les parties neutres : comment présenter des preuves à caractère scientifique ?

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Jan Marco Muller

Les personnalités politiques qui ignorent la recherche scientifique ne sont pas toutes fondamentalement opposées à la science. Ceci étant dit, seule une petite minorité d’entre elles est titulaire d’un diplôme scientifique. Dans cet article, l’auteur explique pourquoi les scientifiques qui aspirent à influencer les politiques publiques doivent concentrer leurs efforts sur la grande majorité de personnalités politiques n’ayant pas pris parti vis-à-vis de la recherche scientifique. Pour cela, les chercheurs doivent sortir de leur zone de confort.

Au cours de ces dernières années, des gouvernements populistes sont parvenus au pouvoir dans plusieurs grandes démocraties occidentales. Pour la plupart, ils choisissent d’ignorer les preuves scientifiques et vont parfois jusqu’à tenter de les discréditer, et ce y compris lorsqu’il s’agit de données avancées par une agence gouvernementale du même pays. De plus, en facilitant la prolifération et l’amplification des campagnes de désinformation (fake news) et des « faits alternatifs » (aussi connus sous le nom de mensonges), les médias sociaux numériques aggravent cette conjoncture.

Bien entendu, les personnalités politiques sont libres d’ignorer les preuves scientifiques. Dans une démocratie, ils disposent de ce droit car ils rendent des comptes à leurs électeurs, et contrairement aux scientifiques, les personnalités politiques ont été élues. Cela ne leur donne pas pour autant le droit de ne s’appuyer que sur leurs propres croyances, ou de tenter de discréditer des faits qui ne correspondent pas à leur vision du monde.

Ceci étant dit, l’ensemble des hommes et femmes politiques qui ignorent la recherche scientifique ne sont pas fondamentalement des ennemis de la science. De fait, la recherche scientifique ne constitue qu’un seul des nombreux facteurs susceptibles d’influencer les décisions politiques. L’on peut également citer la religion, l’éthique, les valeurs, les considérations électorales, les partis politiques, les groupes de lobbying, ou encore les médias, pour en citer quelques-uns.

Même si les négateurs du changement climatique et les activistes anti-vaccins font les gros titres, ils sont en réalité largement minoritaires (ce qui ne les rend pas moins dangereux lorsqu’ils arrivent au pouvoir). Toute tentative de collaboration avec ce type de profil se révèle généralement être une perte de temps.

Le fait est que les personnalités politiques qui valorisent la recherche scientifique, qui défendent des preuves scientifiques, ou même qui sont titulaires d’un diplôme scientifique ne sont qu’une petite minorité. A tort, les scientifiques se focalisent souvent sur les personnalités politiques qui leur apportent leur aide, mais qui contribuent ainsi à créer une chambre d’écho pour les chercheurs.

De ce fait, les scientifiques doivent se tourner vers la grande majorité de personnalités politiques qui sont neutres vis-à-vis de la recherche scientifique. Ces personnes ne sont pas fondamentalement opposées à la science, et la majorité d’entre elles sont disposées à écouter tout discours dans la mesure où celui-ci est fondé. Or pour des raisons diverses et variées, ces hommes et femmes politiques n’ont pas encore découvert la véritable valeur de la science.

Peut-être que ces personnes ont grandi dans un environnement « non scientifique », détestaient la physique à l’école, ne collaboraient avec aucun organisme scientifique au sein de leur circonscription, craignent d’être embarrassées devant les connaissances des scientifiques, ou recherchent parfois simplement le point d’entrée adéquat pour entamer des discussions.

Pour cela, les chercheurs doivent sortir de leur zone de confort. Le vocabulaire employé par les scientifiques est d’une importance capitale. Le jargon scientifique effraie. Les chercheurs doivent rendre leur message accessible aux personnes ne possédant aucun bagage scientifique.

Les étudiants de premier cycle doivent être formés en ce sens. En politique, surtout, il est essentiel de savoir s’adresser au public de la forme adéquate : Les scientifiques doivent donc eux aussi devenir des « conteurs ». Pour cela, il n’y a aucun mal à utiliser des anecdotes. Une anecdote reposant sur des preuves scientifiques aura toujours plus d’impact qu’une anecdote ne reposant sur aucune preuve scientifique.

Les chercheurs doivent donner aux personnalités politiques des arguments qu’elles pourront utiliser pour défendre les preuves scientifiques en public. Imaginez-vous un instant devant un auditorium de 500 personnes, ou face à 20 caméras pointées sur vous, et tentez de défendre des faits scientifiques. Telle est la réalité de toute personnalité politique.

La sollicitation des émotions de l’auditoire est une méthode discutable. En effet, la preuve scientifique doit être dénuée de toute émotion. Les chercheurs se doivent de rester neutres en toutes circonstances. Le chercheur doit être la voix de la raison. Or en politique, les émotions jouent un rôle prépondérant. Les scientifiques doivent donc viser le cœur des gens.

Les chercheurs ont tout intérêt à montrer qu’ils sont, eux aussi, des êtres humains. Ils ont des partenaires et des enfants, des espoirs et des peurs, ils aiment diner dans la pizzeria du coin, regarder des films hollywoodiens ou encourager leur équipe de football favorite. Très souvent, une discussion avec un homme ou une femme politique sur la recherche scientifique peut d’ailleurs débuter par un tout autre sujet.

Par ailleurs, les scientifiques doivent apprendre à faire preuve d’empathie envers les préoccupations de la population. Beaucoup de personnes sont méfiantes vis-à-vis de tout un ensemble de technologies, telles que les organismes génétiquement modifiés, l’énergie nucléaire ou encore le rayonnement électromagnétique. Généralement, les phénomènes que l’on ne peut pas voir, entendre, toucher, sentir ou gouter sont source de préoccupations. Cette réaction ô combien naturelle nous a notamment aidés à survire à l’Âge de pierre.

Bien que de nombreux scientifiques trouvent ces préoccupations injustifiées car elles ne tiennent pas compte des preuves existantes, le respect de l’autre requiert de les prendre en compte avec tout le sérieux qui s’impose. Les chercheurs doivent éviter les excès d’orgueil et discuter de bonne foi concernant ces préoccupations. Bien souvent, ces préoccupations ne concernent pas la science elle-même, mais un sujet totalement différent, comme par exemple, l’éthique dans les activités des multinationales.

Une telle implication est le seul moyen de créer un environnement dans lequel l’apport de la recherche scientifique face aux enjeux actuels serait jugé précieux aussi bien par les décideurs politiques que par les citoyens. Cela est d’autant plus nécessaire que de nombreux éléments démontrent que les politiques s’appuyant sur des preuves scientifiques sont plus bénéfiques sur le long terme que celles qui ne le sont pas. Les preuves scientifiques ne changent pas en fonction du gouvernement ou de la majorité politique en place. Par conséquent, la mobilisation des preuves scientifiques constitue le meilleur moyen de concevoir des politiques à long terme.

 

Jan Marco Muller
Acting Chief Operations Officer, IIASA