Santé et hygiène

Médecine traditionnelle et réponse aux campagnes d’information sur la santé

6 min

by

Daniel Bennett

Fournir des informations est une manière d’influencer le comportement sanitaire. Cependant, les croyances médicales traditionnelles peuvent entraver l’apprentissage de l’hygiène et d’autres moyens de prévenir les maladies. Cet article présente l’impact d’un projet visant à informer des femmes pakistanaises en milieu rural sur les microbes. Montrer des germes aux participantes sous un microscope a augmenté l’impact des enseignements sur l’hygiène, sauf auprès des femmes qui croient fermement à la médecine yunâni, la forme prédominante de médecine traditionnelle au Pakistan.

Fournir des informations est un moyen important d’influencer les comportements sanitaires. Les messages véhiculés couvrent une gamme de sujets ; ils vont de la campagne pour arrêter de fumer aux programmes de dépistage du VIH. Ils peuvent être transmis par des professionnels de la santé, des panneaux publicitaires ou des émissions de télévision.

Pour fonctionner comme prévu, les messages relatifs à la santé doivent être convaincants. Mais alors que les professionnels de la santé peuvent présumer que leurs patients prendront leurs conseils à cœur, les déclarations sanitaires officielles peuvent entrer en conflit avec les messages provenant d’autres sources.

La sensibilisation à l’hygiène au Pakistan en est un exemple parlant. Comme dans plusieurs pays en développement, la diarrhée y constitue une grave menace pour les nourrissons et les jeunes enfants. Les programmes de promotion de l’hygiène combinent généralement des subventions pour du savon, des latrines et d’autres produits accompagnés de messages éducatifs sur le lavage des mains, la purification de l’eau et la manipulation salubre des aliments.

Généralement, les messages sanitaires évoquent la théorie de l’origine microbienne des maladies, qui stipule que ce sont des microbes invisibles qui causent les maladies infectieuses comme la diarrhée. La théorie microbienne est une découverte relativement récente qui n’a gagné en popularité qu’à partir des années 1880, grâce aux travaux de Louis Pasteur et d’autres. Partout dans le monde, elle est en concurrence avec des modèles de maladies non pathogènes issus de la médecine alternative, traditionnelle et populaire. Aux États-Unis par exemple, 40 % des adultes utilisent au moins une forme de médecine alternative. L’Organisation mondiale de la Santé déclare que la médecine traditionnelle constitue environ la moitié des recours aux soins de santé en Chine et jusqu’à 80 % en Afrique subsaharienne.

Au Pakistan, plusieurs personnes pratiquent la médecine yunâni, qui remonte au XIe siècle et qui est basée sur les enseignements d’Hippocrate et de Galien. Selon ce système médical, les maladies sont causées par des déséquilibres entre les quatre humeurs que sont le sang, le flegme (ou lymphe), la bile jaune et la bile noire, ainsi qu’entre les quatre qualités que sont la chaleur, la froideur, l’humidité et la sécheresse.

De la même manière, la médecine ayurvédique et la médecine traditionnelle chinoise évoquent le concept d’équilibre. Pour une personne dont l’exposition aux sciences est limitée, les modèles de maladies non pathogènes peuvent sembler plausibles, alors que la notion d’infection par des microbes invisibles peut sembler fantaisiste.

Selon la médecine yunâni, la diarrhée est une maladie « chaude », même si les désignations de chaleur et de froideur ne correspondent pas à la température corporelle. Une personne peut prévenir et traiter la diarrhée en réduisant son exposition à des objets, des activités et des aliments qui sont chauds tout en augmentation son exposition à ceux qui sont froids. Étant donné que le travail à l’extérieur rend le lait maternel chaud, les médecins yunâni conseillent aux femmes ayant la diarrhée d’arrêter d’allaiter leurs enfants, contrairement à la théorie de réhydratation orale promue par la médecine occidentale. L’intérêt que portent certaines femmes à l’approche yunâni ou à d’autres modèles médicaux peut influencer la manière dont elles réagissent aux informations relatives à la santé, comme la recommandation de se laver les mains afin de prévenir la diarrhée.

L’éducation aux microbes ou « Microbe Literacy (ML) » est un programme novateur d’éducation à l’hygiène qui tente de surmonter le manque de connaissances sur les microbes. Comme d’autres campagnes d’éducation à l’hygiène, ce programme donne des conseils sur le lavage des mains, la manipulation salubre des aliments et d’autres aspects de la prévention des maladies transmissibles.

Avant de communiquer ces informations, les facilitateurs utilisent des microscopes pour montrer aux participants les microbes présents dans les substances courantes telles que l’eau stagnante et le fumier de buffle. Cette démonstration — qui constitue pour plusieurs une révélation — peut rendre les messages sanitaires ultérieurs plus crédibles.  

Dans une nouvelle étude, Asjad Naqvi, Wolf-Peter Schmidt et moi-même évaluons l’impact de ce programme sur l’hygiène et la santé infantile. En 2013-2014, nous avons collaboré avec le Microbe Literacy Initiative afin d’offrir une initiation aux microbes à des femmes participant à des cours d’alphabétisation pour adultes dans le sud de la province du Pendjab, au Pakistan. Nous avons choisi 210 classes (4 032 participants) et les avons randomisées en trois groupes. L’un a suivi le programme d’éducation aux microbes (ML) dans sa totalité, l’autre a uniquement reçu les conseils d’hygiène (sans les démonstrations au microscope), et le dernier n’a suivi aucun des deux programmes.

Nous avons effectué un premier suivi après quatre mois et un second après 16 mois afin de mesurer l’impact sur l’hygiène, l’assainissement, la santé infantile et les données anthropométriques. Au cours des deux suivis, les participantes du groupe ayant suivi le programme ML présentaient une hygiène nettement meilleure que les participantes des deux autres groupes de recherche. Les effets sur l’assainissement étaient négligeables après quatre mois, mais ont augmenté et sont devenus significatifs après 16 mois. Les effets sur la santé infantile et les données anthropométriques étaient positifs, mais pas significatives dans l’ensemble.

Les suivis ont également montré que les démonstrations au microscope avaient amplifié l’impact des informations relatives à la santé sur les participantes du groupe ayant suivi le programme ML. Afin d’étudier ce constat plus en profondeur, nous avons examiné les différences dans la force des croyances des participantes de ce groupe en la médecine yunâni. Nous avons recueilli plusieurs croyances yunâni en lien avec la diarrhée, et divisé notre échantillon en groupes démontrant des croyances médicales traditionnelles fortes ou faibles. Le contraste était frappant. Les impacts du programme ML sur l’hygiène et la santé infantile des répondants aux croyances faibles étaient importants et significatifs, alors que ces deux aspects ne s’étaient guère améliorés chez les répondants avec de fortes croyances.

Cette réponse hétérogène suggère que les croyances médicales traditionnelles peuvent entraver l’apprentissage de l’hygiène et d’autres formes de prévention des maladies. Ce processus peut également se produire dans plusieurs autres contextes. Par exemple, l’idée d’utiliser des préservatifs pour prévenir le VIH est moins persuasive quand on croit que la sorcellerie est la cause du SIDA ; l’idée d’éviter la pollution de l’air est moins convaincante quand on croit que les plantes peuvent purifier et restaurer le corps.

Ce sujet est donc pertinent pour la santé mondiale, sachant que des milliards de personnes sur la planète pratiquent la médecine traditionnelle. Pourtant, très peu de recherches se penchent sur la substitution des croyances et des dépenses entre la médecine traditionnelle et la médecine occidentale. L’ampleur de la substitution varie sûrement selon la maladie, le système médical traditionnel et d’autres facteurs contextuels. Les partisans de la médecine occidentale devraient reconnaître que certaines personnes pourraient ne pas croire d’emblée aux messages basés sur la théorie de l’origine microbienne des maladies, et devraient prendre des mesures proactives afin de surmonter ce scepticisme.

 

Daniel Bennett
Economist at the University of Southern California