Environnement, énergie et nature

L’électrification des inégalités : la fracture énergétique Nord/Sud menace le développement durable

7 min

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Roula Inglesi-Lotz

Des pannes d’électricité récurrentes au Nigeria aux problèmes de délestage en Afrique du Sud, le manque de fiabilité de l’approvisionnement énergétique freine le développement des pays et régions du Sud. Cet article présente les importantes conséquences socio-économiques d’un mauvais approvisionnement en énergie sur les communautés et les entreprises, tout en soulignant la nécessité d’une transition énergétique plus juste.

Les grandes différences d’infrastructures énergétiques entre le Nord et le Sud intensifient les disparités en matière de richesse et de bien-être. Les discussions politiques qui surviennent autour de ces différences ont tendance à se concentrer sur l’amélioration de l’accès à l’énergie, l’expansion des réseaux électriques nationaux et la lutte contre la pauvreté énergétique.

La pauvreté énergétique est un concept complexe et multiforme qui va au-delà du simple accès ou non à l’électricité. Pour illustrer cette complexité, le très renommé scientifique Amulya Kumar N Reddy a défini la pauvreté énergétique comme « l’absence de choix suffisant pour accéder à des services énergétiques adéquats, abordables, fiables, de haute qualité, sûrs et respectueux de l’environnement, afin de soutenir le développement économique et humain ».

Ce billet montre comment la faiblesse des infrastructures énergétiques contribue à la pauvreté énergétique et entrave le développement des pays du Sud.

Objectifs de développement durable 7 et 10 : l’énergie au service de la réduction de la pauvreté

Même le septième Objectif de Développement Durable (ODD 7) des Nations unies reconnaît que la pauvreté énergétique va au-delà d’un simple manque d’accès à l’énergie. Il donne d’ailleurs la priorité à l’accès universel à une énergie abordable, fiable et durable.

En effet, l’ODD7 (Énergie propre et d’un coût abordable) et l’ODD10 (Inégalités réduites) sont étroitement liés dans leur quête du développement durable. L’accès à une énergie propre et abordable (ODD 7) contribue à réduire les inégalités en fournissant aux populations vulnérables des ressources cruciales pour l’éducation, les soins de santé et le développement économique. En outre, une transition équitable vers les énergies propres, axée sur les groupes vulnérables, peut contribuer à l’ODD 10 en réduisant les écarts en matière d’économie et de bien-être.

Aucun pays n’a réussi à éliminer la pauvreté de manière significative sans augmenter considérablement sa consommation d’énergie. Mais malgré le rôle essentiel de l’énergie durable dans la réduction de la pauvreté, plus de 800 millions de personnes n’ont toujours pas accès à l’électricité. Quarante pour cent de la population mondiale dépend encore des combustibles solides pour cuisiner et se chauffer.

Les pauvres paient également le prix fort pour l’énergie, soit en espèces, soit par leur travail. De plus, ils consacrent à cette dépense une part bien plus importante du revenu de leur ménage que les personnes aisées. Cela s’explique non seulement par le fait que leurs salaires sont plus bas, mais aussi par le fait qu’ils utilisent des combustibles et des équipements moins efficaces.

Figure 1 : Progrès de l’Objectif de Développement Durable 7 des Nations Unies 2023

Source : site Web des Nations Unies sur les ODD

Les défis liés aux infrastructures énergétiques et leur impact disproportionné sur les pays du Sud

L’accès à l’énergie s’améliore dans le monde entier (voir figure 1), bien que lentement dans les pays du Sud. Malgré tout, l’expansion des infrastructures énergétiques pour desservir un nombre croissant de consommateurs exerce une pression sur les systèmes jusqu’à leur point de rupture. Les coupures de courant fréquentes – ou les pannes d’électricité – causées par un approvisionnement énergétique instable sont devenues un problème majeur dans les pays du Sud. L’instabilité de l’approvisionnement énergétique n’est pas propre au Sud, mais ses raisons sont différentes de celles du Nord. En outre, le Nord bénéficie de systèmes énergétiques nationaux solides et fiables et de marchés de l’énergie en plein essor qui peuvent contribuer à prévenir et à atténuer les perturbations. Pour les pays du Sud, les difficultés engendrées par ces instabilités sont encore aggravées par la croissance démographique et les opportunités économiques limitées qui empêchent souvent les gouvernements d’investir correctement dans le développement et l’entretien des infrastructures énergétiques.

L’Afrique du Sud est un exemple frappant des difficultés causées par l’instabilité de l’énergie. À cause de problèmes énergétiques récurrents, l’Afrique du Sud procède fréquemment à des délestages, c’est-à-dire à une réduction réglementée de la consommation d’électricité pour éviter une défaillance du réseau. Ces incidents perturbent les entreprises, les hôpitaux, les industries et la vie quotidienne. Pour s’adapter, les ménages recourent à des sources d’énergie alternatives telles que les panneaux solaires, les générateurs ou les combustibles traditionnels comme le bois. Et bien qu’il puisse sembler rentable de reporter les tâches ménagères jusqu’à ce que l’électricité soit rétablie, cette façon de faire soumet le réseau à des tensions et perturbe les horaires quotidiens des ménages.

De même, les pannes périodiques du Nigeria révèlent les failles de son infrastructure électrique. Bien que le pays soit un important producteur de pétrole, moins de la moitié de sa population a un accès fiable à l’électricité. Beaucoup de foyers et d’entreprises ont commencé à utiliser des générateurs et des onduleurs pour réduire leur dépendance à l’égard du réseau national. La récente suppression des subventions sur les carburants, en mai 2023, a encore augmenté les prix, ce qui a accru davantage la pression financière sur les particuliers et les entreprises.

Coupures d’électricité, disparités de développement et injustice économique

Les pays dont l’infrastructure électrique est faible ont du mal à attirer les investissements et à promouvoir l’expansion économique. Ce déficit énergétique creuse l’écart de développement entre les pays du Sud et ceux du Nord, mieux électrifiés. Par conséquent, les effets des pannes d’électricité vont bien au-delà du simple clignotement des lumières et perpétuent les injustices qui entravent le progrès mondial.

Les conditions financières internationales ont été limitées récemment, mais la situation des pays à faible revenu est encore plus difficile après la crise du COVID. Les pays du Sud ont besoin d’un meilleur accès au financement et aux technologies pour soutenir des solutions durables qui à la fois résolvent l’inadéquation entre l’offre et la demande et les aident à atteindre les objectifs d’atténuation du changement climatique.

Les pannes d’électricité exacerbent considérablement les inégalités sociales au sein des pays. Ces disparités ne doivent pas être ignorées. Au sein d’un même pays, l’accès inégal à l’énergie creuse les écarts de richesse. Seuls les riches peuvent s’offrir des solutions alternatives et d’autres formes d’énergie qui garantissent une productivité et un confort ininterrompus. Les communautés défavorisées sont encore plus distancées, aux prises avec des difficultés économiques, un accès restreint aux services de santé essentiels et des possibilités d’éducation limitées.

Les défis de la transition vers des sources d’énergie plus propres

La transition mondiale vers des sources d’énergie plus propres promet un avenir plus durable et plus respectueux de l’environnement. Nous devons cependant reconnaître que toutes les régions ne bénéficient pas de la même manière de ce changement. L’exemple brutal de Mpumalanga, la province sud-africaine qui abrite la plupart des centrales électriques au charbon du pays, en est la preuve. Le passage à des sources d’énergie plus vertes est essentiel pour réduire le changement climatique, mais il présente également le risque de déplacer des travailleurs dans des régions comme Mpumalanga qui dépendent du charbon.

La relation entre adoption des technologies énergétiques et écarts de revenus est un domaine d’étude essentiel dans les discussions universitaires. Cet article souligne l’impact considérable que l’accès inégal à des sources d’énergie fiables a sur l’inégalité socio-économique à l’échelle nationale et internationale. Avec le passage à des technologies énergétiques plus propres et plus durables, il est essentiel d’examiner comment cette transformation peut affecter les écarts de richesse. Cela est particulièrement vrai pour les pays qui dépendent fortement des sources d’énergie traditionnelles comme le charbon. Les futures recherches universitaires devraient approfondir la réflexion sur les conséquences socio-économiques des transitions énergétiques, en examinant comment les technologies énergétiques plus propres peuvent soit atténuer, soit aggraver les disparités de revenus.

Cet article est publié en collaboration avec l’initiative « Women in Leadership in Economics  » de l’Association économique internationale, qui vise à renforcer le rôle des femmes en économie par la recherche, la création de partenariats et l’amplification des voix.

Roula Inglesi-Lotz
Professeure, Université de Pretoria