Droits fondamentaux et égalité

Lutter contre les inégalités entre les sexes dans le domaine de l’accès aux transports publics

8 min

by

James Gachanja

La conception des infrastructures de transport public doit prendre en compte les différences dans la manière dont les hommes et les femmes utilisent ces services essentiels, ainsi que les dangers des violences sexistes. Cet article explore les différences en matière de demande de transport en fonction du genre et, étant donné le rôle que peuvent jouer les transports dans la promotion de la compétitivité des femmes et de l’équité sociale, il met en lumière certaines actions politiques visant à faire des transports un « égaliseur de genre ». Il est nécessaire d’accorder une plus grande attention aux besoins des femmes pour que les politiques de transport puissent être durables.

Les transports et la mobilité constituent le premier moyen d’accéder à l’emploi, aux biens, aux services, à la santé, à l’éducation et aux marchés. Le développement de services de transport durables est un objectif politique important. Bien que les investissements dans les projets de transport soient censés profiter à tous de la même manière, la réalité est que les femmes, les hommes, les garçons et les filles se heurtent à des contraintes variées et ont des besoins différents en matière de transport. Les résultats ne sont donc pas égaux.

Si l’on ne tient pas compte de cette réalité, les systèmes de transport et de mobilité ne peuvent pas être durables. Au fil du temps, les questions de genre qui se posent dans ce secteur, à savoir la manière dont les hommes, les femmes, les garçons et les filles accèdent aux infrastructures et aux services de transport et en profitent, ont gagné du terrain sur le plan politique.

Il est important de mettre l’accent sur une politique respectueuse de la question du genre, étant donné que les femmes sont confrontées à davantage de contraintes en matière de mobilité et que leurs habitudes de déplacement diffèrent de celles des hommes. Cette situation est due à la « triple charge » des femmes : fonctions reproductives telles que la maternité, les responsabilités familiales et les tâches domestiques ; fonctions productives ; et fonctions communautaires.

L’expérience du Kenya

Des recherches sur les habitudes de déplacement à Nairobi montrent qu’une majorité de personnes pauvres ne peuvent pas se permettre de prendre les transports motorisés pour se déplacer dans la ville. Les données montrent que les ménages consacrent 14 à 30 % de leurs revenus aux transports. Ils se débrouillent en limitant leurs déplacements en dehors de leur agglomération ou, si nécessaire, en se déplaçant à pied.

Les résultats montrent que ce sont les femmes et les enfants qui paient le prix fort de la mobilité réduite, en raison des rôles qui sont censés être les leurs. Les femmes sont également plus susceptibles d’être pauvres que les hommes et ont par conséquent moins d’options de transport.

En raison de leurs responsabilités familiales et domestiques, les femmes effectuent généralement des trajets plus courts, plus fréquents et à des heures plus variées que les hommes. Le besoin des femmes de se déplacer va au-delà des facteurs habituels que sont l’emploi, l’éducation et les loisirs. Cette nécessité englobe des facteurs supplémentaires tels que l’accès à l’eau, à l’énergie, aux services de santé, à la nourriture et aux ressources nutritionnelles – ce que l’on appelle la « mobilité associée aux soins ». Elles sont plus susceptibles de cumuler plusieurs objectifs et plusieurs destinations en un seul voyage.

Par conséquent, dans la planification et la conception des transports, il est important de prendre conscience que les femmes accordent généralement plus d’importance à la commodité et à la flexibilité qu’au gain de temps. Il faut également considérer que les femmes assument une plus grande partie des frais de transport que les hommes.

L’enquête sur le budget intégré des ménages au Kenya (2015/16) a révélé que 69 % des ménages ruraux passent 30 minutes ou moins à aller chercher de l’eau, tandis que 18 % y passent 30 minutes ou plus. Dans les zones urbaines, 57 % des ménages passent 30 minutes ou moins à cette activité, tandis que 4,1 % des ménages y consacrent 30 minutes ou plus. Cette charge de temps est supportée par les femmes. En ce qui concerne la collecte de ressources énergétiques, les femmes y consacrent en moyenne 77 minutes par semaine, contre 13 minutes pour les hommes.

La violence sexiste dans les transports

Les femmes sont plus exposées à la violence sexiste et à la victimisation dans le secteur des transports. Une enquête menée à Nairobi par la Flone Initiative on Violence Against Women and Girls (VAWG) en 2018 a révélé que les incidents de violence contre les femmes et les filles dans les moyens de transport publics sont fréquents et répartis sur tous les itinéraires étudiés. Ces violences se produisent principalement aux stations/gares routières (64 %) et 18% à l’intérieur des véhicules.

L’exposition à la violence sexiste dans les transports affecte la liberté et les choix des femmes et des filles. Pour y faire face, les femmes ont tendance à éviter les transports publics ou à adapter le moment de la journée où elles voyagent. Elles peuvent également limiter leurs déplacements à des destinations plus proches de leur domicile ou éviter complètement de voyager en raison de la souffrance causée par les violences sexistes.

Des systèmes de transport pour tous

Les Objectifs de développement durable abordent la question de l’égalité des sexes dans l’objectif 11, qui vise à donner à tous et toutes l’accès à des systèmes de transport sûrs, abordables, accessibles et durables, en améliorant la sécurité routière et en développant les transports en prêtant une attention particulière aux besoins des personnes en situation de vulnérabilité – femmes, enfants, personnes handicapées et âgées.

La politique nationale intégrée des transports au Kenya définit le rôle des Modes de transport non motorisés et intégrés (NMIMT) pour atteindre un équilibre entre les hommes et les femmes dans la réalisation des activités économiques individuelles et familiales. Elle souligne que les femmes effectuent la plupart des activités sociales et économiques des ménages et qu’elles sont souvent obligées de marcher en portant des charges lourdes sur la tête ou le dos.

La politique intégrée insiste sur la nécessité « d’équilibrer la charge » en réduisant le temps que les femmes consacrent aux déplacements autour de leur village. Elle prévoit également des mesures visant à réduire le nombre de déplacements que les femmes doivent effectuer pour s’acquitter de leurs tâches domestiques. Les autorités entendent atteindre cet objectif en encourageant l’offre et l’utilisation des NMIMT grâce à la construction d’infrastructures et à des programmes de crédit. Il est prouvé que les femmes sont plus susceptibles que les hommes de vivre, de travailler et de se déplacer dans des zones denses où la nécessité de voyager est moindre.

Au Kenya, le contexte politique est favorable à la lutte contre les inégalités entre les sexes. Cependant, on constate une faiblesse dans la mesure où les besoins des femmes ne sont pas bien intégrés dans les plans de transport. Les projets devraient identifier les habitudes de déplacement des femmes et des hommes, explorer les contraintes de temps et les facteurs relatifs à la peur qui influencent les tendances et les choix des femmes en matière de transport.

Par exemple, des facteurs personnels tels que la réputation, les normes, la confiance en soi et les questions de sécurité influencent les choix des filles en matière de déplacements à vélo. Les politiques de transport doivent tenir compte de ces facteurs pour promouvoir l’égalité des sexes et les transports durables.

Les projets visant à améliorer l’accès des ménages à l’énergie et à l’eau sont essentiels pour remédier aux inégalités entre les sexes dans le domaine des transports et de la mobilité. Les projets de transport pourraient bénéficier d’une approche différenciée selon le genre tout au long du cycle de vie du projet, de la conceptualisation, la conception et la planification à la construction, l’exploitation et la maintenance.

Une politique des transports fondée sur des données probantes

Les enquêtes sur la mobilité et la modélisation de la demande devraient être améliorées par la collecte de données et de statistiques détaillées par sexe afin de tenir compte des questions de genre. Ces données peuvent être destinées à saisir le comportement des femmes et des hommes en matière de déplacements ainsi que les facteurs sous-jacents.

Les méthodes de collecte de données doivent tenir compte de la division du travail entre les sexes dans les foyers et de la manière dont elle affecte les déplacements. Les trajets non rémunérés, notamment ceux liés aux soins, doivent être rendus publics et pris en compte dans l’analyse de la demande de déplacements.

Les transports publics devraient garantir l’accessibilité spatiale et physique selon le sexe, une densité et une fréquence adéquates du réseau de transport public, des services de porte à porte et l’intégration des transports publics aux formes de transport non motorisées et intermédiaires.

Le fait d’avoir des sièges et des entrées réservés aux femmes dans les bus, et même des bus et des services de transport public non mixtes, peut permettre de relever les défis de la sécurité et de la protection des femmes. Des études ont recommandé d’améliorer l’éclairage, la présence de la police et la surveillance (CCTV), et de mettre en place des services d’assistance pour décourager les violences sexistes et créer des espaces sûrs pour les femmes et les filles qui utilisent les transports publics.

 

James Gachanja
Senior Policy Analyst, KIPPRA