La plupart des financements climat destinés aux pays du Sud se présentent sous la forme de prêts assortis d’intérêts élevés. Ces prêts, qui ne sont pas des subventions, augmentent le niveau d’endettement et rendent la lutte contre le changement climatique encore plus difficile pour ces pays. Ce billet décrit l’impact des prêts sur le financement du climat et explique pourquoi les aides sous forme de subventions sont essentielles pour que les pays du Sud puissent mettre en œuvre des mesures de lutte contre le changement climatique plus efficaces.
Quel est le rapport entre les prêts et le financement climatique ?
La majeure partie du financement climatique octroyé par les pays du Nord aux pays du Sud se fait sous forme de prêts. Les chiffres de l’OCDE montrent qu’en 2021, 49,6 milliards de dollars (68 %) du financement public de la lutte contre le changement climatique provenant des pays du Nord ont été accordés sous forme de prêts. À l’inverse, la valeur des subventions ne s’élevait qu’à 20,2 milliards de dollars américains (28 %). Ces chiffres s’inscrivent dans une tendance à long terme, où les prêts ont représenté plus de 70 % des financements publics pour le climat entre 2016 et 2021.
Dans un contexte de hausse des taux d’intérêt, ces prêts augmentent encore davantage le coût de la lutte contre le changement climatique. Un rapport commandé par ONU Environnement a montré que la vulnérabilité d’un pays face aux risques climatiques augmente le coût du remboursement de la dette, jusqu’à 62 milliards de dollars de paiements d’intérêts supplémentaires (secteur public et privé) entre 2007 et 2016.
Ce « prélèvement » supplémentaire sur la vulnérabilité climatique par les créanciers publics et privés, ainsi que la prévalence des prêts dans le financement climatique, réduisent la capacité des pays du Sud à mettre en œuvre des mesures climatiques solides qui renforcent leur résilience au changement climatique et aux chocs économiques. Cette situation est d’autant plus préoccupante que l’objectif mondial actuel de financement du climat, fixé à 100 milliards de dollars, n’a jamais été atteint.
Qui plus est, les pays doivent rembourser ces prêts dans une période où le surendettement s’accentue et où les inégalités se creusent. Selon la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED), 59 pays du Sud étaient confrontés à des niveaux élevés d’endettement en 2022 et, selon Debt Service Watch, les dépenses des pays du Sud pour le service de la dette intérieure et extérieure en 2023 étaient plus de 12 fois supérieures à ce qu’ils ont dépensé pour l’adaptation climatique.
De fait, en 2022, l’Assemblée générale des Nations unies a reconnu que le recours systématique à la dette publique et aux emprunts extérieurs pour faire face aux catastrophes risquait d’accroître le service de la dette, de freiner la croissance et de réduire les capacités d’investissement dans des mesures de résilience à long terme. Elle a souligné le rôle de l’allègement de la dette, y compris son annulation, dans la prévention des crises.
L’ombre des prêts multilatéraux sur le financement climatique
Le financement climatique par la dette n’est pas un phénomène limité aux flux financiers bilatéraux entre les pays. Entre 2016 et 2020, seuls 23 % des financements climat des banques multilatérales de développement (BMD) (à l’exclusion des fonds multilatéraux pour le climat) étaient concessionnels (plus abordables car à des taux inférieurs à ceux du marché).
Les BMD déterminent quels pays sont éligibles au financement climatique concessionnel en utilisant les critères de l’OCDE pour le financement du développement lié au climat. Mais les critères actuels empêchent les pays du Sud d’accéder à la fois au financement du développement lié au climat et au financement des BMD.
De nombreux pays du Sud ont proposé des indicateurs de vulnérabilité multidimensionnelle (IVM), qui définissent l’accès au financement concessionnel en fonction des besoins et des vulnérabilités. Les pays vulnérables ont également lancé de nombreux appels pour que le financement soit fourni sous forme de subventions. En attendant, pour que tous les pays aient accès au financement climatique, les objectifs de la CCNUCC en matière de financement climatique doivent être atteints dans leur intégralité.
Les conséquences des prêts paralysants
Malgré les conséquences économiques et sociales d’un lourd endettement, les pays qui subissent les effets du climat n’ont souvent d’autre recours que d’accepter des prêts. Par exemple, le coût total des inondations historiques qui ont frappé le Pakistan en 2022 est estimé à 46,4 milliards de dollars. Malheureusement, le manque de possibilités de subventions a conduit le pays à s’endetter davantage. Lors d’une conférence d’appel au financement au début de l’année 2023, on a appris que 90 % des fonds accordés au Pakistan prenaient la forme de prêts étalés sur une période de trois ans. Ces prêts font peser sur le pays une dette de 8,7 milliards, quand ce dont le Pakistan avait réellement besoin, c’était des subventions.
Une analyse du Fonds monétaire international (FMI) portant sur 11 « catastrophes naturelles » entre 1992 et 2016 montre que lorsque les catastrophes ont endommagé leur produit intérieur brut (PIB) de plus de 20 %, les niveaux d’endettement ont augmenté dans les pays du Sud. Elle montre en particulier que la dette publique est passée d’une moyenne de 68 % du PIB l’année de la catastrophe climatique à 75 % du PIB trois ans plus tard. Cette analyse confirme la nécessité de donner la priorité aux subventions plutôt qu’aux prêts.
Alors que le changement climatique continue de s’intensifier, en même temps que s’accroissent les vulnérabilités financières et s’affaiblissent les capacités de réponse nationales, les bailleurs de fonds dans le domaine du climat doivent commencer à évaluer avec précision l’adéquation des prêts en tant qu’instruments de financement de la lutte contre le changement climatique.
La CNUCED a élaboré un ensemble de principes non contraignants pour encourager les prêts et emprunts souverains responsables. Dans le contexte où les prêts pour le financement du climat sont excessifs et où les subventions et les financements confessionnels sont rares, il serait essentiel de mettre à jour ces principes et de convenir de règles contraignantes en matière de prêts et d’emprunts responsables applicables aux flux financiers publics et privés pour le développement et le financement du climat.
À tout le moins, les contributeurs au financement climatique (bilatéraux, multilatéraux, privés et intermédiaires financiers) doivent veiller à ce que les conditions de prêt soient équitables, transparentes et conçues de manière participative. L’absence de contrôle parlementaire et public augmente les risques d’emprunts et de prêts irresponsables. Les pays risquent notamment d’accumuler des dettes trop coûteuses ou assorties de clauses coercitives, telles que les prêts garantis sur les ressources, où les prêts sont accordés en échange de ressources naturelles futures. Il en résulte des niveaux d’endettement insoutenables.
La prédominance des prêts dans le financement de la lutte contre le changement climatique renforce l’endettement dans les pays du Sud, confrontés à des taux d’endettement record. De nombreuses organisations de la société civile soulignent la nécessité de verser les fonds destinés à la lutte contre le changement climatique sous la forme de subventions. Il est essentiel que les pays du Sud aient accès à une solution équitable pour pouvoir régler leur dette ainsi qu’à des subventions leur permettant de mettre en œuvre des mesures climatiques efficaces.