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Infrastructure publique numérique et impôts : l’expérience cruciale du Pakistan

7 min

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Ahsan Zia Farooqui, Farooq Chatha and Fabrizio Santoro

L’infrastructure publique numérique (IPN) révolutionne la façon dont les gouvernements du monde entier fournissent des services, interagissent avec les citoyens et remplissent leurs fonctions essentielles. En promouvant des systèmes interopérables et open source pour le partage des données et des plateformes, l’IPN permet une collaboration transparente entre le secteur public et le secteur privé.

Par essence, l’infrastructure publique numérique (IPN) intègre des systèmes fondamentaux tels que l’identité numérique, les plateformes de paiement et les réseaux d’échange de données. Ces éléments sont essentiels pour permettre une prestation de services efficace, un partage transparent des données et une gouvernance numérique efficace dans tous les secteurs. L’IPN devrait améliorer la transparence, réduire les inefficacités bureaucratiques et freiner l’évasion fiscale au Pakistan, où l’élargissement de l’assiette fiscale et l’amélioration de la conformité constituent des défis persistants, l’utilisation de l’IPN pourrait avoir un effet transformateur, en renforçant les capacités de l’État, en modernisant la gouvernance et en jetant les bases d’un système fiscal plus équitable et plus efficace.

L’administration fiscale au Pakistan

Si le pays voisin, l’Inde, a remodelé son gouvernement et sa société toute entière grâce à l’IPN, un autre cas d’étude intéressant, mais moins documenté, est celui du Pakistan. Le pays est actuellement aux prises avec des problèmes monétaires, un déficit de balance des paiements et une polycrise inflationniste.
La faiblesse du rendement et du recouvrement des impôts contribue à l’augmentation des niveaux d’endettement, en raison de l’étroitesse de l’assiette fiscale, de l’évasion fiscale et de la défaillance des mécanismes de mise en œuvre. Cette situation est encore aggravée par la méfiance du public à l’égard du système fiscal, par des infrastructures obsolètes et, jusqu’à récemment, par des efforts de numérisation insuffisants.

Dans ce contexte, le renforcement de l’IPN et, plus largement, de la numérisation, en vue d’améliorer la performance fiscale au Pakistan, est particulièrement prometteur. Des recherches récentes montrent que les applications de l’IPN peuvent faciliter l’amélioration des fonctions clés de l’administration fiscale. Les expériences de l’Ouganda et du Ghana, où les systèmes d’identification nationale ont été intégrés à l’enregistrement fiscal, montrent que l’exploitation des données d’identification peut accroître la formalisation et améliorer la qualité des informations relatives aux contribuables. 

Les incitations fiscales peuvent jouer un rôle clé dans l’accélération de l’adoption des paiements marchands numériques, qui à leur tour peuvent soutenir la formalisation économique et générer davantage de données sur les transactions financières. En revanche, pour être efficaces, il est nécessaire de compléter ces efforts par des mécanismes d’application solides, une meilleure capacité d’analyse et des réformes institutionnelles globales. Par conséquent, il est nécessaire pour le Pakistan de remédier aux inefficacités systémiques, de renforcer la coordination entre les agences et de rétablir la confiance du public dans les systèmes fiscaux et de gouvernance.

Initiatives de l’Office fédéral des recettes

Le Pakistan a récemment fait de grands progrès au niveau de l’intégration de l’IPN dans son administration fiscale grâce à des initiatives menées par le Conseil fédéral des recettes (Federal Board of Revenue, FBR).

En premier lieu, le Conseil poursuit l’intégration des systèmes avec d’autres entités publiques et privées. L’agence nationale d’identification, la NADRA, a signé un protocole d’accord avec le FBR pour partager des données, et le FBR est légalement autorisé à accéder aux informations des banques. Il procède également à une collecte des données régulière auprès des services d’immigration concernant les voyages des citoyens à l’étranger. Ces données tierces, ainsi que les sources propres au FBR, sont affichées sur le portail « FBR Maloomat » afin d’inciter les contribuables potentiels à déclarer et à payer leurs impôts.

Deuxièmement, le FBR a lancé plusieurs plateformes numériques, notamment Iris, Track and Trace (T&T) et le système de point de vente (PoS). Iris facilite la déclaration électronique et simplifie les interactions avec les contribuables, tandis que le système T&T contrôle les données de production en temps réel, ce qui contribue à lutter contre la sous-déclaration dans des secteurs clés tels que le sucre, le tabac, le ciment et les engrais. À lui seul, ce système a permis de réintégrer des millions de sacs de sucre dans l’économie documentée, ce qui s’est traduit par une augmentation des recettes. Le système PoS cible les grands détaillants, en capturant numériquement les données relatives aux ventes et en impliquant les consommateurs par le biais d’incitations innovantes telles que les récompenses liées à la vérification des factures.

En plus de ces interventions, le FBR a introduit la facturation numérique – développée par Hubble – afin d’améliorer la visibilité et la traçabilité au sein de la chaîne d’approvisionnement intermédiaire.

Défis et solutions possibles

Malgré les progrès récents, de grands défis restent à relever. Les carences d’intégration entre le FBR et les sources de données tierces limitent l’efficacité des systèmes numériques, car il persiste toujours une mentalité de cloisonnement. La société Pakistan Revenue Automation Limited (PRAL), qui constitue l’épine dorsale technologique du système fiscal, est aux prises avec des infrastructures obsolètes et des contraintes de capacité. Elle ne dispose pas non plus des ressources nécessaires pour embaucher et conserver une main-d’œuvre hautement qualifiée, ce qui entraîne des carences dans ses capacités d’analyse.

Pour remédier à ces difficultés, le gouvernement pakistanais a récemment adopté le Digital Nation Pakistan Bill (projet de loi sur la nation numérique du Pakistan) à l’Assemblée nationale. Ce projet de loi vise à mettre en place un ensemble stratifié de solutions IPN, en particulier l’identité numérique, les paiements et l’échange de données, en s’inspirant de pays tels que l’Estonie, les Émirats arabes unis et l’Inde. Il propose la création de deux organismes supra-ministériels : la Commission numérique nationale, dirigée par le Premier ministre et les ministres en chef des provinces, et l’Autorité numérique du Pakistan, supervisée par des experts du secteur. 

En consolidant les données relatives aux citoyens dans un cadre d’identité numérique unifié, les mesures du projet de loi devraient permettre l’amélioration du recouvrement des impôts au cours des cinq prochaines années. Cette stratégie centralisée vise à améliorer l’efficacité du suivi, à élargir l’assiette fiscale et à combler les carences en matière de conformité en fournissant un accès en temps réel à des données fiables. Le FBR devrait également fournir des données à la base IPN, ce qui permettra à d’autres agences gouvernementales d’exploiter les informations fiscales.

Toutefois, des préoccupations concernant le partage de données tierces et la protection de la vie privée sont apparues, en particulier lorsque le FBR intègre des données provenant des banques, des entreprises de services publics et des registres fonciers afin de moderniser l’administration fiscale. Les experts en gouvernance numérique ont mis en garde contre la faiblesse des cadres de protection des données, qui pourrait éroder la confiance du public. En réponse, le FBR a pris des mesures visant à atténuer ces risques en classant les données des contribuables comme infrastructure essentielle en vertu de la loi sur la prévention des crimes électroniques (PECA) 2016.

En conclusion, les récents efforts déployés par le Pakistan pour moderniser son système fiscal par le biais de l’IPN sont très prometteurs. Néanmoins, le FBR doit vaincre la résistance des différents acteurs – y compris les contribuables et les lobbies puissants – qui continuent de ralentir l’adoption de l’IPN et d’entraver la réforme. La priorité doit être donnée au renforcement des capacités, à la promotion de partenariats intersectoriels et à l’engagement des contribuables afin de les sensibiliser aux outils numériques, d’encourager leur participation et d’instaurer un climat de confiance. Il sera également essentiel de renforcer les institutions telles que le PRAL, de tirer parti de l’analyse avancée et de l’IA, et de promouvoir la collaboration entre des entités telles que la NADRA et le secteur bancaire.

Des recherches supplémentaires sont nécessaires pour évaluer comment la mise en œuvre de l’IPN affectera les fonctions essentielles du FBR, s’intégrera aux plateformes d’administration en ligne existantes, allégera les charges des contribuables et, en fin de compte, élargira l’assiette fiscale. Les années à venir seront déterminantes pour définir l’évolution de ces développements.

Fida Muhammad et Waqas Ahmad Bajwa ont contribué à cet article.

Cet article fait partie d’une série produite en collaboration avec le Centre international pour la fiscalité et le développement de l’Institute of Development Studies (IDS), au Royaume-Uni, qui explore le rôle de l’infrastructure publique numérique (DPI) dans le renforcement des capacités de l’État et la promotion du développement. Les contributions à cette série sont les bienvenues.

Ahsan Zia Farooqui
Doctorant, Centre international pour la fiscalité et le développement (ICTD)
Farooq Chatha
Doctorant en fiscalité et développement, IDS
Fabrizio Santoro
Chercheur, Centre international pour la fiscalité et le développement - Institut d'études du développement