Les emplois « verts », liés à l’environnement et « bleus », liés au développement technologique, sont essentiels au développement durable, mais les décideurs et décideuses politiques vont devoir veiller à ce que les gros changements en matière d’emploi dans l’économie verte en pleine croissance se traduisent par des opportunités d’emploi équitables pour tous et toutes. En utilisant les Philippines comme exemple, nous mettons en évidence quatre facteurs clés qui pourraient conduire à un mouvement en faveur des emplois verts qui renforce les communautés locales et les décideurs/décideuses politiques.
Muneer Hinay a une passion pour ce qu’il appelle « l’hyper-localisation. » Avec sa fille Raaina, âgée de 12 ans, il est le cofondateur de Kids Who Farm, une organisation basée aux Philippines qui enseigne aux jeunes adultes les rudiments de l’agriculture durable. Pour Muneer et sa fille, l’agriculture durable est la clé de la sécurité alimentaire et de l’atténuation du changement climatique.
« La création d’un système alimentaire durable doit être hyper-locale. Notre objectif est de rapprocher les aliments des consommateurs, de créer des micro-exploitations communautaires durables qui utilisent des systèmes technologiques appropriés et contribuent à l’économie locale. Cette approche permet de réduire les dépenses de transport et l’empreinte carbone. »
En effet, le changement climatique devient une préoccupation concrète aux Philippines, l’un des pays les plus vulnérables au monde en matière de climat. Grâce à sa loi sur les emplois verts, le gouvernement philippin a mis en place des politiques visant à évoluer vers une économie plus verte et plus bleue.
Mais l’un des principaux obstacles à la création d’emplois verts aux Philippines est la réponse apportée au niveau local. Les jeunes, en particulier les 3 millions d’entre eux qui ne sont ni scolarisés ni employés, sont relativement peu conscients des possibilités offertes par l’économie verte et bleue. La plupart des informations sur les emplois verts sont soit dépassées, soit d’un niveau trop élevé pour être utiles aux jeunes demandeurs d’emploi. Comme le note Muneer : « En ce qui concerne les emplois verts, il y a encore une partie des gens – surtout parmi les jeunes – qui ne comprennent pas l’importance de l’agriculture durable. »
Nos conversations avec des personnes comme Muneer ont mis en évidence le fait qu’une transition juste – qui inclut les jeunes, les femmes et d’autres groupes marginalisés dans les pays en développement – nécessite plus qu’une approche du haut vers le bas. La transition dépend également d’un mouvement ascendant tirant parti des capacités locales, des partenariats et de l’information au niveau infranational.
Dans le cadre de l’initiative Notre monde, notre travail, l’Education Development Center (EDC) a mené des recherches pour comprendre la relation entre le changement climatique, l’économie bleue et verte et l’emploi des jeunes dans les pays à revenu faible et intermédiaire. Cette recherche s’est étendue aux Philippines, où l’EDC met en œuvre le projet Opportunity 2.0 financé par l’USAID et, en collaboration avec Accenture Development Partners, achève une étude sur les moteurs de l’emploi des jeunes dans l’économie verte et bleue. Ce travail a permis de mettre en évidence des enseignements clés susceptibles de catalyser un mouvement local et inclusif en faveur des emplois verts :
Raaina, 12 ans, a cofondé Kids Who Farm avec son père, Muneer. Kids Who Farm forme de jeunes entrepreneurs à la création de micro-fermes durables et d’initiatives d’agriculture urbaine à l’échelle de la communauté. Crédit : Kids Who Farm
Combler les lacunes en matière de données grâce à des informations sur le marché du travail local vert
Alors que des données sur les tendances de l’économie verte sont générées aux niveaux international et national, peu d’informations sont disponibles pour les décideurs politiques locaux, les micro-entreprises et les petites et moyennes entreprises (MPME), les jeunes demandeurs d’emploi et les organisations communautaires qui les servent. En effet, un rapport de synthèse de l’OIT souligne la nécessité de systèmes d’information décentralisés sur le marché du travail combinés à une collecte de données nationales, tandis que l’OCDE suggère des moyens concrets d’améliorer les données pour de meilleures politiques en matière d’emplois verts.
À Zamboanga City, un groupe de responsables du gouvernement, du secteur privé et de la jeunesse a appris à mener des évaluations du marché du travail local et identifié une forte demande de compétences professionnelles dans le domaine de l’agriculture. Ils ont ensuite pris des mesures pour compléter un programme déjà proposé par l’autorité chargée de l’enseignement technique et du développement des compétences (TESDA) : le bureau de l’agriculture de la ville s’est associé à Kids Who Farm pour offrir aux jeunes non scolarisés un apprentissage pratique dans l’agriculture durable. À ce jour, ces collaborations ont permis à Kids Who Farm de former plus de 6 000 personnes à l’agriculture urbaine et de construire 38 jardins communautaires et micro-fermes scolaires, et ont contribué à l’objectif de Kids Who Farm de produire 60 % de la demande locale de légumes de Zamboanga.
Des étudiants de l’Université de Zamboanga apprennent les techniques d’agriculture urbaine. Crédit : Kids Who Farm.
Harmoniser les politiques infranationales en matière d’emplois verts par le biais d’alliances locales public/privé
À l’heure actuelle, il n’existe pas de norme commune pour définir ce qu’est un « emploi vert », y compris aux Philippines. En outre, l’étude a révélé que les programmes de formation publics élaboraient des programmes de compétences qui ne reflétaient pas les besoins des entreprises locales. Ces conclusions confirment la justesse des orientations politiques en matière de transition et d’autres lignes directrices qui appellent à des efforts coordonnés de la base vers le sommet, impliquant les autorités locales, les entreprises, les organisations de la société civile, les prestataires de services d’éducation et de formation, et les jeunes.
Les Alliances pour le développement de la jeunesse sont l’un des moyens utilisés par les acteurs locaux aux Philippines pour combler le manque de coordination des politiques au niveau infranational. Dans 15 villes, ces partenariats public-privé donnent la priorité à des actions collectives visant à créer des emplois verts et bleus pour les jeunes. Récemment, l’Angeles City Youth Development Alliance a lancé le « Project Angelinis » pour sensibiliser les différentes parties prenantes aux possibilités offertes par le secteur de la gestion des déchets.
Rendre le financement vert plus accessible aux groupes marginalisés, y compris les jeunes
Le Forum économique mondial cite l’investissement comme l’un des principaux moteurs de la transition verte. Mais malgré des investissements verts importants aux Philippines, l’étude Opportunity 2.0 a confirmé que relativement peu d’entre eux atteignent les MPME, et encore moins les entreprises détenues par des jeunes et des femmes qui ont tendance à ne pas avoir d’antécédents de crédit, à avoir des garanties limitées et à ne pas connaître les conditions de prêt des institutions de crédit formelles. Le PNUE note que lorsqu’ils envisagent la transition vers l’économie verte, une grande partie des pays en développement donnent la priorité à la mobilisation d’un financement vert qui inclut les groupes marginalisés.
Quelques points positifs commencent à émerger. Le ministère de l’agriculture a créé le programme Kapital Access for Young Agripreneurs (KAYA), qui offre des prêts sans garantie à taux zéro avec des périodes de remboursement de cinq ans aux exploitations agricoles ou aux pêcheries appartenant à des jeunes. De même, le Conseil de la microfinance des Philippines s’est associé à des prestataires de services éducatifs pour soutenir le lancement de TPE appartenant à des jeunes dans le secteur des transports, et s’est associé à des institutions de microfinance pour développer des offres de prêts dans le domaine de l’énergie verte.
Credit: Kids Who Farm
Stimuler l’innovation et le changement social menés par les jeunes
Bien que le public ait été lent à adopter les innovations vertes, les jeunes sont de puissants agents de changement. Les entreprises sociales dirigées par des jeunes ont une longueur d’avance sur le secteur privé traditionnel lorsqu’il s’agit de faire campagne en faveur des systèmes circulaires et de commercialiser de nouvelles technologies de gestion des déchets, par exemple.
À Quezon City, le gouvernement s’est associé à une organisation nationale de jeunes pour lancer une campagne de défense de l’environnement menée par des jeunes non scolarisés. Les participants s’informent et nouent des liens qui les aident à s’orienter vers des possibilités d’éducation et d’emploi.
Dyanne Rose Luna, une jeune dirigeante de Legazpi City, résume bien la situation : « Nous ne pouvons pas résoudre ces problèmes seuls, nous devons travailler ensemble pour créer le monde dans lequel nous voulons vivre. »