Santé et hygiène

Le coût considérable des politiques de confinement strictes dans les pays pauvres

6 min

by

Katharina Michaelowa and Axel Michaelowa

En réponse à la crise du coronavirus, la majorité des gouvernements imposent le confinement et l’arrêt de toutes les activités économiques non essentielles. Mais comme l’explique cet article, de telles politiques peuvent s’avérer inappropriées dans le cas des pays en développement les plus pauvres. En effet, leurs conséquences peuvent être pires que si ces pays s’étaient simplement abstenus de toute mesure d’atténuation et avaient laissé le virus se propager. Pour définir les bonnes politiques et sauver des vies dans les pays en développement, il est urgent de mener des recherches sur la façon dont le Covid-19 frappe les plus pauvres.

En matière de politique de développement international, nous avons plutôt l’habitude de critiquer les politiques « à taille unique », notamment celles qu’imposent la Banque mondiale ou le Fonds monétaire international. Étonnamment, alors que la crise du coronavirus donne aux gouvernements le libre choix de suivre une voie qui leur est propre, ils semblent tous appliquer les mêmes stratégies : confinement et interruption de toutes les activités économiques, à l’exception de celles considérées comme essentielles, à savoir l’achat de nourriture et de médicaments.

Mais pour un habitant de bidonville, un ouvrier journalier, un travailleur migrant pauvre ou un réfugié fuyant la violence, où trouver une maison, où rester en sécurité à l’écart des autres ? Quand leur activité économique la plus essentielle, avant même d’acheter de la nourriture, est de gagner l’argent nécessaire pour payer cette nourriture ?

En Italie, en Suisse ou même en Chine, rester chez soi pour respecter la distanciation sociale ne constitue pas un péril mortel. Mais pour une grande partie des quelques 800 millions de personnes dans le monde qui vivent avec moins de 1,90 dollar par jour, ça l’est. Les pauvres de Delhi ou de Kaboul l’ont exprimé très clairement : « Si le coronavirus ne me tue pas, la faim le fera. »

C’est pourquoi les coûts des politiques de confinement strictes dans les pays pauvres sont beaucoup plus élevés qu’en Europe, en Amérique du Nord ou en Australie. Et leurs conséquences risquent de dépasser les simples pertes économiques.

En outre, la faisabilité de ces politiques est discutable. Les foules immenses de travailleurs migrants rassemblés dans les gares routières indiennes dans l’espoir d’attraper un ultime moyen de transport, au risque, sinon, de devoir parcourir à pied des centaines de kilomètres pour rentrer chez eux, illustrent bien la situation. On peut aussi imaginer les grands bidonvilles comme Kibera à Nairobi, capitale du Kenya, où les gens vivent entassés dans des espaces très étroits et partagent souvent les installations sanitaires entre voisins.

Dans de telles conditions, la distanciation sociale est impossible et ne peut être imposée, pas même par la force policière la plus brutale. Selon les données de la Banque mondiale, 55 % de la population d’Afrique subsaharienne et 30 % de la population d’Asie du Sud vivent dans ces conditions. 

Par ailleurs, la propagation du virus pourrait ne pas être aussi dangereuse dans les pays pauvres que dans d’autres régions du monde, car l’âge moyen de leur population est beaucoup plus jeune. L’analyse des données de plus de 40 000 cas confirmés de Covid-19 en Chine révèle que pour les groupes d’âge inférieurs à 50 ans, le taux de mortalité est inférieur à 0,5 %, et qu’il augmente rapidement pour les groupes plus âgés (1,3 % pour les 50-59 ans ; 4,0 % pour les 60-69 ans ; 8,6 % pour les 70-79 ans et 13,4 % pour les 80 ans et plus).

Il convient de noter que ces valeurs sont nettement inférieures à celles publiées par les autorités gouvernementales car elles ne prennent en compte que le nombre de personnes hospitalisées. Si la part des personnes âgées (65 ans et plus) – les plus vulnérables au virus – varie entre un peu moins de 16 % (Australie et États-Unis) et près de 28 % (Japon) dans les pays riches, elle reste inférieure à 3 % dans la plupart des pays d’Afrique subsaharienne, et à 8 % dans la plupart des autres pays pauvres (voir Figure 1).

Figure 1:  Population âgée de 65 ans et plus en 2018, en pourcentage

Source : Banque mondiale (2020).

Les chercheurs en médecine de l’Imperial College de Londres ont tenu compte de ces différences d’âge pour établir leurs prévisions de décès associés au coronavirus dans différents scénarios politiques. Ils montrent que les résultats attendus des politiques de confinement en termes de décès évités sont beaucoup plus faibles dans les pays à faible revenu et à revenu intermédiaire inférieur (voir figure 2).

Figure 2 : Nombre estimé de décès dus au COVID-19 pour 1 000 habitants

Source : Imperial College de Londres.

Les auteurs obtiennent ce résultat alors même qu’ils considèrent explicitement que compte tenu des différentes structures familiales les taux de contact et d’infection des personnes âgées seront plus élevés dans les pays pauvres. Si l’on ajoute à cela les problèmes des décès dus à la faim causée par le confinement (et le fait que le coronavirus pourrait être encore plus agressif lorsque les personnes sont affaiblies par la malnutrition causée par le confinement), les politiques d’atténuation semblent encore moins adaptées.

En outre, les problèmes de faisabilité mentionnés ci-dessus suggèrent que les pays qui voudraient mettre en place un confinement pourraient avoir à en payer le coût sans pour autant profiter de ses avantages.

En résumé cela signifie que, dans de nombreux pays pauvres, il est plus risqué d’ordonner des politiques de confinement que de ne pas en imposer et de laisser le virus se propager. La meilleure approche pourrait être de demander à ceux qui en ont les moyens de cesser leurs activités économiques et d’isoler les personnes âgées de leurs familles nombreuses.

Par exemple, le 3 avril, le premier ministre pakistanais, Imran Khan, a déclaré qu’il était confronté à un choix difficile : confiner la population afin d’arrêter ou de ralentir l’épidémie ou protéger l’économie pour s’assurer que « les gens ne meurent pas de faim ». Par conséquent, alors que les établissements d’enseignement et les centres commerciaux pakistanais doivent rester fermés pour éviter la propagation du coronavirus, le secteur de la construction a été réouvert.

Reste à apporter une nuance majeure à cette vision du confinement dans les pays pauvres. Les chercheurs de l’Imperial College reconnaissent avoir dû admettre que les comorbidités et la disponibilité des installations médicales seraient les mêmes partout dans le monde. Ce n’est évidemment pas le cas. Dans les pays pauvres, les gens souffrent plus fréquemment de malnutrition, de la pollution de l’air intérieur et extérieur qui affecte leur système respiratoire, ainsi que d’autres maladies. Beaucoup de personnes pauvres n’ont pas accès aux services de santé les plus élémentaires, sans parler des lits d’hôpitaux ou des ventilateurs modernes pour aider à respirer. 

La question importante est maintenant de savoir si tout cela permet de renverser l’équilibre entre les coûts et les bénéfices des politiques de confinement. Le manque de recherche autour de cette question est scandaleux. Alors que nous connaissons globalement l’interaction dangereuse des maladies respiratoires, cardiaques et du diabète avec le nouveau virus, nous ne savons rien des conséquences possibles pour les personnes plus jeunes. De plus, il semble que la seule publication sur les effets du coronavirus sur les personnes souffrant de malnutrition concerne les troubles de l’alimentation (notamment l’anorexie) en Australie.

Pour définir les bonnes politiques et sauver des vies dans les pays en développement, nous avons besoin de toute urgence de recherches sur la manière dont le coronavirus frappe les plus pauvres.

 

Katharina Michaelowa
Professor of Political Economy and Development, University of Zurich
Axel Michaelowa
Senior Researcher, University of Zurich