Droits fondamentaux et égalité

La langue d’enseignement est déterminante pour l’apprentissage des compétences fondamentales

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by

Yew Chong Soh, Ximena V. Del Carpio and Liang Choon Wang

Les avantages du multilinguisme sont indéniables. Mais les systèmes éducatifs devraient-ils utiliser une langue d’enseignement peu familière aux enfants (et aux enseignants) pour enseigner les compétences fondamentales ? De plus en plus d’éléments indiquent que non. Cet article contribue à comprendre pourquoi.

Depuis leur indépendance, de nombreuses anciennes colonies ont été confrontées au dilemme suivant : continuer à utiliser la langue coloniale dans leur système éducatif ou revenir à leur langue d’origine. Certains pays ont conservé la langue coloniale comme langue d’enseignement dans les écoles, tandis que d’autres ont remplacé la langue coloniale par leur langue locale.

Pour certains, enseigner aux élèves dans leur langue maternelle semble être un choix évident. Étant donné que les enfants apprennent à l’école par la langue parlée et écrite, l’apprentissage dans la langue maternelle, en particulier pendant les premières années de l’éducation institutionnelle, peut les aider à améliorer leurs compétences cognitives et leur permettre de transférer leurs connaissances vers l’apprentissage d’une deuxième langue par la suite.

La langue d’enseignement peut également avoir des répercussions sur la capacité des enseignants à enseigner. Les mauvais résultats des élèves peuvent être encore plus marqués si leurs enseignants ont une maîtrise limitée ou inférieure à la moyenne de la langue d’enseignement.

D’un autre côté, il peut être plus utile d’enseigner dans une langue non maternelle. La maîtrise de la langue majoritairement utilisée dans l’économie locale, généralement la langue coloniale, peut entraîner de meilleurs résultats sur le marché du travail. C’est particulièrement vrai pour l’anglais, qui peut présenter un avantage sur le plan de l’emploi, même dans les pays où l’anglais n’est pas très répandu.

Une politique linguistique bien conçue peut faire la différence au niveau de l’apprentissage dans un environnement multilingue. Mais la question de savoir comment transmettre au mieux différentes langues aux enfants, sans sacrifier leur capacité à développer des compétences de base, est une préoccupation majeure pour les familles comme pour les décideurs politiques.

Malheureusement, ce choix peut être difficile à faire dans des pays comptant des dizaines de langues et de dialectes différents, ou dans des contextes où les élèves parlent une langue à la maison et une autre dans la cour de récréation ou en classe.

Il est également difficile pour les chercheurs d’obtenir des estimations claires de l’impact de la langue d’enseignement sur les compétences cognitives des enfants. Pour commencer, les pays qui changent la langue d’enseignement dans les écoles le font généralement de manière soudaine. Ils ont également tendance à appliquer le changement à tous les élèves en même temps, ce qui complique la distinction entre les effets d’un changement de langue d’enseignement et les effets de l’apprentissage des enfants dans leur première ou deuxième langue.

En outre, les données ne sont pas largement disponibles, car bon nombre des changements de politique linguistique dans le monde ont eu lieu il y a plusieurs décennies. Les tests standardisés n’étaient pas très répandus à cette époque.

Enfin, lorsque la langue d’enseignement est modifiée, cela affecte à la fois les élèves et les enseignants. Même s’il était possible d’étudier l’impact d’un changement de politique sur les résultats des évaluations, il est difficile de différencier les effets du changement de langue sur la capacité d’apprentissage des enfants et sur la qualité de l’enseignement des enseignants.

Dans une recherche récente, nous nous concentrons sur un changement de politique linguistique en Malaisie. Les variations dans la manière dont la politique a été appliquée à différentes catégories d’élèves parlant des langues maternelles différentes fournissent un terrain unique pour distinguer les effets du changement de langue d’enseignement et les effets de l’utilisation d’une langue non maternelle (l’anglais) comme langue d’enseignement.

Nous mesurons l’impact sur les performances aux évaluations des enfants qui parlent des langues maternelles différentes (bahasa malaisien, chinois ou tamoul) à l’aide de plusieurs vagues de données provenant de l’enquête TIMSS (Trends in International Mathematics and Science Studies) et d’une technique de recherche connue sous le nom de méthode de contrôle synthétique afin de fournir un résultat contrefactuel fiable – ce qui se serait passé dans des circonstances différentes.

Nos résultats montrent que les élèves ont obtenu de moins bons résultats aux tests de mathématiques et de sciences après que la langue d’enseignement de ces matières soit passée du bahasa malaisien à l’anglais entre leurs années d’école primaire et secondaire.

L’impact de l’apprentissage des mathématiques et des sciences en anglais tout au long de l’enseignement primaire et secondaire était encore plus négatif. Les garçons s’en sortent moins bien que les filles dans tous les domaines.

L’étude suggère que les enfants apprenant dans leur langue natale développent mieux leurs compétences de base. Mais elle n’est pas en mesure de quantifier dans quelle mesure le changement de langue d’enseignement a eu un impact négatif sur la capacité des enseignants à enseigner.

Notre recherche et une grande partie des preuves montrent simplement que lorsque les enfants reçoivent un enseignement dans leur langue maternelle, ils acquièrent plus efficacement les compétences de base essentielles au développement d’autres compétences.

Malheureusement, ces preuves sont souvent négligées, au détriment de l’apprentissage des enfants. On estime que 40 % des enfants scolarisés dans le monde ne reçoivent pas un enseignement des matières fondamentales dans une langue qu’ils parlent régulièrement et qu’ils comprennent. En conséquence, nombre d’entre eux, notamment parmi les plus défavorisés, ne sont pas en mesure d’acquérir les compétences essentielles qui peuvent les aider à long terme.

Compte tenu de l’importance de la mise en œuvre de la « bonne » politique linguistique, il est essentiel que l’enseignement soit dispensé dans la langue la plus adaptée et de manière cohérente, afin d’éviter de nuire aux résultats éducatifs et de garantir que les enfants aient les meilleures chances d’acquérir les compétences de base.

Étant donné que le changement des systèmes éducatifs est inévitable, nous espérons que des études comme celle-ci, et bien d’autres qui soutiennent la nécessité d’enseigner les compétences fondamentales dans la langue maternelle, ne seront pas négligées par ceux qui conçoivent et mettent en œuvre les politiques linguistiques.

 

Yew Chong Soh
Consultant, World Bank Group
Ximena V. Del Carpio
Practice Manager, World Bank Group
Liang Choon Wang
Lecturer, Monash University