Droits fondamentaux et égalité

Pauvreté urbaine : villes et bidonvilles et la nécessité d’une action politique

5 min

by

Emily Rains and Anirudh Krishna

Les pays en développement seront majoritairement urbains d’ici 2030. Si l’urbanisation est historiquement associée au développement et à une grande mobilité sociale, ses effets sur cette dernière dans les villes du Sud sont plus variables et moins uniformément optimistes. L’amélioration des conditions de vie des citadins pauvres nécessitera des réponses politiques à la fois prudentes et durables.

Alors que les pays en développement s’urbanisent rapidement, la pauvreté devient un phénomène de plus en plus urbain. Dans les pays du Sud, la plupart des citadins travaillent dans l’économie informelle, à des postes peu rémunérés et précaires qui offrent peu de possibilités d’ascension sociale. Ils vivent dans des bidonvilles surpeuplés, où les logements et infrastructures sont inadaptés et d’où ils risquent d’être délogés à tout moment (figure 1).

La plupart des habitants des bidonvilles restent prisonniers de la pauvreté et de leur lieu de vie pendant des générations. La lutte contre la pauvreté et la précarité urbaines constitue l’un des principaux défis de notre époque en matière de développement.

Figure 1. Les bidonvilles regroupent un large éventail de conditions de vie (inadéquates)

Il convient de rappeler que les bidonvilles et les milieux à caractère analogue étaient aussi monnaie courante dans des villes aujourd’hui riches, telles que Londres, New York et Paris (figure 2). Ces conditions n’ont pas disparu spontanément en raison du développement économique industriel.

Au contraire, ces villes et pays occidentaux, ainsi que d’autres, ont adopté des réformes politiques et juridiques intensives axées sur la protection du travail et du logement, l’investissement dans la santé publique et l’éducation, ainsi qu’une multitude d’autres actions publiques. La conjonction des opportunités d’emploi en milieu urbain et des investissements gouvernementaux dans le capital humain et les programmes de protection sociale a contribué à faciliter une mobilité ascendante à grande échelle.

Figure 2. Les bidonvilles au fil du temps

Photo de Charles Marville, Paris, 1872 (à gauche) et de l’auteur, Bengaluru, 2018 (à droite)

Comparaison de l’urbanisation contemporaine et historique

Des investissements et des réglementations gouvernementales analogues sont aujourd’hui notablement inexistants dans les pays en développement, alors qu’ils sont encore plus indispensables. Il existe au moins deux différences essentielles entre les tendances contemporaines et historiques de l’urbanisation qui aggravent la persistance de la pauvreté urbaine de nos jours.

Tout d’abord, beaucoup plus de villes « en difficulté » connaissent aujourd’hui une croissance démographique rapide et un progrès économique limité. Dans ces villes, trop de citadins pauvres sont confrontés au chômage et au sous-emploi et non à des opportunités de développement.

Deuxièmement, les pauvres urbains d’aujourd’hui sont confrontés à l’omniprésence de l’informel qui les déconnecte des soutiens institutionnels. La grande majorité des habitants des villes du Sud travaillent de manière informelle : jusqu’à 75 % en Amérique latine, 85 % en Asie du Sud et 97 % en Afrique subsaharienne. Cela les empêche d’avoir accès à de nombreux programmes gouvernementaux de protection sociale. Sans droits de propriété, de nombreux habitants des bidonvilles ont du mal à accéder aux marchés financiers et à la fourniture d’infrastructures liées à des titres officiels.

En outre, beaucoup d’habitants des bidonvilles n’ont même pas les papiers d’identité les plus élémentaires exigés par la ville, et leur présence urbaine n’est pas reconnue par l’État. Ces déconnections institutionnelles extrêmes rendent les habitants des bidonvilles particulièrement vulnérables aux crises – une réalité qui a été mise en évidence par les effets dévastateurs de la pandémie mondiale de coronavirus.

Action politique pour les bidonvilles d’aujourd’hui

Nous ne pensons pas pouvoir transformer la situation des plus d’un milliard d’habitants des bidonvilles urbains sans un soutien politique important et bien planifié. À cette fin, trois approches principales sont nécessaires.

Recenser les chiffres et les besoins

Tout d’abord, il est nécessaire de rassembler beaucoup plus de preuves, à la fois pour documenter le nombre de personnes vivant dans des bidonvilles et comprendre leurs besoins politiques spécifiques. À l’heure actuelle, les bidonvilles sont gravement sous-comptabilisés et mal compris.

De nombreux préjugés circulent, selon lesquels les habitants des bidonvilles, loin d’être constamment coincés dans les marges urbaines, sont en grande partie des personnes de passage, qu’il s’agisse de migrants circulaires qui envisagent de retourner à leurs racines rurales ou de migrants pauvres qui profitent rapidement de l’économie urbaine et finissent par s’installer dans un logement formel. Le sous-comptage et les perceptions erronées contribuent à ce grave manque de volonté politique d’investir dans cette population vulnérable.

Créer des opportunités de compétences, d’emplois et de liens sociaux

Deuxièmement, les interventions doivent se concentrer sur la création d’opportunités pour les citadins. Cela nécessite des investissements dans l’éducation et la formation professionnelle, ainsi que dans la création d’emplois et l’accessibilité.

La diffusion de la technologie a élargi l’éventail des tâches pouvant être automatisées, ce qui se traduit par une augmentation de la prime à l’éducation ; mais aujourd’hui, l’habitant moyen des bidonvilles n’a pas terminé ses études secondaires. Les gouvernements et les entreprises devraient également être plus novateurs dans la création de nouveaux emplois pouvant tirer parti des compétences de niveau intermédiaire, qui sont actuellement sous-utilisées.

En plus de se concentrer sur le développement des compétences et la création d’emplois, les planificateurs et les responsables politiques devraient se pencher sur la façon dont les facteurs contextuels locaux créent des obstacles à l’accès à l’emploi. L’exemple de Medellin, en Colombie, montre que l’investissement dans des transports abordables reliant les bidonvilles de la périphérie urbaine aux quartiers économiquement dynamiques de la ville peut avoir des conséquences positives sur l’accès au marché du travail.

Reconnaître la nécessité d’une plus grande formalisation du travail, du logement et des services publics

Troisièmement, toute solution politique qui reconnaît la dignité des habitants des bidonvilles doit inclure des efforts pour formaliser leur droit au logement, leur accès aux services sociaux et leurs contrats de travail. Sans un logement sûr ou un filet de sécurité adéquat, ces urbains restent extrêmement vulnérables aux chocs négatifs qui risquent d’annihiler tout gain potentiel. Nombre d’entre eux restent dépendants de la discrétion des politiciens pour accéder à des aides gouvernementales cruciales.

La formalisation progressive des différentes dimensions de l’informalité – en termes de contrats de travail, de contrats de location, de papiers d’identité, d’assurance maladie et de travail, etc. – est nécessaire dans les bidonvilles d’aujourd’hui, tout comme elles l’ont été dans le passé.

Pour promouvoir un développement urbain inclusif, les décideurs et les praticiens doivent reconnaître le grand nombre de personnes vivant dans des bidonvilles, soutenir les perspectives de mobilité ascendante et atténuer les risques de descente. Sans ces efforts, beaucoup de personnes pauvres parmi les plus vulnérables resteront coincés en marge des villes qu’elles contribuent à construire.

 

Emily Rains
Assistant Professor, Louisiana State University
Anirudh Krishna
Edgar T. Thompson Professor, Duke University